Covid-19 : l’isolationnisme profitera-t-il à l’Afrique?

A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire, écrivait Corneille dans le Cid.

Le Cid est un personnage-clé de la Reconquista contre l’Islam ibérique. Sorti du peuple, il devient un « Grand d’Espagne ». Au Moyen-Âge, il suffisait de vaincre un Maure, lui prendre son cheval pour devenir noble. Tout était possible, il suffisait de le vouloir. En quelque sorte, n’est-ce pas une traduction du « rêve américain » ?

C’est très romantique mais comme le révèle le sens du mot, c’est du roman.

Dans la vraie vie, celle pour laquelle un « happy end » ne peut correspondre qu’à une désillusion, ne pas mourir rend plus fort et c’est déjà survivre. Le sens de la gloire, gloria, est la renommée. La crise du covid-19 aura mis en évidence qu’une grande part de la défaite occidentale de la gestion de la pandémie tient à sa condescendance. Elle fut dans le regard porté sur la Chine en premier lieu et plutôt que de se préparer au premier choc, nous étions sûrs de notre supériorité.

« L’expérience n’éclaire que le chemin parcouru » disait Confucius. La grippe asiatique, en 1957, a fait au moins 25.000 morts en France et déjà, la presse de l’époque titrait sur la supériorité occidentale. Nous avions les antibiotiques ! Nous n’avons rien retenu de cette catastrophe majeure. Elle semble d’ailleurs, oubliée.

Préparation du vaccin anti grippe asiatique a l’Institut Pasteur, ici contrôle bactériologique du vaccin le 19 septembre 1957. Photo Rue des Archives. Agip

Le covid-19, après l’Asie, débarquait en Europe. L’Italie était mortellement touchée, un désastre sanitaire. La presse française, début mars, expliquait pourquoi et surtout pourquoi la France ne risquait rien. En premier lieu, la population italienne était plus âgée que la française. Ensuite et surtout, le complexe hospitalier français était largement supérieur au complexe hospitalier italien.

Bref, tel le héros romain, la France était sereine pour marquer le monde de sa gloire.

La France, aujourd’hui, compte ses morts par milliers. Le système est totalement dépassé par les événements. Les rumeurs les plus folles se répandent encore plus vite que le SARS-2. C’est l’expression d’une extrême défiance envers le système, cette dictature molle.

L’Histoire a tendance à se répéter. Une des causes est justement que nous n’apprenons que très peu de l’expérience.

Une thèse défendue dans l’ouvrage « Géopolitique de la question juive » est que la géopolitique est avant tout de la métapolitique. Les Etats n’ont pas d’amis, affirmait le Général de Gaulle, ils ont des intérêts. Et pourtant, les décisions  les plus importantes sont avant tout le fruit de l’émotion. Si le cerveau initie, c’est le cœur qui agit, commente fréquemment le Sefer Zohar.

Pour le docteur Fauci, principale figure de la Task force américaine contre le virus, le monde ne sera plus le même après la pandémie. Un des principaux symboles pourrait être que les individus ne se serrent plus la main. La distance sociale deviendra un protocole majeur de conformité sociale. On partagera des valeurs avant de partager du conformisme.

Dr Fauci

Le covid-19 pourrait provoquer un bouleversement géopolitique autant que social et économique.

Nous pourrions commencer par les Antilles françaises, aujourd’hui soutenues et matériellement aidées dans la crise sanitaire par… Cuba. Plus la France sera confinée, plus l’outre-mer s’éloignera.

Pour l’instant, l’économie mondiale repose sur des données virtuelles. L’économie est avant tout virtuelle. Le marché est un lieu virtuel de spéculations parce que toute l’économie repose sur le crédit. On n’achète pas un titre en bourse pour sa valeur mais sur sa valeur à venir, à crédit donc.

Le bouleversement serait beaucoup plus qu’un déséquilibre entre le Capital et le Travail. Équilibre et déséquilibre ne sont que de la gestion et de la prédiction. Il s’agirait d’une inversion polaire des valeurs.

Il n’y a de crédit que basé sur la confiance en l’avenir. Les notions de certitude, d’incertitude et d’espoir en sont le moteur. Le virtuel, par définition, est une illusion. Notre contrôle des événements repose sur l’illusion que nous avons de ce contrôle.

C’est ce moteur que le covid-19 attaque. Nous perdons nos illusions. Et plus la crise progresse, plus nous perdons nos illusions. La confiance, donnée statistique, n’est qu’une illusion quand l’avenir n’a pas réellement d’existence.

La crise du covid-19 nous fait entrevoir des rapports différents. Aujourd’hui, nous serrons la main d’un « partenaire » pour mieux lui soutirer du profit. Lorsque les rapports seront plus authentiques parce que l’incertitude de l’avenir rend ce profit plus hypothétique, non seulement le protocole sera changé, nous ne nous serrerons plus la main, mais la nécessité vitale rendra le rapport moins belliqueux (substantiellement « gagnant/perdant »). Il ne s’agit pas d’un espoir mais d’une suite logique.

Cette année 2020, aux USA, est celle des élections présidentielles. Avec une économie rayonnante et le plein-emploi, Donald Trump pouvait entrevoir une réélection menée face à une Gauche particulièrement divisée. Si les différentes « affaires Trump » alimentaient la stratégie de l’opposition, le président s’est clairement positionné comme le leader dont ont besoin les Américains et chaque nouveau sondage l’exprime. Face à la division de la Gauche, le Président fait le choix de s’attaquer à la presse qui est devenue son adversaire. Cette stratégie isole encore plus Joe Biden, exclu du discours malgré l’abandon de Bernie Sanders. La Gauche ne fait qu’attaquer la personne Donald Trump. La bipolarisation du Parti Démocrate ne peut se lisser que par la matérialisation de l’ennemi Trump. En attendant, la campagne ne peut qu’être hors sujet en ces temps de tragédie.

Si l’information provenant des USA est exclusivement focalisée sur le covid-19, elle est particulièrement politisée. Le cerveau initie, le cœur agit.

La réélection de Trump amplifiera, le cas échéant, la démarche isolationniste des USA.

L’Afrique semble peu touchée par la pandémie. La suffisance de la pensée occidentale y voit deux raisons : l’Afrique ne compte pas. Le continent noir représente moins de 5% des échanges mondiaux. Il n’y a que peu de relations avec la source de contamination. La difficulté de communication interne amplifie cet isolement. L’argument est logique et recevable tout comme celui qui prédit une catastrophe sanitaire majeure, compte tenu de l’absence d’infrastructures.

Oui, mais en attendant, l’Afrique a fermé ses frontières avant l’Europe et avant l’Amérique. La gestion est plus dure mais cela fonctionne pour le moment.

Surtout, le regard vers l’Occident change. Celui-ci n’arrive pas à gérer sa crise. Il n’est pas un modèle. L’Afrique courbe mais ne rompt pas. Sans doute est-ce beaucoup plus facile que pour le monstre bureaucratique qu’est l’Europe, mais seul le résultat compte.

L’économiste togolais Kako Nubukpa écrit : « Après le coronavirus une autre Afrique est possible et ce n’est pas une utopie. »

L’Algérie, en premier lieu, est alliée de la Chine. Le géopolitologue Smaïl Debeche, de l’Université d’Alger rappelle que les liens particuliers avec la Chine remontent au début de la guerre d’Algérie, 1954.  En conséquence, il n’y a pas trop de controverse sur la chloroquine, utilisée massivement en Chine. Les résultats sont satisfaisants, point. Un pays bureaucratique post-colonial comme l’Algérie se découvre pragmatique. L’analyse du contenu rédactionnel d’un journal comme le quotidien d’Oran met en évidence que si le covid-19 est présent dans tous les articles, l’objet consiste plus à l’utiliser en vecteur de réformes. Le problème majeur algérien reste la criminalité, d’une part et les carences informatiques, d’autre part. Le monde entier est confiné et la première inégalité dans le confinement tient dans la possibilité de s’approvisionner et, pour cela, le paiement électronique dont l’Algérie est peu pourvue est indispensable.

Cette option est sans issue. Elle repose sur une espérance économique liée à l’ancien monde. Dire qu’une autre Afrique est possible et que ce n’est pas une utopie n’a pas de sens si les fondements restent les mêmes.

L’appel démocratique n’est pas une préoccupation majeure. Le président Tebboune a gracié plus de 5000 condamnés, il y a quelques jours. Les incarcérés du Hirak ne sont pas concernés par cette clémence. Le 1er avril, deux responsables et une journaliste du quotidien Sawt Al Akher ont été interpellés pour avoir juste fait état d’erreurs supposées dans les tests de dépistage du covid-19.

L’Algérie, le dos si longtemps tourné à l’Afrique, voit ses pieds s’ancrer sur le sol africain.

 

Macky Sall

Si le président sénégalais Macky Sall réaffirme la demande expresse de l’annulation de la dette africaine, il utilise un argument de poids pour l’accompagner : la crise a démontré que l’infiniment petit a pu ébranler les plus grands du monde. Alors que la Chine se présente comme l’amie véritable de l’Afrique et que la tentation d’un repli occidental face à la Chine est une option de plus en plus sérieuse, l’Afrique peut se donner les moyens d’une nouvelle indépendance. L’éveil de la Chine a pris près de 40 ans, pour paraphraser Alain Peyrefitte. L’Afrique, malgré les promesses, tarde à s’éveiller.

Si une nouvelle conception sociétale semble émerger du covid-19, les lois du marché pourraient ne plus en être le principal vecteur. Le déséquilibre entre l’Offre et la Demande est justement ce qui a entravé l’éveil de l’Afrique.

Dans une économie plus réelle, moins virtuelle, la puissance démographique est une puissance majeure.

Aujourd’hui, les riches sont de plus en plus riches et les pauvres, inéluctablement, sont de plus en plus pauvres. Demain, sorte d’archéo-futurisme, le Cid serait un anti-héros mais le roman ne serait plus une utopie. Il deviendrait dominant sans avoir eu à l‘espérer.

L’Afrique se sera isolée. Elle évite, peut-être le péril. Le triomphe n’est-il pas préférable à la gloire ?

Par ©Gilles Falavigna

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GILLES

Le titre de l’article aurait dû être:
covid-19, l’isolationnisme profitera-t-il à l’Afrique?

L’Afrique, jusqu’à présent, n’a jamais eu de circonstances favorables. Au delà d’une annulation pure et simple de la dette africaine, le new deal post covid pourrait être un nouveau monde où chacun part de rien si l’économie virtuelle n’existe plus.