Un islamiste kazakh, interrogé par les enquêteurs, décrit de l’intérieur le groupe Jund al-Khilafah qui a formé, au Pakistan, le Toulousain Mohamed Merah. Ainsi qu’un autre mystérieux Français… Edifiant.

Les coulisses du djihad de Mohamed Merah au Pakistan enfin dévoilées


Un témoin clé a confirmé à des enquêteurs français que Mohamed Merah avait bien été accueilli et formé par Moez Garsallaoui, chef d’un groupe de djihadistes à Miranshah, dans les zones pakistano-afghanes, en septembre 2011.afp.com

Deux ans après les crimes commis par Mohamed Merah, en mars 2012, à Toulouse (Haute-Garonne) et à Montauban (Tarn-et-Garonne), les derniers doutes se sont dissipés sur l’identité de son mentor. L’homme qui a accueilli puis formé le futur terroriste à Miranshah, dans les zones pakistano-afghanes, en septembre 2011, est bien Moez Garsallaoui. Ce Tunisien, parfaitement francophone, dirigeait le groupe Jund al-Khilafah (les soldats du califat), composé d’un petit noyau de combattants venus essentiellement d’Asie centrale.

La revendication émise sur Internet une dizaine de jours après la mort de Merah était donc véridique, ce qu’admettaient depuis longtemps les services de renseignement occidentaux. Mais jusqu’à présent, ceux-ci manquaient d’informations sur le fonctionnement interne du groupe intégré par Merah.

Le témoignage d’un djihadiste, recueilli au Kazakhstan, le 4 décembre dernier, est inédit. Cet homme, un Kazakh de 26 ans, nommé Urynbasar Munatov, purge une peine de vingt de prison à Atyrau (ouest du pays). Il était, en 2011, l’un des compagnons d’armes de Moez Garsallaoui. Entendu sous le statut de simple témoin par la justice française, il a livré une confession de trois heures aux enquêteurs.

Il reconnaît Merah sur photo

Comme l’a révélé Le Parisien, Munatov a reconnu « Muhammed Mira » lorsqu’on lui a présenté la 18e photo d’une série de 22 clichés. Il n’a jamais rencontré le jeune Français mais a vu cette même photo chez son chef Moez Garsallaoui. « C’est lui-même qui me l’a montrée, poursuit-il. Son deuxième prénom était Yussuf. » Yussuf est, en réalité, le nom de « guerre » choisi par le Toulousain. « Pendant un temps, poursuit le témoin, il a vécu avec Moez à Miranshah. D’après les propos de Moez, Muhammed Mira avait participé aux actes terroristes perpétrés à Toulouse, en France, où il a été abattu lors de son arrestation. »

« D’après les dires de Moez, il y avait une entente avec Yussuf (Ndlr: Merah): si Yussuf entreprenait des actions, Moez les prendrait à son compte, c’est-à-dire comme ayant été organisées et exécutées selon ses directives. »

Cette « entente » coïncide en tout point avec la revendication diffusée sur Internet le 31 mars 2012, signée Jund al-Khilafah. Ainsi qu’avec les déclarations du tueur, retranché dans son appartement avant l’assaut du Raid.

Au cours d’une période de quinze jours, en septembre 2011, Merah, prétextant se rendre au Pakistan pour trouver une épouse, avait réussi à gagner la ville de Miranshah, un bourg sous la coupe des talibans pakistanais et d’Al Qaeda, sans attirer l’attention. Là, baragouinant l’anglais et l’arabe, il avait été adoubé par le parfaitement francophone Moez Garsallaoui, comprenant l’intérêt qu’il pouvait tirer d’une telle recrue.

Merah avait refusé une action suicide et un entraînement aux explosifs, préférant les armes de poing. De même, il avait décliné la proposition de Jund al-Khilafah de tuer un diplomate indien dès son retour en France. Il avait, au contraire, insisté pour choisir ses propres « cibles »: des soldats français, des « Juifs » et des policiers.

Un pacte entre opportunistes de la terreur

Un pacte de sang, une entente entre deux opportunistes de la terreur : voilà résumés les liens entre Merah et son mentor Garsallaoui. D’un côté, Merah, petit délinquant isolé et déboussolé, cherchait un permis de tuer au nom d’Al Qaeda. De l’autre, Garsallaoui entendait se positionner sur l’avant-scène du djihadisme international. « Son groupe, Jund al-Khilafah, représentait une sorte de start-up de la terreur », résume Erlan Karin, un expert kazakh du terrorisme, rencontré par l’Express lors de son passage à Paris.

Le témoignage de Munatov, désormais couché sur procès-verbal, est essentiel. Il décrit de l’intérieur une unité djihadiste tentant d’exporter le terrorisme. Un groupe sous la coupe d’Al Qaeda mais cherchant à préserver une certaine autonomie d’action. Un groupe qui mise sur la communication, en mettant communiqués et vidéos en ligne sur Internet, plus que sur le nombre de recrues.

Représentatif de ces « petites mains » du terrorisme international, Munatov a fini par rejoindre Jund al-Khilafah en 2011 après un long périple. L’homme a débuté des études à la fac d’économie d’Atyrau mais, dit-il, « j’ai dû interrompre ma formation parce que j’avais des difficultés à la financer. » Munatov se convertit à l’islam « en 2004 » et fréquente les mosquées salafistes qui prônent un retour à la religion des origines. Leurs imams appellent les fidèles à oeuvrer pour le djihad armé dans le Caucase ou en Afghanistan, en le finançant ou en prenant les armes.

« Les financements arrivent principalement des pays arabes, de Turquie et de pays d’Asie »

Au printemps 2011, avec l’un de ses compagnons, Munatov décide donc de partir pour Vana (sud de Kaboul), en Afghanistan, où les talibans ont mis sur pied une logistique d’accueil pour les candidats au combat. Les deux Kazakhs sont ensuite conduits de l’autre côté de la frontière, au Pakistan, dans des zones échappant à tout contrôle étatique. Ils sont hébergés à l’hôtel Sadakat de Miranshah, dans la région du Waziristan.

Pendant un mois, les deux Kazakhs subissent un entraînement au combat, dans un camp de fortune établi en pleine montagne. Ils tirent à la Kalachnikov, au lance-roquettes RPG. La deuxième étape consiste en une spécialisation dans le maniement des explosifs et de leur déclenchement à distance. De retour à Miranshah, les deux stagiaires reviennent se former au tir d’artillerie. Mais les relations entre les instructeurs ouzbeks et les jeunes Kazakhs ne semblent pas au beau fixe. Si bien que les futurs « soldats » choisissent de se trouver une autre « Jamaat » (littéralement une « assemblée » ou unité combattante).

A l’époque, selon Munatov, il en existe 8, plus ou moins réparties selon les nationalités, Ouzbeks, Tadjiks, Azerbaïdjanais ou encore Turcs. « Tous les Jamaat cités sont subordonnés aux talibans et à Al Qaeda, détaille-t-il. Les financements arrivent principalement des pays arabes, de Turquie et de pays d’Asie. Les fonds récoltés sont distribués par les représentants des talibans aux chefs et émirs des Jamaat désignés. Les fonds sont assignés chaque mois à raison de 50 dollars US pour chaque moudjahid. »

Avec l’été, qui s’étire de mai à septembre, arrive la saison des escarmouches et des grandes offensives. « Les talibans ont défini les terrains pour les opérations de combat, chaque émir des Jamaat désigne les membres qui iront au combat (…) Les opérations de combat sont principalement menées avec l’artillerie (…) et des dispositifs antiaériens orientés vers des bases militaires et des miradors, ainsi que sur des colonnes de combat en mouvement, des troupes militaires américaines et pakistanaises, ainsi que sur des troupes de l’OTAN venant d’Amérique, de France, de Grande-Bretagne et d’Allemagne. Lors d’opérations réussies, comme la prise d’une base militaire avec les armes, ainsi que de trophées, les combattants perçoivent une récompense financière. » La mort de « martyrs » est annoncée sous forme de vidéo sur Internet.

Seulement « 13 combattants avec l’émir »

En juillet 2011, au terme de son entraînement militaire, Munatov s’essaie « aux actes de terrorisme et de diversion ». L’homme qui le prend en charge, ainsi que son ami, s’appelle Moez Garsallaoui. Il lui est présenté comme « le représentant d’Al Qaeda ». Garsallaoui est une vieille connaissance des services occidentaux depuis qu’il a pu échapper à une assignation à résidence en Suisse pour se rendre au Waziristan, en 2007. Ce Tunisien est considéré comme l’un des communicants les plus actifs de la nébuleuse terroriste.

« Moez parlait sans cesse de la nécessité de créer un califat pour le monde entier, raconte Munatov. Il appelait au djihad et portrait une grande attention au djihad d’information. Il parlait de l’importance de mener une guerre de l’information. Il était calme de caractère, simple dans la vie courante. On pouvait facilement échanger avec lui, il était respecté et faisait autorité auprès des membres d’Al Qaeda. »

Le tournant s’opère en août 2011 lorsque Garsallaoui officialise la formation de son propre groupe qu’il baptise Jund al-Khilafah. L’émir gère un budget limité comparé aux autres unités. Il doit se débrouiller avec les « 200/300 dollars par mois qu’il recevait de complices en Europe ». Ses troupes sont maigres. Seulement… « 13 combattants avec l’émir », Kazakhs, Tadjiks et Arabes.

A cette période, précisément le 20 août 2011, Merah arrive à l’aéroport de Lahore, au Pakistan, avec un visa de tourisme. Il rejoint Jund al-Khilafah en septembre, pour deux semaines seulement.

Le groupe dispose de son propre agenda. Il veut faire monter la pression contre le gouvernement kazakh qui réprime les islamistes radicaux. C’est ainsi que sont réalisées des vidéos menaçantes enregistrées « dans une ancienne école de filles » de Miranshah. Garsallaoui se charge d’en réaliser le montage puis de les envoyer depuis un cyber café de la ville. A l’automne 2011, à l’heure où Merah quitte le Waziristan, Garsallaoui envoie ses Kazakhs commettre des attentats (pas toujours réussis) dans leur pays.

Les derniers jours de Garsallaoui

Mais les Américains ont depuis longtemps ce chef de guerre dans leur viseur. Ils l’ont manqué plusieurs fois en 2010. « Fin mai, début juin 2012 », un drone blesse grièvement Garsallaoui. « Après cela, poursuit Munatov, les talibans ont fourni à Moez un autre appartement dans la banlieue de Miranshah et j’ai déménagé chez lui. Il ne pouvait pas marcher. Je prenais soin de lui. Il s’est rétabli au bout de un ou deux mois. »

La CIA ne désarme pas. Le « 10 octobre 2012 », alors que Merah repose depuis sept mois dans une tombe anonyme d’un cimetière toulousain, Garsallaoui meurt dans une nouvelle attaque de drone, menée cette fois dans la ville de Mir Ali, au nord des zones tribales. C’en est fini de ses rêves de califat mondial.

Les partisans de Garsallaoui s’égaient dans la nature vers d’autres théâtres de combat. Notamment vers la Syrie. C’est d’ailleurs en tentant de se rendre dans ce pays ravagé par la guerre civile que Munatov est repéré et arrêté par des militaires pakistanais. Il est, depuis, écroué chez lui, au Kazakhstan.

Son audition édifiante permet aujourd’hui de mieux comprendre le fonctionnement des groupes terroristes inféodés à Al Qaeda. Et de connaître le profil de ces combattants de l’ombre, qui sont autant de menaces pour leur pays d’origine.

Selon Munatov, Merah ne fut pas le seul Français à s’engager dans les rangs de Jund al-Khilafah. Un second, âgé d’une vingtaine d’années, entretenait même des « relations fraternelles » avec Garsallaoui. Ce Français « s’absentait périodiquement puis revenait », se souvient Munatov. On n’a, depuis, plus jamais entendu parler de lui.

Par Eric Pelletier, publié le 07/04/2014 à 11:56, mis à jour le 08/04/2014 à 09:34

Source : lexpress.fr Article original

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