Une analyse de Michaël Herzog.La guerre civile syrienne s’est rapprochée comme jamais de la frontière nord d’Israël, à la fin de la semaine dernière, quand la ville frontalière de Quneitra, sur les hauteurs du Golan, est brièvement tombée entre les mains des forces rebelles, le 6 juin. Ceci fait suite à d’autres développements, comme la tension au sujet de la livraison de missiles anti-aériens russes à la Syrie, la participation croissante du Hezbollah dans les combats, la rhétorique guerrière d’Assad contre Israël , en pleine escalade et des menaces contre l’intégrité de la mission d’observation de l’ONU, qui supervisait, jusque-là le cessez-le-feu entre Israël et la Syrie, depuis 1974.

Dans cet entretien de Questions-Réponses, Le chargé de recherche principal de BICOM, le Général de Brigade à la retraite, Michaël Herzog, évalue les défis que ces évolutions posent aux décideurs politiques israéliens.

Ecoutez l’enregistrement audio de cette interview : ICI. Article original Ce qui suit est une transcription de cet enregistrement

Avec l’instabilité croissante dans la zone frontalière entre Israël et la Syrie, quels sont les principales préoccupations des décideurs politiques israéliens ?

Les évolutions récentes ont confirmé l’hypothèse de travail existante en Israël, que près de 40 ans de tranquillité à la frontière syrienne sont sur le point de toucher à leur fin. Si vous vous rendez du côté israélien de la frontière sur les hauteurs du Golan, vous pouvez voir, de vos propres yeux, le combat se dérouler, à l’intérieur même de la Syrie. L’hypothèse est que la frontière va devenir un « Ouest sauvage » Wild West »>Article original, avec les combats actuels entre les forces du gouvernement et les insurgés, mais qui, à un certain moment, mènent tout droit à des débordements en Israël.

L’Autriche a annoncé qu’elle va retirer son contingent de la force d’interposition de l’ONU sur le Golan (UNDOF), quelles pourraient être, pour Israël, les conséquences d’une désintégration de la force onusienne ?

L’instauration d’une force de l’ONU, en 1974, a créé une zone-tampon entre Israël et la Syrie. Si l’UNDOF s’en va, cette zone de sécurité disparaîtra, contribuant ainsi à une déstabilisation de la situation. Cela permettra à n’importe quel groupe de s’approcher de la frontière et de provoquer Israël par des attaques, et cela contraindra Israël à faire avancer des forces sur la zone frontalière, y compris dotées d’armes lourdes, comme des tanks. C’est pour ces raisons qu’Israël a demandé à l’ONU de trouver des forces de substitution pour remplacer celles qui se retirent.

A quel point la menace des missiles anti-aériens S-300, que la Russie a dit qu’elle livrera au régime Assad, est importante pour Israël ?

Ce système est une véritable menace. La question est si et quand il parviendra en Syrie. Les assertions d’Assad, prétendant que certaines pièces de ces systèmes étaient déjà arrivées, ne sont pas sérieusement établies. Fournir la totalité du système pourrait prendre longtemps aux Russes, et même quand il arrivera sur place, cela prendra au moins 6 mois avant qu’il ne devienne opérationnel, aussi, semble t-il, nous ne le verrons pas avant 2014.

Mais, s’il arrive effectivement, il disposera d’une portée d’environ 200 kms et pourra menacer la liberté de vol au-dessus d’Israël-même. Tandis que les forces aériennes d’Israël sauront, très probablement de quelle manière parer à cette menace, elle est infiniment plus compliquée pour l’aviation civile israélienne, particulièrement, au-dessus de l’aéroport Ben Gurion.

Israël a essayé de parler aux Russes pour les dissuader de fournir ces armes. Les Russes ont affirmé qu’ils livreraient le missile parce qu’il s’agit d’un contrat signé. Durant cette période, nous aurons encore du temps pour travailler sur la façon de parer à ce problème.

Israël pourrait-il s’abstenir de prendre ce système pour cible, à cause de l’implication directe russe ?

Je ne parierais pas là-dessus. Il est clair, pour les Russes, et, d’après ce qu’on en a rapporté, c’est ce qui a surgi lors de la conversation entre Netanyahou et Poutine, que si le S-300 parvient en Syrie et menace Israël, alors Israël sera contraint de prendre l’initiative pour le neutraliser. Le Conseiller à la Sécurité Nationale, Ya’acov Amidror a déclaré qu’Israël ne permettra pas à ce système de devenir opérationnel.

Si les Russes encaissent leur argent pour l’avoir vendu, peut-être est-ce que cela, ensuite, leur est bien égal, mais, en même temps, ce n’est jamais bon pour les Russes qu’un système d’armement stratégique qu’ils ont livré soit détruit avec une relative facilité.

Existe t-il un scenario sérieux, au regard des développements sur les hauteurs du Golan, qui puisse forcer Israël à intervenir ?

Israël n’a aucun intérêt à s’enliser dans le bourbier en Syrie, pour toute une variété de raisons. Israël ne pense pas qu’il puisse en modeler les résultats, ou, s’il le peut, que ce serait trop coûteux, et Israël a d’autres plats de résistance face à lui, à commencer par le défi bien plus grand que constitue le programme nucléaire de l’Iran. Mais Israël a déjà agi et agira à nouveau, s’il sent que ses intérêts nationaux sont directement menacés.

L’un des scenarii possibles serait que les Jihadistes s’établissent sur le Golan, le long de la frontière israélo-syrienne et tentent de provoquer Israël, comme certains ont affirmé qu’ils essaieraient de le faire. Dans un tel scénario, ou si la provocation vient du régime en Syrie, Israël serait contraint de répliquer. L’autre domaine d’activités où Israël a agi et agira encore, concerne le transfert d’armes stratégiques au Hezbollah, au Liban. Excepté de tels scénarios je n’imagine pas Israël intervenir dans cette guerre.

Nous avons assisté à une inflation de menaces, de la part d’Assad, envers Israël, au cours des dernières semaines. Est-ce que cela peut amener Israël à réfléchir à deux fois, avant d’agir à l’avenir, à l’intérieur du territoire syrien, en vue d’empêcher des transferts d’armes au Hezbollah ?

Cela complique certainement les choses. Initialement, le régime syrien ne répondait pas publiquement. Dans certains cas, ils ignoraient même des frappes israéliennes ou les présentaient comme le fruit d’opérations rebelles. Mais, avec l’accroissement des reportages médiatiques sur les interventions israéliennes, ils se sentent probablement contraints de faire monter en gamme leur rhétorique de menaces revanchardes.

Quel est l’état de la question, dans le débat en Israël, concernant le projet d’armer les rebelles?

Israël n’a pas pris officiellement position, parce qu’il ne veut pas être perçu comme cherchant à s’ingérer. La prudence attribuée au PM Netanyahou consiste à s’assurer que les armes fournies aux rebelles ne tombent entre de mauvaises mains, et c’est une inquiétude partagée par les Etats-Unis et la plupart des puissances européennes. Je pense encore qu’il existe suffisamment de forces insurgées qui ne soient pas reliées aux Jihadistes ou Islamistes, et que c’est à eux que les armes devraient être livrées. Chaque jour qui passe, avec un Occident qui s’enfonce dans la passivité, contribue à radicaliser le conflit. Cela renforce les Islamistes au détriment des non-Islamistes, et met cruellement en lumière l’asymétrie entre le rôle actif joué par la Russie, le Hezbollah et l’Iran, en soutien à Assad, et le rôle passif joué par l’Occident, refusant de faire quoi que ce soit qui puisse contrarier ou contrer Assad. Je ne plaide pas pour une intervention de l’Occident, mais je soutiendrais encore l’idée de fournir des armes tout en examinant de très près les forces non-Islamistes.

Comment se positionnent les décideurs politiques israéliens sur la question de savoir si Assad peut faire partie d’une solution diplomatique ?

Les gens en Israël sont très sceptiques, s’agissant des perspectives de solution diplomatique. D’une part, l’opposition n’est pas capable d’agir ensemble et de se mettre d’accord sur une logique d’action cohérente, et s’est décidée à ne pas se joindre à l’initiative diplomatique de Genève II. Une raison est qu’avec Assad (qui, de toute façon, ne compte pas démissionner), qui a réalisé certains succès tactiques sur le terrain, ces dernières semaines, particulièrement dans la zone de Qusayr, pourquoi serait-il enclin à faire la moindre concession ? Ce facteur dissuade aussi certains des éléments insurgés d’accepter de venir autour de la table.

Quel est l’impact de la participation du Hezbollah dans le conflit?

Il y a deux facettes à ce problème. D’un côté, on voit les forces chi’ites se ruer en Syrie pour aider Assad et sauver le régime à tout prix ; on voit des milliers de miliciens du Hezbollah combattant en Syrie. Ils sont dans les faubourgs de Damas et ont joué un rôle crucial et décisif dans la bataille de Qusayr. Vous avez aussi des Chi’ites d’Irak et des Iraniens qui aident le régime Assad, et le fait qu’ils soutiennent activement Assad peut l’aider, non seulement à survivre politiquement, mais à rétablir sa loi à Damas, et assurer la liaison avec la zone côtière et le Liban.

D’un autre côté, le fait que le Hezbollah soit à ce point impliqué dans la guerre en Syrie, présente certains avantages pour Israël. Le Hezbollah est presque totalement focalisé et absorbé en Syrie, plutôt que de se concentrer sur Israël, ils sont en train d’y perdre des hommes à eux, et leur engagement déclenche énormément de critiques dans la rue arabe sunnite et au Liban-même, où il se trouve sous le coup de nombreuses pressions. Le Cheikh Al Qaradawi, le guide spirituel du monde sunnite, a récemment attaqué le Hezbollah de façon très véhémente, déclarant publiquement qu’ils sont pires que les Juifs et les Chrétiens et en retournant leur nom, de « Parti de D. » (Hezbollah) à « Parti de Satan ».

Ma façon de voir personnelle est que, globalement, les désavantages pour le Hezbollah l’emportent sur les avantages qu’a, pour lui, la situation présente.

Bicom.org Article original

Adaptation : Marc Brzustowski/ Lessakele Blog Article original

TAGS : Géopolitique Israel Golan russie Hezbollah S-300

Syrie Chiites sunnites Armements

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