Autopsie d’un meurtre planifié, ou la 9ème Brigade libanaise supplétive du Hezbollah

Par Marc Brzustowski

Mercredi 4 août 2010

Au déclenchement d’un conflit armé, l’effet de surprise est l’élément essentiel qui peut permettre au belligérant qui ne dispose pas de supériorité par sa puissance de feu, de marquer des points et d’enfoncer un coin dans le mental de la partie adverse.

Pour que cet élément de surprise soit total, on choisira de préparer l’évènement dans le cours des activités les plus routinières que peut mener l’adversaire. Les déclenchements, à la frontière libanaise, se déroulent toujours dans des moments ordinaires d’une absolue banalité.

En octobre 2000, 2 soldats de Tsahal sont enlevés par des miliciens du Hezbollah vêtus d’uniformes de la FINUL, qu’ils avaient troqués avec des soldats indiens de la « force de maintien de la paix ». Aucun détail extérieur ne pouvait suffire à mettre en alerte les deux combattants israéliens. Le 12 juillet 2006, c’est une patrouille de routine, lors du passage d’un fourgon blindé, que prend pour cible le Hezbollah. Il tue 8 de ses occupants et enlève Ehud Goldwasser et Eldad Reguev, dans un état grave.

Hier, 3 août, date anniversaire des 1500 jours de captivité de Guilad Shalit, otage du Hamas à Gaza, rien ne devait laisser présager de ce qui allait se passer. La FINUL avait passé à l’Armée libanaise, il y a deux semaines, l’information selon laquelle un petit travail de débroussaillage aurait lieu le long de la frontière, côté israélien. Tout portait à croire que l’armée libanaise était intéressée au maintien du cessez-le-feu et que le vrai danger ne pouvait provenir que d’un élément jihadiste incontrôlé, non d’un sniper en uniforme, risquant d’entraîner son pays dans une hécatombe. Pourtant, l’impensable, auquel il faudrait toujours penser, s’est produit.

Tous les détails dont on dispose à cette heure démontrent une planification de haut niveau et une collusion totale d’intérêt entre l’Armée libanaise et les objectifs du Hezbollah, de l’Iran et de la Syrie. D’abord, le choix du moment, qu’on vient d’évoquer, celui des cibles de premier ordre et de leur position en retrait, à 300 m du lieu réel de l’action de déracinement de l’arbre : les deux officiers Dov Harari z’l et Ezra Lakia, n’avaient aucune raison valable d’être au premier rang pour arracher eux-mêmes de mauvaises herbes. Leur présence, celle de la FINUL auraient normalement dû inciter la partie libanaise à des tirs de sommation. Les plus exposés à un acte de défi ou une « balle perdue » étaient les soldats chargés de ce petit travail…

Le journaliste tué durant les échanges de tir, Assaf Abu Rahal, travaillait pour le quotidien ak-Akhbar de Beyrouth. Un second journaliste blessé, Ali Shuaib, était correspondant de la chaîne al-Manar. Ces deux médias sont connus dans le monde entier pour leur appartenance à la milice chi’ite de Nasrallah. L’armée libanaise a, délibérement, laissé pénétrer dans le périmètre sous sa garde des caméras, appareils photo, présents dans un lieu banal de la frontière pour y capturer un « évènement » fabriqué sur mesure pour les chaînes affiliées à Nasrallah. Pour entrer dans ce type de zones gardées, il faut des laisser-passer, des autorisations administratives qu’on ne tire pas d’un chapeau.
Il s’agit d’une opération marketing visant à rappeler la nécessité de souder les rangs au prétexte même de la « souveraineté », si chère au mouvement du 14 mars… mais au seul profit de la « Résistance » contre un voisin présenté comme « hostile », lorsqu’il réplique aux provocations.

Il apparaît, de toute évidence, que la thèse de l’élément rebelle et radical au sein d’une armée prête à coopérer avec la FINUL et le voisin, ne tient pas et que le sniper préparé de longue date à faire mouche obéissait à des ordres stricts, consistant à provoquer une guerre « unificatrice ».

Lorsque Tsahal a riposté, l’armée libanaise était prête à entretenir le feu nourri de part et d’autre.

De fait, l’armée libanaise a développé des capacités d’observation des moindres faits et gestes des unités de Tsahal présentes face à elle, non pour des missions de supervision et de contrôle, mais bien en vue d’actions d’agression. Elles vont jusqu’à l’exploitation de la moindre faille, du moindre moment de relâchement ou de … routine.

L’armée du Liban vient donc de déclencher, à tout le moins, une guerre des nerfs ou « drôle de guerre », sachant que la moindre sur-interprétation ou sous-évaluation d’un événement ou non-évènement quelconque est, désormais, susceptible de mettre la région à feu et à sang.

La « naïveté » israélienne, une fois de plus, a été de ne pas réviser ses critères d’alerte, en ne guettant que « les mouvements suspects » d’une guérilla dissimulée, sans envisager qu’un ordre de tir la frapperait en plein coeur de son dispositif, dans l’accomplissement de gestes quotidiens. D’oublier que Tsahal se bat contre un ennemi vicieux, sans scrupule, rétif à tout réglement marqué par des résolutions, arrangements ou accords qu’il utilise à son seul avantage, et non dans l’espoir d’une « paix des braves »…
Il est toujours facile d’en parler après-coup. Mais cela intervient dans les suites d’un récent « incident » en mer, sur le pont du Mavi Marmara. Depuis 1973, il n’existait pas, dans la région, d’armée conventionnelle qui ose se lancer délibérément dans un conflit armé avec Israël. C’est désormais chose faite. Et ce n’est possible que parce que le niveau d’armement des milices supplétives comme le Hezbollah et le Hamas est jugé avoir atteint un seuil appréciable pour maximiser les dégâts stratégiques et médiatiques au détriment d’Israël. L’état-major israélien doit, désormais, identifier clairement les relais dans la chaîne de commandement adverse, qui participent de la mise en route d’actes de guerre.

Les mobiles du crime laissent peu de place à l’interrogation :

4 hauts dignitaires arabes, dont Bachar al-Assad de Syrie et le Roi Abdallah d’Arabie Saoudite, se sont réunis vendredi à Beyrouth, afin de faire le point sur la situation, à la veille du Tribunal international sur le Liban. Il devrait impliquer plusieurs hauts-dirigeants du Hezbollah dans le cadre de l’enquête sur le meurtre de Rafic Hariri en 2005. Derrière l’écran de fumée des discours bellicistes du despote syrien, certains ont voulu lire un infléchissement en cours : plus il criait haut et fort que jamais il ne lâcherait le Hezbollah face à ses accusateurs, plus on pouvait se demander : « pourquoi a t-il tant besoin d’en parler, puisque personne n’en doute? ». Qu’il ait eu ou pas la moindre intention de « prendre ses distances », le maintien d’une tension maximale à la frontière israélo-libanaise rectifie tous les discours et ramène le conflit « israélo-arabe » à l’avant-scène, dans la permanence et la durée. C’est autant de terrain perdu pour la « Ligue Arabe » incitant Mahmoud Abbas à envisager des pourparlers directs avec Benyamin Netanyahou. Le « front du refus » rappelle alors que si un seul membre s’y oppose, le « mariage », tant attendu à Washington, avant les élections de novembre, n’aura pas lieu. Mais bien plutôt, la guerre.

Comment Bachar pourrait-il se désolidariser, ni même du Hezbollah, ni même et surtout, du Liban, depuis longtemps considéré comme simple province de Damas? Il s’agit bien d’un glissement « stratégique », où Nasrallah a tout à gagner dans l’assimilation indistincte de ses intérêts propres et de ceux de Beyrouth en totalité. Le tir du sniper vient de balayer et d’annuler toutes les attentes des émirs venus du Golfe, la semaine précédente.

« L’effet domino » n’a jamais si bien joué, qui place la Syrie au centre de l’échiquier et la ramène objectivement au bercail. Ainsi le Hezbollah et l’Iran s’assurent-ils de la bonne coopération de leur relais et plaque tournante indispensable.

Nasrallah avait, quant à lui, tout intérêt à jouer profil bas, alors que la « résolution 1701 » de l’ONU qui pénalise son mouvement, est, tranquillement, en train de voler en éclats, sous les coups de butoir, non plus d’un « état dans l’état », mais bien de l’armée elle-même. Cette résolution avait pour vocation de « protéger une souveraineté » affaiblie par les puissances régionales et les groupes terroristes. Si le Liban soi-même viole les résolutions censées le protéger, hormis qu’il s’agit d’un état délibérément criminel et justiciable pour cela, c’est, vu sous cet angle de tir, « signe de bonne santé » et de bonne préparation à en assumer toutes les conséquences, à savoir son retour à l’âge de pierre, à partir de la toute prochaine provocation.

A qui « profite le crime »? Sûrement pas, en première lecture, à Saad Hariri, qui ne sait, décidément pas, s’il parviendra jusqu’au moment où un Tribunal statuera sur les culpabilités et complicités dans le meurtre de son père. Mais, l’armée étant sous ses ordres (suivis ou non) et ceux du Président Michel Sleimane, on est aussi en droit de se demander si l’assassin émarge d’un clan plutôt que d’un autre :

Saad Hariri lui-même aurait ordonné la semaine passée, à 1500 hommes d’aller renforcer la présence militaire libanaise dans le sud… « pour éviter toute provocation du Hezbollah, et « protéger la FINUL, suite à diverses agressions…
L’armée -ou/et certaines factions en son sein- fusionne de façon explicite avec la milice chi’ite. Près de 50 % de ses officiers sont issus de cette mouvance ou prêts à coopérer dans le sens de ses intérêts. Tant que la résolution 1701 subsistera, bon an mal an, le Hezbollah ne pourra reprendre pied massivement au Sud-Liban, qu’au travers de tactiques savantes pour confondre toute surveillance. Le meilleur camouflage est donc, évidemment, l’uniforme. Et la meilleure défense, l’attaque.

A ce degré de fusion, avec l’armée comme avec le pouvoir, il est, peut-être temps, pour le Hezbollah, de se fondre totalement dans l’appareil politique et de moins attirer l’attention comme groupe séditieux pouvant agir « contre les intérêts du Liban » : c’est aussi simple de le piloter de l’intérieur. Surtout, depuis l’élimination d’Imad Moughniyeh en février 2008, l’appareil terroriste montre ses limites et n’être vraiment à son affaire que dans les zones chaotiques de l’Irak ou de l’Afghanistan, voire, récemment du Sinaï.
L’hypothèse moins probable serait que des « souverainistes » quelconques aient décidé qu’ils pouvaient très bien se dispenser des coups d’éclats du Hezbollah et agir au nom du Liban pour mettre eux-mêmes le pays au bord du précipice les yeux bandés… Ou la gouvernance par l’appel au suicide de masse, par absence d’horizon politique, dans l’affrontement entre factions?

Plutôt la guerre avec Israël que la guerre civile?

Depuis le Détroit d’Ormuz et ce cargo japonais dont tout porte à croire qu’il a été la cible d’un engin improvisé, en passant par Eilat et le Golfe d’Aqaba, récemment le retour de Grads sur Ashkelon, jusqu’au sud-Liban, cette « suite d’incidents » laisse entendre que l’Iran fera tout pour mettre le feu aux poudres. Il dispose d’assez de pions et d’éléments dévoués dans la région pour mener la vie dure à des Occidentaux qui ne croient qu’aux sanctions et à la diplomatie pour prolonger les trêves, jusqu’au prochain round…

pour http://lessakele.over-blog.fr et www.aschkel.info

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Forumeurcom

Vous êtes trop critique à l’égard de cet article, très clair et bien argumenté. Un changement très profond serait en cours au Liban, est-ce dans la presse française que vous l’aurez appris ?

Et parallèlement à ce changement, je dirais comme d’habitude, il y a une difficulté pour Israël d’échapper à l’inertie de ses propres analyses et à priori. Comme dans l’affaire de la flottille, il est mortel pour Israël de s’installer dans la routine, « faire confiance » à ses alliés (la Turquie), ou à la neutralité (Liban). Cette région est terriblement dangereuse. La faible y est dévoré. Seule la force permet de s’y maintenir. Cela non plus, vous ne le lirez pas dans la presse française, pour qui l’image de marque du Liban reste le cèdre et le multi confessionnalisme.

Francoise.michaelis

je trouve cet article excellent et votre critique totalement injustifiée.
Merci pour cet article.

pierrot

Article trop verbeux et dispersé, bref : pas clair.
Par exemple, on souhaiterait une analyse des différentes factions de l’armée libanaise, leur pourcentage, leurs liens aux intérêts politiques et économiques libanais et régionaux. Ou mieux, un éclairage sur la société du Sud Liban sous la dictature du Hezbollah.
Impression désagréable de courte vue …comme si un sniper suffirait à décider de la politique d’Israël !