Comment j’ai travaillé le rôle délicat de Youssouf Fofana. Par Tony Harrisson, auteur, réalisateur et acteur français.
24 jours, la vérité sur l’affaire Ilan Halimi, long métrage réalisé par Alexandre Arcady, retrace le calvaire du jeune homme de confession juive, séquestré et torturé en 2006 par le gang des barbares.

24 jours durant lesquels ses parents Ruth et Didier Halimi (Zabou Breitman et Pascal Elbé) ont reçu plus de six cents appels de Youssouf Fofana (Tony Harrisson), ponctués d’insultes et de menaces, des demandes de rançon dont le montant ne cessera de changer, des photos de leur fils meurtri. Un récit poignant et émouvant adapté du livre éponyme co-écrit par la mère d’Ilan, Ruth Halimi et Emilie Frèche.

Tony Harrisson incarne le personnage de Youssouf Fofana, chef du gang des barbares, et auteur principal de ce crime. Il a accepté de revenir sur l’interprétation de ce rôle si délicat.

Il y a 8 ans, cette tragédie m’avait particulièrement touché, ému et choqué. Un acte incompréhensible et odieux où l’être humain devient une sombre espèce animale. La décision d’interpréter ce genre de personnage est parfois difficile à prendre et génère de nombreuses questions.
Mais je suis rapidement arrivé à cette conclusion: c’est aussi le rôle des artistes de dénoncer quelque chose, ici un fait divers sordide et cruel, pour sensibiliser les gens autour de thèmes universels tels que le racisme ou l’antisémitisme.

Mon regard sur ce rôle était axé sur le travail de composition. Comment faire en sorte de jouer non pas une pâle copie mais un « Fofana » parmi d’autres ?

En amont, je me suis posé la question de la difficulté d’entrer dans la peau de ce genre d’individu, qui avait choqué l’opinion publique, vis-à-vis de mes proches et de mes amis. Mon père est camerounais, ma mère guadeloupéenne. J’ai grandi à Sarcelles, en banlieue parisienne. Mes amis étaient issus de toutes origines et confessions diverses. Je faisais Shabbat avec certains, rendais visite à d’autres durant le Ramadan. Je n’ai observé aucun clivage dans mon entourage mais plutôt une multiculturalité avec toutes les richesses que cela suppose.


Tony Harrisson, sur le tournage de « 24 jours », photo Etienne George

Une préparation longue et intense

Une fois ma décision prise, je ne me suis mis aucune limite, aucune censure ou presque. Je pouvais laisser place à mon imaginaire et créer mes propres gestes, ma propre agressivité, ma propre colère, « mon propre Fofana ». L’objectif étant d’être le plus réaliste et le plus crédible possible.

J’ai fait un maximum de recherches sur cette affaire, sur le gang des barbares et particulièrement sur Youssouf Fofana afin de connaître ses habitudes, son entourage, le contexte, ses motivations, son parcours. J’ai visionné de nombreuses vidéos sur Internet afin d’avoir un maximum de documentation pour ensuite construire mon personnage. Je voulais tout savoir avant d’endosser ce terrible rôle. En revanche, à aucun moment je n’ai cherché à prendre contact avec lui, une visite en prison était inenvisageable. C’était ma limite, ce n’est pas vraiment le genre de personne que je souhaite fréquenter.

J’ai également entrepris une transformation physique: j’ai pris du poids -10 kilos au total – afin de me rapprocher au plus près du vrai Fofana. Cela me permettait de me libérer sur le reste.

J’ai ensuite pris le personnage comme un rôle de méchant parmi d’autres, identique à ceux des films américains, à l’image de Robert De Niro dans Taxi Driver, Thierry Frémont jouant Francis Heaulme ou encore de Charlize Theron dans Monster.

Sur le tournage de « 24 Jours »

J’ai longuement échangé avec Alexandre Arcady, le co-auteur et réalisateur de 24 jours, m’assurant ainsi que nous étions sur la même longueur d’onde. Ces discussions ont pris une importance capitale dans la construction de mon personnage, j’avais besoin d’être dirigé et rassuré.

A travers cette interprétation, j’ai eu l’impression de réaliser un acte civique car c’est un sujet qui nous concerne tous, ma contribution personnelle était aussi importante que celle des autres acteurs du film.

Durant le tournage, j’ai reçu des encouragements des autres comédiens, et notamment de Zabou Breitman. Tous comprenaient très bien la difficulté d’interpréter  » Youssouf Fofana », ils avaient la gentillesse de venir me demander si j’avais besoin de parler ou d’avoir quelques conseils.

Certaines scènes ont bien sûr été difficiles à tourner et notamment la scène finale qui a conduit à la mort d’Ilan. J’avais peur de blesser Syrus Shahidi, d’être trop brutal et en même temps j’imaginais le calvaire du vrai Ilan, la douleur de sa famille. Ce fut un véritable déchirement.

Depuis 15 ans, j’ai eu la chance d’incarner des personnages divers, au cinéma, puis au théâtre. Grâce à des metteurs en scène comme Peter Brook, j’ai appris la valeur des choses, de l’engagement, du travail, comment trouver une certaine justesse dans l’interprétation. J’ai ainsi mis ces expériences au service du film 24 jours, pour que mon personnage soit le plus vraisemblable possible et cela sans concession artistique.

Tiré d’un fait divers à caractère antisémite, le film relate également un fait de société. Il s’agit d’un véritable thriller, une fiction haletante mêlant angoisse, justesse et émotion. Toute l’intrigue de l’enquête policière contribue à instaurer une tension permanente du début à la fin. Le spectateur se retrouve plongé au sein d’un triangle infernal entre la douleur de la famille, l’enquête des policiers et la traque de Youssouf Fofana. Alexandre Arcady a par ailleurs suggéré dans sa réalisation les scènes de torture plutôt que de les montrer aux spectateurs.

24 jours est un polar, un objet de cinéma qui délivre un message universel: on ne peut ôter la vie de quelqu’un pour une question de religion, l’appartenance à une communauté. Chacun à son niveau doit lutter contre toutes formes de discrimination, de violence gratuite, et combattre le racisme qui pèse encore sur notre quotidien.

Le film a été présenté au public, en province et en banlieue parisienne, dans le cadre d’avant-premières, j’ai pu remarquer que les spectateurs avaient fait un voyage émotionnel intense, si bien que les débats étaient très animés et constructifs. Ce film pourrait faire l’objet d’un enseignement pédagogique, auprès des jeunes, dans les lycées par exemple, afin d’œuvrer pour le travail de mémoire.

Ce film représente pour moi une véritable étape, un défi, et je suis fier d’avoir participé à ce projet.

J’ai eu la chance d’interpréter, les mois précédents le tournage de 24 jours, d’autres types de personnages plus doux, aux antipodes de Fofana. J’incarnerai prochainement Sam, un musicien, dans le film Mon amie Victoria réalisé par Jean Paul Cyvérac. Puis je camperai le rôle de Claude, un poète anarchiste, désireux de mourir à 30 ans, dans Fièvres d’Hicham Ayouch – sortie prévue le 28 octobre 2014.

Tout ceci me permet ainsi de changer de registre et de ne pas me cantonner aux rôles de méchant, car je veux et je suis capable de tout jouer, du moment que cela est bien écrit.

Par Tony Harrisson, auteur, réalisateur et acteur français.

Publication: 30/04/2014 07h39

huffingtonpost.fr Article original

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marman68

Donc : Si j’ai bien tout compris : Il suffit de devenir un assassins et un meurtrier pour devenir célèbre et faire un film
Ca : C’est un bel exemple à donner à nos jeunes
HONTE A LA FRANCE QUI ACCEPTE DE TELS CHOSES ET PAR CE FILMS VA ENCOURAGER NOS JEUNES A DEVENIR DES ASSASSINS ET DES MEURTRIER DANS L’ESPOIR UN JOUR D’EN FAIRE UN FILM.