La France est-elle en état de surchauffe pré-printanière? Les Français sont-ils au bord de la crise de nerfs?

Il flotte dans l’air du temps un certain nombre de mauvais symptômes. Tout indique une addition croissante des diverses exaspérations. Relèvent-elles du fantasme? Ont-elles de bonnes raisons? Que signifient-elles? Peut-on en faire l’économie?

S’en rendent-elles compte nos élites? Les politiques, les gens du Cac 40, les patrons des grands groupes, les responsables des médias, les penseurs qui pensent? Serait-ce être bêtement populiste que d’en faire ainsi la remarque? « Populiste », « réac », autant de qualificatifs disqualifiants pour nommer ceux qui trouvent que aujourd’hui c’est moins bien qu’hier et que demain risque d’être pire qu’aujourd’hui. Et pourtant ?

On vit plus longtemps, il y a une couverture sociale que le monde nous envie, la médecine est plus performante, on est globalement plus riches, l’école fonctionne, la télé est idiote comme partout mais moins qu’ailleurs, on part en vacances, La France est un superbe pays, personne ne menace nos frontières, les libertés sont plus grandes, on peut ricaner des pouvoirs ! Alors qu’est ce qui ne va pas ? Pourquoi sommes nous si déprimés, si inquiets pour l’avenir de nos enfants ? Pourquoi sommes nous les premiers consommateurs d’antidépresseurs ? Pourquoi cette ambiance si lourde, parfois irrespirable ? Comment dans ce pays de cocagne nommé France, où il faisait bon vivre en sommes nous arrivés là ? La nostalgie est une maladie du temps présent, mais le temps présent est désormais amnésique, rendu idiot par la maladie du tweet.

Le statut de ces élites leur interdit il à ce point de prendre la mesure du réel et de la gravité du moment présent? Seraient-elles seulement préoccupés par des joutes narcissiques, par les « éléments de langage » conseillées par des communicants parasites ? Cette classe fait-elle seulement semblant d’avoir le souci pour le pays réel ? Ou bien passe-t-elle son temps à camper sur ses positions claniques, prête à envoyer tous les tweets nécessaires à ses menus plaisirs ? Les yeux rivés sur son smart phone pour vérifier l’audimat de sa popularité, elle semble se plier à toutes les contorsions nécessaires pour plaire, sans percevoir que ses gesticulations deviennent indigestes pour le plus grand nombre encore doté de sens du réel parce qu’elle a à le subir.

Combien de gens restent aujourd’hui sur le carreau à coup de plans sociaux qui témoignent à la fois, moins de l’usure de nos capacités industrielles que des jeux des marchés financiers. Combien de gens s’appauvrissent au travail pour n’avoir pas su s’enrichir en dormant ? Tandis que les extrêmes se radicalisent au point de donner à notre pays les lamentables scènes de « jour de colère » qu’il faudrait rebaptiser jour de honte dimanche 26 janvier, tandis que dans les rues de Paris dimanche dernier, on a entendu des cris de «Juif casse toi, la France n’est pas à toi » et « Faurisson a raison, la shoah c’est du bidon ! ».

Pour minoritaires qu’ils soient, ces slogans insupportables, ont déjà entendues dans les rues de Paris et pas seulement depuis Vichy. Ça n’était pas l’extrême droite qui les criait mais une nébuleuse islamo-gauchiste quand elle mettait un signe = entre la svastika et l’étoile juive. Si on veut pointer ce qui aujourd’hui menace la République, ce sont aussi les dérives du gauchisme qu’il faut regarder. Les fas et les antifas s’entretuent en achetant les mêmes tee-shirts.

Aujourd’hui la gauche de gauche, autoproclamée antiraciste, partage avec Soral/Dieudonné/Nabe un antisionisme obsessionnel. Allez comprendre… La montée des fascismes a une histoire. Elle est complexe, dirait Edgard Morin. La République de Weimar n’a pas succombé sous les seuls coups du nazisme mais aussi parce que l’extrême gauche allemande avait fait des socio-démocrates ses premiers ennemis. Et c’est dans ce moment que ne nouveaux artefacts purement idéologiques sont avancés comme autant d’os à ronger.

Comment les lubies de quelques uns peuvent-elles à ce point être promues comme nouvel avenir radieux pour le plus grand nombre? En substituant les questions de société aux questions sociales, le pouvoir actuel, dit de gauche, confirme sa difficulté à peser sur le cours des choses. Incapable de renverser la courbe du chômage, de former efficacement la jeunesse pour lui assurer un avenir, de transformer l’économie et de tirer le pays vers un développement plus innovant et plus performant, voilà que le gouvernement met en avant des questions de société les plus scabreuses ou les plus insignifiantes. Elles envahissent l’espace public, clive la société pour les propulser au premier plan des enjeux: les formulations de ces réformes produisent autant d’effets contraires que bonnes intentions supposées: le « mariage pour tous » était censé lutter contre les inégalités de statut pour les couples homosexuels. Il a été perçu comme l’imposition d’un changement de mœurs.

Le projet d’enseignement antisexiste était destiné à lutter contre le machisme violent à l’école, le voilà travesti en une exaspérante théorie du genre pour tous. Combien de mariages gays ont-ils été célébrés depuis cette loi ? Combien de personnes par contre sont-elles descendues dans la rue pour s’y opposer ? Etaient-elles toutes d’extrême-droite ? Que la sécurité des couples homosexuels soit assurée par un contrat garanti par la loi, le PACS l’assurait déjà. Pourquoi fallait-il porter atteinte à cette si vieille institution nommée mariage ? Pourquoi toucher à ce symbole ? Pour faire moderne ? Il y a peu il était justement considéré comme réac, bourgeois, etc ? Parce que d’autres l’ont déjà fait ? Etait-ce une urgence si impérieuse? Fallait-il en rajouter de la part de l’Etat, dans le trouble que le bon peuple peut éprouver devant ce qu’il perçoit comme une rupture dans un héritage culturel, un ordre civilisationnel ? Combien de personnes vont avoir des crises d’urticaire devant l’irruption dans le débat public des exaltations théoriques sur le « genre » ?

Voilà en effet que pour améliorer les rapports humains, pour lutter contre les comportements sexistes chez les enfants et les ados, d’autres experts ont imaginé qu’effacer le « genre » serait la bonne formulation d’une politique. On rêve ! Ont-ils vu le film « la journée de la jupe » ? Savent-ils ces experts que les jeunes filles des « cités-sensibles » sont traitées de putes si elles portent une jupe, qu’elles sont l’objet de violences. Et la seule prévention nouvelle serait de discuter du bienfondé du « genre » !

Pour lutter contre les difficultés de l’intégration voilà que des rapports ont été remis au Premier Ministre proposant une refondation de l’intégration au mépris de l’héritage français, de l’histoire de ce pays, de son identité, de sa langue nationale. Ces rapports destinés à faire de « l’en-commun », proposaient pour le futur de la France de faire de la langue française une langue parmi d’autres, alors que le sabir des banlieues devient la novlangue des territoires perdus de la République, alors que dans certains collèges, des élèves terminent leur classe de 3e en sachant à peine lire et comprendre ce qu’ils lisent. Les propositions de ces rapports ont été heureusement refusés par l’exécutif, mais comment ont ils pu être commandité à de tels experts ? Comment de tels égarements sont-ils possibles ?

Fallait-il en rajouter de la part de l’Etat, dans le trouble que le bon peuple peut éprouver devant les mutations démographiques qui s’imposent à lui ? Est-ce à la France de s’adapter à la culture arabo orientale ou bien à ceux qui en sont issus de s’adapter à celle-ci, à ses usages, à son histoire, à ses codes ? Le creuset français a réussi à intégrer des centaines de milliers d’étrangers au cours des deux siècles passés parce que ceux ci voyaient en France bien plus qu’une terre généreuse mais aussi une terre d’asile pour y vivre libre. Dès lors pourquoi ce ressentiment, pourquoi ces « indigènes de la République » revanchards qui entretiennent une invraisemblable schizophrénie ? Pourquoi ce défi entretenu de manière agressive contre les codes de la laïcité ? S’il y avait une recherche à commander à des experts elle aurait du porter sur les stratégies d’intégration et d’assimilation des populations d’origine arabo orientale dans le creuset français, dans la patrie commune et non pas l’inverse.

On attendait de la gauche un autre sursaut : qu’elle mette fin aux procédures kafkaïennes de son administration pour que celle ci fonctionne au service du bien commun plutôt que de fonctionner pour assurer la survie de sa bureaucratie. La coalition des intérêts corporatistes fait échouer régulièrement toute volonté réformatrice. Il devait y avoir le « choc de simplification », nous l’attendons toujours. Depuis les années Rocard l’optimisation les services de l’Etat figure sur l’agenda de tous les gouvernements. On a vu par contre se multiplier des Observatoires de ce qui ne va pas, des Hautes autorités des dysfonctionnements, des Comités d’éthique, des commissions ad hoc rendant des rapports oubliés sitôt produits, des cellules d’urgence, des cellules psychologiques, des associations multiples parasitant l’action publique.

On attendait de la gauche qu’elle éduque à l’égalité par la modification des statuts de son système éducatif : en revalorisant en particulier, le statut symbolique de l’enseignement dit technique, en le mettant sur un pied d’égalité avec les autres enseignements dits théoriques. N’était-ce pas cela une priorité éducative ? C’est ce que fait avec succès l’Allemagne qui ne méprise pas le talent manuel. Léonard de Vinci était-il moins génial quand il imaginait des machines que lorsqu’il peignait ? En rabrouant les enseignants des classes prépas ce ne furent ni la défense de l’excellence, ni l’égalité des chances qui furent promues mais un mécontentement supplémentaire qui fut créé.

En France nous cultivons le concept et nous méprisons les savoirs faire. Pourtant c’est bien le fanatisme théorique qui est à l’origine du pire dans les folies idéologiques. C’est bien connu, nous préférons Badiou à Steve Jobs mais c’est le premier que le Nouvel Obs s’en va questionner sur les raisons du malaise français ! L’ordonnateur de la pensée radicale chic, bien qu’affirmant son affection pour Camus, aime bien régulièrement afficher les listes des « nouveaux réacs » à abattre. A quoi bon s’affirmer social démocrate quand c’est la radicalité qui est toujours honorée. Ce grand écart, la gauche l’affectionne depuis toujours : nous adorons nous tromper avec Sartre plutôt qu’avoir raison avec Aron. Cette attitude demeure une constante de nos modes intellectuelles.

On attendait de la gauche qu’elle abandonne ses lunettes idéologiques pour regarder le réel tel qu’il est et non pas tel qu’elle souhaiterait qu’il soit. On attendait de la gauche qu’elle serve l’intérêt général et non pas qu’elle serve les bénéfices particuliers de ses clans. On n’attendait pas de la gauche qu’elle fasse des miracles mais on espérait que les symboles dont elle prétend être la gardienne soient consolidés au lieu d’être laminés au profit de la confusion présente. On attendait de la gauche qu’elle soit pédagogue d’une bonne conduite, à commencer par la sienne, ferme sur ses principes, même si, tout le monde pouvait comprendre, que changer le réel est plus compliqué que ne le prétendait le Moi-Président.

Des exemples il y en a mille faisant l’inépuisable démonstration des masques vertueux du mensonge, des cécités idéologiques, des lectures borgnes du réel, des exaltations meurtrières supposées libératrices. La France est la terre d’asile de ces comportements et la gauche française son champion, elle qui adorait Obama parce qu’elle pensait qu’il était un héritier des Black Panthers. C’est tout un aggiornamento idéologique qui s’impose et que Hollande a initié au plan économique. Ce qu’Obama révèle c’est justement cette formidable capacité à aller ailleurs, au delà des modèles idéologiques usés. Le ressentiment français à l’égard des USA n’était jamais aussi fort qu’il exprimait, au delà de Bush, la revanche d’une humiliation : d’abord celle d’avoir été libéré, par deux fois, par des soldats américains. Le premier ennemi que la gauche doit combattre est d’abord un « ennemi intime », à l’intérieur de sa propre histoire, à l’intérieur de ses propres mythologies. Etre « progressiste », si ce mot a encore un sens aujourd’hui, c’est d’abord être capable de cet examen critique. Il y a urgence à construire un front de la lucidité et de la responsabilité contre l’hystérisation des débats publics : il y avait jadis un ministère du plan qui hiérarchisait les priorités et en général on traitait des superstructures après que les infrastructures aient été consolidées. Aujourd’hui on fait l’inverse et ceci engendre cela : une crise sociale, une crispation généralisée pour le grand bonheur des nouveaux fascismes islamo-facho-gauchistes.

Ce qui est en train d’être aboli en France c’est bien l’érosion de tous les repères symboliques qui tenaient une société depuis des siècles. Si pour faire moderne ce sont les élucubrations féministes de madame Judith Butler, les éructations anticolonialistes de Houria Bouteldja, les remugles communistes de Alain Badiou, les visions prophétiques d’Edgard Morin ou les indignations de Stéphane Hessel qui inspirent le dernier chic intellectuel, il y a fort à craindre que le pays n’explose par la fusion des exaspérations que les errements « de gauche » ont eux mêmes suscités. Comment peut-on à ce point malmener ce socle de culture qui a construit ce pays au moment même où l’on s’apprête à commémorer ses gloires par le sacrifice de ses soldats ? « Mourir pour la patrie » ? Quel sens vont avoir ces commémorations de la Grande Guerre quand tout indique dans les modèles proposés aujourd’hui, que le mot « patrie » est méprisé, vide d’histoire, vide de sens.

En ajoutant la crise sociétale à la crise sociale le pouvoir actuel ajoute de l’égarement à la confusion pour le plus grand plaisir des Dieudonné et autres Soral. Il n’est pas trop tard pour préférer l’union nationale à la guerre civile.

Quel papier réac dis donc !

Publication: 10/02/2014 07h05

Jacques Tarnero

huffingtonpost.fr Article original

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