Les nouveaux miraculés du cancer

Moderna vient d’annoncer les bons résultats de son vaccin contre le mélanome. Un exemple parmi d’autres innovations qui pourraient se substituer à la chimio.

Soudain, ils se sont levés et ont applaudi de longues minutes. Certains ont crié, d’autres sifflé. Que de joie, de ferveur, ce 5 juin 2022, à Chicago ! Les heureux, présents par milliers et venus du monde entier, ne sont pourtant pas du genre émotifs : ils sont cancérologues. « Moi aussi je me suis levé. J’ai filmé ce moment incroyable. J’avais la chair de poule », reconnaît le professeur Pascal Pujol, chef du service d’oncogénétique du CHU de Montpellier. Ce jour-là, à l’occasion du congrès ASCO (American Society of Clinical Oncology), leur grand-messe annuelle organisée aux États-Unis, ils ont pris connaissance des conclusions d’une étude clinique inédite. Menée au Memorial Sloan Kettering Cancer Center de New York, elle porte sur le cancer rectal, et les résultats ont des allures de miracle : 100 % des 12 patients intégrés dans l’essai ont vu leur tumeur disparaître complètement grâce à un nouveau médicament baptisé dostarlimab.

Jusqu’à présent, ce cancer était traité par une chimiothérapie, puis une ablation du rectum, suivie de la pose d’une poche abdominale externe à vie afin d’évacuer les selles. En d’autres termes, le dostarlimab a permis aux participants de l’étude new-yorkaise d’éviter la chimiothérapie et la poche. Des résultats que les chercheurs américains ont confirmés, cette fois sur une centaine de patients, en septembre dernier à Paris, lors du congrès d’oncologie ESMO. Toujours aussi spectaculaires, avec un taux de réussite de 95 %. Là encore : standing ovation.

Immunothérapie. L’euphorie n’a pas eu le temps de retomber. Le 13 décembre 2022, les laboratoires pharmaceutiques américains Moderna et MSD (Merck) révèlent une première mondiale : leur vaccin thérapeutique à ARN contre le mélanome (cancer de la peau) réduit de 44 % les risques de récidive ou de décès. Si ces résultats ont été obtenus sur seulement 157 patients lors des essais cliniques, ils restent très encourageants. Pour Stéphane Bancel, patron de Moderna, tout va s’accélérer. « Nous estimons que ce premier vaccin thérapeutique contre le cancer sera sur le marché dans moins de cinq ans, confie-t-il au Point au lendemain de l’annonce. Nous ciblons déjà au moins une dizaine d’autres cancers, comme celui du poumon. Nous disposons de 17 milliards de cash à investir dans la science. On vise des tumeurs qui touchent beaucoup de monde. Mais on ne va pas se priver de cibler des cancers rares, très compliqués, pour lesquels les malades n’ont aucune option thérapeutique. » 

Il faut dire que, pour l’industrie pharmaceutique, le cancer est un vaste eldorado qui se dévoile tout doucement, mais sûrement. Quelques chiffres donnent le tournis. En 2021, selon l’institut Iqvia expert en données de santé, les dépenses mondiales en médicaments contre le cancer ont représenté 185 milliards de dollars. Elles devraient dépasser les 300 milliards en 2026. Et tout cela au bénéfice des patients, car, soulignons-le, avec 10 millions de morts par an sur toute la planète, le cancer est l’affection la plus meurtrière. Mois après mois, les malades se voient proposer de nouvelles solutions thérapeutiques. Une véritable révolution. Et cette révolution s’appelle l’immunothérapie.

Lexique

Anticorps 

Les anticorps sont des substances produites par le système immunitaire pour détecter et neutraliser des pathogènes (virus, bactéries) lors d’infections. En immunothérapie, il est possible de synthétiser en laboratoire des anticorps dits monoclonaux, qui pourront cibler les cellules tumorales.

Antigènes

Les antigènes sont des molécules présentées à la surface des pathogènes et des cellules tumorales. Ils sont reconnus spécifiquement par les anticorps.

Lymphocytes 

Ce sont des cellules essentielles du système immunitaire. Elles patrouillent dans l’organisme à la recherche de pathogènes ou de cellules tumorales pour les détruire.

Ligand 

Molécule de liaison entre les cellules.

Nouvelles stratégies. Il s’agit d’un ensemble de technologies qui visent à réveiller, voire booster, le système immunitaire pour qu’il s’attaque aux tumeurs. Le domaine est en pleine effervescence. La première immunothérapie a été approuvée en 2011. Elle ne concernait que 0,14 % des cancers. En 2018, c’était 12,46 %, soit presque 100 fois plus de cas traités. Autre témoin éloquent de cette course à l’innovation thérapeutique, le nombre de brevets en immunothérapie : plus de 26 000 ont été déposés dans le monde, ciblant les tumeurs dites solides, c’est-à-dire qui, à la différence de celles observées dans le sang ou la lymphe, forment un amas de cellules. Et près de 2 500 essais cliniques sont en cours.

Avec cette explosion de nouvelles stratégies, le cancer est assailli de toutes parts, au moyen d’armes plus précises, plus efficaces et surtout mieux supportées. Elles gagnent de la place dans l’arsenal des médecins, au détriment de la chimiothérapie. «Ces vingt dernières années, elle a été largement remise en question dans des situations où le bénéfice recherché, c’est-à-dire la prolongation de la survie, n’était pas évident », assure le professeur Jean-Yves Blay, oncologue médical, président d’Unicancer (Fédération nationale des centres de lutte contre le cancer)Désormais, certains types de cancers ne se traitent plus avec la chimiothérapie. «C’est le cas de cancers rares comme la leucémie myéloïde chronique ou des tumeurs stromales gastro-intestinales, ainsi que certains cancers du poumon, plus fréquents », précise-t-il.

Triptyque. Pour bien comprendre la révolution de l’immunothérapie, il faut revenir sur le traitement standard du cancer, le classique triptyque : chirurgie-radiothérapie-chimiothérapie. La chirurgie vise à ôter la tumeur. La radiothérapie, grâce à l’énergie délivrée par ses rayons, détruit localement les cellules cancéreuses qui ne seraient pas visibles lors de la chirurgie. Quant à la chimiothérapie, c’est l’arme de destruction massive. Dans l’immense majorité des cas, que ce soit dans le cancer du sein, du colon ou du poumon, elle intervient pour éliminer dans tout le corps les cellules tumorales qui ont échappé à la chirurgie et/ou à la radiothérapie. Les médecins parlent dans ce cas de chimiothérapie adjuvante. Problème : dans ce cas précis, elle est le plus souvent inutile. Les chiffres sont édifiants : «Elle n’est efficace que chez 10 % des patients. Cela signifie que 90 % des personnes sont traitées pour rien. Mais les oncologues ne veulent prendre aucun risque, car on ne sait pas quels sont les patients chez qui cela va marcher », assure Pascal Pujol, qui détaille cela dans son livre Dépasser la chimio (HumenSciences). Or, c’est bien connu, ce traitement n’est pas anodin, avec des effets secondaires très éprouvants. Neuf patients sur dix recevant une chimiothérapie en pâtissent : chute des cheveux, fatigue, douleurs, nausées, vomissements, diarrhées, etc. En revanche, avec l’immunothérapie, seul un malade sur dix ressent des effets indésirables. «Le principe de la chimiothérapie est de cibler les cellules qui se divisent beaucoup. C’est le cas des cellules tumorales, mais aussi, malheureusement, d’autres cellules du sang, du tube digestif ou encore celles qui produisent les cheveux. Elles sont elles aussi attaquées. D’où les effets secondaires observés », rappelle Pascal Pujol.

Une des alternatives, efficace, consiste à attaquer les tumeurs sans affecter tout l’organisme. C’est précisément la vocation des immunothérapies, qui, comme nous l’avons vu, activent nos défenses immunitaires pour détruire les cellules tumorales. Si cette idée a plus d’un siècle, elle a été remise récemment au goût du jour par deux immunologistes, le Japonais Tasuku Honjo et l’Américain James Allison, colauréats du prix Nobel de médecine 2018. «Ils ont découvert l’existence de points de contrôle du système immunitaire (immune checkpoints en anglais). Ce sont des sortes de freins qui bloquent l’action des lymphocytes, cellules essentielles de nos défenses naturelles. Ces lymphocytes s’attaquent aux cellules tumorales, mais aussi aux bactéries et autres virus lors d’infections », explique Hugues Gascan, immunologiste et directeur de recherche au CNRS. Ce mécanisme de blocage joue d’ordinaire un rôle très important, car il stoppe l’action des lymphocytes quand l’infection est terminée. Il évite ainsi une réaction auto-immune, c’est-à-dire un emballement du système immunitaire qui finit par s’attaquer sans discernement aux cellules de l’organisme. En détournant ce mécanisme de blocage, ces « checkpoints », les cellules tumorales ont trouvé la martingale. Elles présentent à leur surface une protéine appelée ligand qui se fixe sur un récepteur du lymphocyte et bloque ce dernier. Notre système de défense se retrouve alors paralysé, et les cellules tumorales se multiplient en toute liberté. « L’immunothérapie, dans ce cas, consiste à empêcher cette liaison grâce à des anticorps monoclonaux, c’est-à-dire des protéines de synthèse qui vont s’accrocher spécifiquement soit au ligand de la cellule tumorale, soit au récepteur du lymphocyte », précise Hugues Gascan. Le lymphocyte n’étant plus bloqué, il peut alors détruire la tumeur. Le dostarlimab, l’anticorps qui a provoqué une standing ovation à Chicago, fonctionne ainsi. En s’installant sur le récepteur appelé PD-1 du lymphocyte, il empêche le ligand PD-L1 de la cellule tumorale de s’y fixer. Le système immunitaire est réactivé. Plus rien ne l’empêche de détruire la tumeur (voir infographie ci-dessus).

Anticorps bispécifiques. Il existe une autre approche d’immunothérapie tout aussi subtile. Cette fois, au lieu d’empêcher la liaison entre une cellule tumorale et un lymphocyte comme nous venons de le voir, les anticorps monoclonaux vont, au contraire, créer un lien très étroit. Le rapprochement ne va pas bloquer la cellule immunitaire, mais lui permettre d’identifier à coup sûr la cellule tumorale pour la détruire. Ces molécules de liaison sont appelées anticorps bispécifiques, car elles disposent de deux bras qui reconnaissent et s’accrochent à des récepteurs spécifiques – des antigènes – présents à la surface des deux cellules qu’ils relient (voir infographie ci-dessus).

Ils font l’objet d’un grand engouement auprès des chercheurs, car ces molécules peuvent être produites à façon pour être dirigées vers un grand nombre de cibles dans toutes sortes de cancers. En janvier 2022, le tebentafusp, un anticorps bispécifique, a par exemple été autorisé dans le traitement du mélanome uvéal métastatique. Il s’agit du cancer de l’œil le plus répandu et qui touche chaque année 500 à 600 personnes en France. Lors d’un essai mené à l’Institut Curie à Paris, cette nouvelle molécule a montré qu’elle améliorait significativement la survie à un an des malades, passant de 59 % à 73 %. « Les anticorps spécifiques sont selon moi l’une des classes de médicaments les plus prometteuses», estime le professeur Christophe Le Tourneau, directeur du département d’essais cliniques précoces de l’Institut Curie.

Le potentiel thérapeutique de ces molécules est poussé à son paroxysme avec les anticorps dits conjugués – souvent dénommés ADC (antibody-drug conjugates, ou conjugués anticorps-médicament). De véritables bombes de précision. Il s’agit de constructions complexes qui associent un anticorps à un médicament, ce dernier étant bien souvent une molécule de chimiothérapie. L’anticorps est une sorte de cheval de Troie. Il est conçu pour se fixer sur une cellule tumorale, la pénétrer et, une fois à l’intérieur, larguer ses bombes de chimiothérapie. Destruction totale garantie. L’énorme avantage de cette technique, c’est que la chimio est inactive tant qu’elle n’a pas atteint sa cible. Elle n’affecte donc pas les cellules saines. Exit les effets secondaires en masse (voir infographie ci-dessus).

Traitement personnalisé. Les ADC constituent un immense espoir de lutter contre de nombreuses tumeurs de nature différente. Pour le traitement du cancer du sein, c’est même une révolution avec l’arrivée sur le marché de l’Enhertu, une nouvelle molécule formée du trastuzumab (l’anticorps) et du deruxtecan (la chimiothérapie). « Grâce à cette molécule, des millions de femmes dans le monde pourraient ne plus avoir à subir les chimios actuelles », se réjouit le professeur Éric Vivier, immunologiste et président du Paris Saclay Cancer Cluster, nouveau haut lieu de la cancérologie française qui doit voir le jour dans les prochains mois à Villejuif.

Raffinement ultime de l’immunothérapie, les « CAR-T cells » (cellules T porteuses d’un récepteur chimérique) constituent une autre voie très prometteuse. Leur grande force : la personnalisation du traitement. « Des lymphocytes T du malade sont prélevés puis modifiés génétiquement pour leur apprendre à reconnaître spécifiquement la tumeur ciblée. Ils sont ensuite multipliés en grand nombre au laboratoire et réinjectés dans le patient, où ils s’attaquent aux cellules tumorales», détaille le professeur Fabrice Barlesi, directeur général de Gustave-Roussy, spécialiste du cancer du poumon, de la médecine de précision et de l’immunologie des cancers. Plusieurs CAR-T cells sont déjà autorisés en Europe. C’est le cas du tisagenlecleucel, indiqué dans le lymphome diffus à grandes cellules B réfractaire. Le niveau de précision et de sophistication de ces lymphocytes taillés sur mesure a bien sûr un coût : environ 300 000 euros. Une somme qui peut paraître astronomique, mais il faut savoir qu’un traitement classique, selon le cancer, peut varier d’environ 10 000 à plusieurs centaines de milliers d’euros.

Dépistage précoce recommandé. Si, ces dernières années, l’immunothérapie a montré ses bienfaits, elle n’est pour autant pas devenue la panacée. Car, pour un même cancer, seule une petite partie des malades y est sensible. Dans le cas du mélanome, environ un tiers des patients sera complètement guéri. Un autre tiers répond bien au traitement pendant un certain temps, mais le système immunitaire finit par être débordé, et le cancer repart. Enfin, le dernier tiers est réfractaire. Mais, pour le professeur Jean-Yves Blay, il y a une tendance lourde en ce moment : « L’immunothérapie arrive de plus en plus tôt dans les traitements, en prévention des rechutes, voire en première place, avant la chirurgie. C’est le cas dans certains mélanomes et les cancers du poumon. » Si l’immunothérapie est promise à un bel avenir, il y a encore beaucoup de progrès à faire pour guérir un plus grand nombre de malades. « Un peu comme lorsque les antibiotiques ont été découverts il y a près de cent ans, il faut comprendre que nous n’en sommes qu’au tout début», commente le professeur Éric Vivier. Et le traitement n’est pas la seule piste à explorer. « Ce qui à mon avis résoudra le problème du cancer, ce n’est pas tant la thérapeutique que le dépistage très précoce grâce au développement des outils d’imagerie. En découvrant les cancers très tôt, on peut mieux les soigner », analyse le professeur Christophe Le Tourneau. Les oncologues rêvent même un jour de contrôler le cancer comme les infectiologues contrôlent le sida sans le guérir grâce aux antirétroviraux. Dans les années 1980, la maladie effrayait la planète. Aujourd’hui, ceux qui sont porteurs du virus ont une espérance de vie équivalente à la population générale. Combien d’années encore pour dominer le cancer ?

Les cinq grandes formes de chimiothérapie

Selon le cancer et son stade d’évolution, l’usage de la chimiothérapie n’a pas les mêmes objectifs ni les mêmes performances. Voici les cinq grandes familles de ce traitement qui reste un des piliers de la lutte contre le cancer. 

Curative. Son objectif est d’obtenir la guérison. C’est, par exemple, le cas dans certaines leucémies et des cancers des testicules. Elle peut être pratiquée seule ou accompagnée d’une chirurgie et d’une radiothérapie. Cet usage est assez rare.

Adjuvante. C’est la plus fréquente, généralement proposée à beaucoup de malades atteints de cancers du sein, du côlon ou encore des poumons. Elle vise à détruire dans tout le corps les cellules tumorales qui auraient échappé à la chirurgie afin de minimiser le risque de récidive. Mais elle n’est vraiment efficace que chez 10 % des patients.

Néo-adjuvante. Elle intervient en premier pour réduire le volume de la tumeur et permettre ensuite l’intervention chirurgicale qui enlèvera ce qui reste. Cette stratégie est notamment utilisée dans le cancer du sein pour opérer une tumeur plus petite afin de préserver l’organe.

Antirécidive.  Quand le cancer a commencé à se métastaser, la maladie va toucher d’autres organes. Il y a donc un risque de rechute. La chimiothérapie a pour mission de détruire les métastases. Le but n’est plus de guérir mais de ralentir ou stabiliser la maladie qui prend alors une forme chronique.

Palliative.  Là encore, l’ambition n’est plus de guérir le malade mais de minimiser les effets de la tumeur sur l’organisme le plus longtemps possible.

Les vaccins thérapeutiques, la promesse d’une révolution

Les vaccins à ARNm contre le Covid ont montré à quel point cette approche était versatile et rapide à mettre en œuvre. Le 13 décembre, la société américaine Moderna annonçait le succès de son vaccin thérapeutique à ARNm contre le mélanome, lors d’essais cliniques de phase 2. Combiné à une immunothérapie développée par le laboratoire américain MSD (Merck), ce vaccin a réduit de 44 % le risque de récidive ou de décès par rapport à ceux qui n’avaient pas reçu le vaccin. Une première mondiale.

Le principe de ces vaccins est simple. Il consiste à injecter des ARNm codant pour des protéines spécifiques présentes uniquement à la surface des cellules cancéreuses. Ces protéines sont des antigènes. Elles vont entraîner le système immunitaire à repérer et détruire les cellules tumorales. L’idée est donc de produire non pas des vaccins préventifs qui nous protègent de la survenue du cancer, mais des vaccins thérapeutiques qui boostent le système immunitaire et lui permettent de détruire les cellules tumorales.

En France aussi, les vaccins thérapeutiques ont le vent en poupe. La société alsacienne Transgene développe sa propre version, avec non pas de l’ARN mais de l’ADN, le tout encapsulé dans un virus inoffensif pour l’homme. Ce traitement qui cible les cancers du cou et de la tête n’est pour le moment qu’en phase 1 des essais cliniques. Mais les résultats préliminaires sont encourageants. Sur 10 patients traités, aucun n’a connu de récidive, huit mois en moyenne après l’injection. Sur les dix qui n’ont pas été vaccinés, trois ont par contre déjà rechuté. « C’est une bonne nouvelle, mais en tant que médecin, je reste très prudent », prévient le professeur Jean-Pierre Delord, cancérologue, directeur général du cancéropôle de Toulouse, où il mène les essais cliniques pour Transgene. Prudence donc. Comme on dit au rugby, il faut encore transformer l’essai.

Les thérapies ciblées, nouvelles armes de précision

Les cellules tumorales présentent des altérations moléculaires, des sortes de défauts de fabrication responsables de leur croissance et de leur multiplication excessives. Les thérapies ciblées s’attaquent à ces altérations pour les bloquer. Tout l’enjeu est donc d’identifier les mécanismes biologiques défaillants pour concevoir de nouveaux médicaments. Dans le cancer du poumon, une dizaine d’altérations sont traitées par thérapies ciblées. Mieux, certaines de ces anomalies sont partagées par plusieurs cancers (sein, poumon, prostate, etc.). Un même médicament pourra donc être aussi efficace quel que soit l’organe affecté. On parle alors de thérapies agnostiques.

Les virus tueurs de cancers

Les scientifiques les appellent les virus oncolytiques. Ils sont modifiés en laboratoire pour ne pénétrer que dans les cellules cancéreuses, s’y multiplier et, littéralement, les faire exploser. Les nouveaux virus ainsi libérés peuvent alors infecter d’autres cellules tumorales et les détruire. Une vraie réaction en chaîne.

Cet été, la revue Nature Medicine a annoncé la première certification au Japon d’un virus oncolytique visant le glioblastome récidivant ou résiduel, un cancer du cerveau incurable. Quel que soit le traitement, il finit toujours par revenir. Dans leur essai clinique, les scientifiques japonais ont commencé par réaliser une chirurgie, une radiothérapie et une chimiothérapie visant à enlever le plus gros de la tumeur. Puis ils ont injecté un virus de l’herpès atténué et modifié, baptisé G47 D, pour tuer les cellules tumorales qui auraient échappé à ces traitements. Les résultats sont spectaculaires. Un an après, 84 % des patients sont encore vivants. Ils sont 50 % au bout de vingt mois, contre seulement cinq mois sans le virus. En France, la société Transgene teste une version améliorée, avec un virus atténué de la vaccine qui embarque en plus dans son génome un gène codant pour une enzyme toxique pour la cellule cancéreuse. Si des essais cliniques de phase 1 ont permis de faire la preuve du concept, le chemin est encore long jusqu’à l’autorisation de mise sur le marché. Mais Transgene développe en parallèle pour le groupe pharmaceutique AstraZeneca cinq autres médicaments intégrés dans le même virus.

Par  LE POINT

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