Afrique – Chine – Europe : dette ou deal ?

 

Par Gilles Falavigna

Un article Atlantico du 21 avril analysait la proposition d’annulation de la dette africaine comme un coup bas pour la Chine et lui faire payer l’addition.

Pour Jean-Marc Sylvestre, la proposition d’Emmanuel Macron serait « quasiment un acte de guerre contre les Chinois. »

L’article présente la Chine face à un dilemme du prisonnier. Soit elle annule la dette et elle serait la première victime parce qu’elle est le principal créancier de l’Afrique. Soit elle maintient sa dette et elle perdrait son caractère de « seul et vrai ami de l’Afrique ».

La proposition du président français serait intelligente parce qu’elle irait dans le sens d’embarrasser la Chine.

Premier point, la dernière réunion (virtuelle) du G20 a permis un moratoire qui renvoie à un an, l’échéance africaine du paiement de ses dettes. Il se trouve que la Chine intègre l’application de ce moratoire. La deuxième partie du dilemme n’existe donc pas.

Deuxième point, que représente, en réalité, la dette africaine ?

L’article base l’embarras de la Chine sur le fait qu’elle est la principale créancière pour 40%. L’ensemble de la dette africaine est de 365 milliards de dollars.

Un élément essentiel à la compréhension de l’aspect financier de l’économie est de modéliser la formule de gestion en « bon père de famille ».

La dette africaine correspond à 35% de son PIB. En « bon père de famille », les banques nous prêtent à hauteur de 30% de nos revenus. Il nous reste, ainsi, 70% de nos revenus pour vivre.

Les prêts sociaux offrent une autre approche. Ils considèrent le « reste à vivre ». Ce qui compte n’est pas un pourcentage mais la masse financière. 30% du revenu d’un riche n’a pas la même valeur en proportion que 30% du revenu d’un pauvre.

Il reste 65% de ses revenus à l’Afrique pour vivre et se développer et ce n’est pas suffisant.

De plus, l’Afrique n’est pas un bloc homogène. L’Afrique productrice de pétrole n’est pas l’Afrique du Sahel.

Si nous revenons aux grandes masses financières, autre manière de voir les choses, que représente la créance africaine du point de vue de la Chine ? Pour un PIB de 14 000 milliards de dollars, les 145 milliards de dette africaine représentent 1% de sa production.

Le PIB de la France est de 2 800 milliards de dollars. La dette de la France est également de 2800 milliards de dollars.  Il est difficile d’identifier le montant de la créance française de la dette africaine mais l’annuler n’augmenterait pas de 1% le montant de la dette française ni ne modifierait rien à son budget.

Sur la scène économique mondiale, l’Afrique a peu de poids. Le continent représente 4% des échanges commerciaux mondiaux. Encore devrions-nous lisser cette donnée en segmentant l’Afrique qui produit des matières premières, de l’Afrique la plus pauvre. L’Afrique du Sud ou l’Algérie n’ont rien à voir avec le Mozambique ou la Sierra Leone. Mais c’est bien l’ensemble du continent africain qui ne représente que 4% des échanges commerciaux mondiaux.

L’article Atlantico affirme que la Chine serait piégée par l’importance de la dette africaine selon l’adage que mieux vaut être débiteur que créancier dans un rapport conflictuel.

Nous venons de voir que d’une part, l’importance de cette dette est relative. Mais d’autre part surtout, Il n’y a pas de risque d’affrontement entre la Chine et l’Afrique. Le risque est immense entre la Chine et les Etats-Unis.

La créance africaine de la Chine est de 145 milliards de dollars.

La créance américaine de la Chine est de 1000 milliards de dollars.

Un précédent article1 soulignait le déterminant illusoire de la Chine entourée de fantasmes. Quand la Chine s’éveillera… Il n’y a guère plus fragile que la Chine qui peine à nourrir sa population, qui peine à produire avec une qualité suffisante aux normes occidentales, qui peine à produire avec une valeur ajoutée rémunératrice. Les masses financières sont là. Mais quelle est leur valeur ?

D’un point de vue militaire, géostratégique, la Chine n’est pas vraiment rugissante. Sa flotte océanique n’est pas opérationnelle. La Chine n’a pas les moyens de ses ambitions.

La Chine perd son soft power avec le covid-19. Ce soft power n’est qu’un habit qui dissimule le Parti Communiste Chinois. La réalité chinoise se fait jour. Il n’y a pas vraiment besoin de la dette africaine pour faire payer la Chine pour qui veut la faire payer.

Le Missouri vient d’engager une procédure contre la Chine pour réparation du préjudice subi par le covid-19. Le prétexte juridique suffit pour retenir 1000 milliards de dollars.

Déjà, le monde entier vise à rapatrier les fabrications des productions qui seront jugées stratégiques. L’image attractive de la Chine s’est effondrée. Sans qu’il y ait besoin d’appeler au boycott, chacun préférera acheter un produit autre que « made in China ».

Le confinement et les menaces de mort par la pandémie auront permis de prioriser certaines valeurs. Le consommateur dépense mieux.

Si faire payer la Chine est un objectif, l’affaire de la dette africaine n’est qu’une mise en bouche. Le plat de résistance arrive.

Il demeure que la question de l’annulation de la dette africaine est d’une importance majeure.

 Ce n’est pas pour embarrasser la Chine qu’elle doit être annulée. C’est insignifiant.

Ce n’est pas pour des questions morales ou de repentance coloniale et postcoloniale qu’elle doit être annulée. Nous n’en avons pas les moyens.

Elle doit être annulée parce que l’annulation de la dette africaine est un premier pas vers notre survie.

Ce ne peut être qu’un premier pas car nous avons vu que le reste à vivre, après remboursement de la dette, ne permet pas à l’Afrique de se développer. L’annulation de la dette n’est pas encore suffisante au développement de l’Afrique. Il faudra aller plus loin.

Le problème majeur du monde n’est pas le réchauffement climatique. Il peut être géré. Il mettra en cause notre mode de vie mais nous continuerons à exister. Le problème majeur du monde et spécifiquement de l’Europe est démographique.

L’Afrique connait une explosion démographique et une migration inéluctable vers le Nord. Ce sont des centaines de millions d’Africains qui quitteront l’Afrique dans les prochaines années pour venir appauvrir l’Europe en partageant des ressources vite insuffisantes.

Il n’y a que la petite mer méditerranée pour séparer l’Afrique de l’Europe.

L’Afrique doit se développer et l’Occident doit l’y aider au maximum pour survivre. La dette africaine ? C’est moins que 1% de notre PIB.

La croissance démographique est proportionnellement inverse à la croissance économique. Non seulement l’enrichissement de l’Afrique permettra aux Africains de rester en Afrique mais c’est le seul moyen de contenir sa croissance démographique.

En « bon père de famille », il ne faut pas confondre Chiffre d’Affaire et revenu, recette et tiroir-caisse.

Le budget annuel de la France est d’environ 250 milliards de dollars. La part française de la dette de l’Afrique ? C’est ce que dépense la France, par an, pour le développement durable.

Quand on prête de l’argent, c’est un investissement. Il repose sur un retour sur investissement. C’est pourquoi il n’est de meilleur investissement que l’Afrique.

©Gilles Falavigna

  1. https://www.jforum.fr/chine-la-guerre-en-sortie-de-crise.html

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