Je voudrais prendre un sujet commun aux différents récits qui se déroulent dans le livre de Shémot, c’est le problème des 10 plaies d’Egypte. 

Question posée de la manière suivante : comment comprendre la finalité des 10 plaies d’Egypte ?  Avec comme question annexe : Pourquoi en a-t’il fallu 10 ? Quelle est la logique de la progression dans ces dix événements jusqu’à l’aboutissement et la réalisation de ce qui était recherché ? Mais en fait la question est : Qu’est ce qui est recherché ? Quelle en a été la finalité ? 

Je vous rappelle brièvement les deux thèses principales. D’abord celle du Pshat du récit : 

1ère thèse d’explication: 

D’abord celle du récit tel qu’il nous est donné à première lecture : semble-t’il, il s’agit d’une intervention de Dieu pour obtenir la libération, la délivrance, d’Israël de l’esclavage égyptien. C’est la première thèse très claire. Mais déjà, il faudra demander pourquoi il a fallu dix plaies ? La formulation de la question se présente la plupart du temps de la manière suivante : Dieu est Tout-Puissant, s’Il doit intervenir, (et pourquoi doit-Il intervenir ? il faut aussi l’étudier) de telle sorte d’obtenir un certain résultat, pourquoi une plaie n’aurait-elle pas suffit ? Si la finalité est de délivrer Israël de l’esclavage égyptien il est évident que la lecture du contexte de la dixième plaie celle au moment de laquelle Pharaon s’est affolé, aurait suffi. Et pourquoi n’a t’il pas été pris d’affolement avant? Et le peuple égyptien lui-même intervient auprès du Pharaon à cause du pressentiment de la catastrophe à venir si les Hébreux ne quittent pas le pays d’Egypte. Et que signifie tout cela?

Pour résumer la question elle-même : on s’aperçoit qu’il aurait suffit d’emblée de la plaie des 1er nés, formulés comme elle l’est dans sa clause : « laisse sortir Mon peuple qui est Mon premier-né ou bien ce sera ton premier-né qui sera frappé ». Et qu’est-ce que cela signifie ?

On voit bien en tout cas que lorsque les 1ers nés – et cela commence par le 1er né de Pharaon. Tous les détails du texte sont importants : pourquoi faut-il savoir que les 1er nés de l’Egypte et le 1er né par excellence doivent être frappés – alors le résultat est obtenu ! Alors pourquoi pas d’emblée une plaie ? 

2ème thèse d’explication : 

Elle est aussi très classique comme la première et ne sont pas exclusives l’une de l’autre.

La 2nde thèse d’explication (qui d’ailleurs n’exclue pas la 1ère et réciproquement)  est le fait de punir les Égyptiens de l’esclavage dont les Hébreux ont été les victimes. C’est différent de la 1ère  thèse : faire sortir les Hébreux d’esclavage, mais corollairement de punir les Égyptiens du fait qu’il y a eu esclavage. 

Ceci pour dire que les deux thèses sont insuffisantes d’après notre question globale. Dans un cas comme dans l’autre il aurait suffit d’une plaie massive et le résultat aurait été obtenu, et l’un et l’autre. Alors donc c’est qu’il y a quelque chose de beaucoup plus caché, qui ne se dévoile que progressivement et qu’il faut arriver à déceler. 

J’espère que la question est maintenant clairement posée.

En général, les grands commentateurs, et je citerai essentiellement Maïmonide à ce sujet, formulent une objection fondamentale sur l’une et l’autre thèse qui est la suivante : cet exil et son esclavage corollaire a été annoncé par Dieu à Abraham. 

Il y a donc un problème théologique difficile : Si Dieu est non seulement omnipotent mais aussi omniscient, à partir du moment où il formule longtemps à l’avance, avant que l’histoire d’Israël ne commence, au niveau d’Abraham, une telle indication qu’il y aura 400 ans d’exil et qu’il y aura persécution, nous verrons le verset dans l’annonce de l’éventualité de l’exil à Abraham, il y a 4 niveaux de l’oppression :

Le fait de ne pas être chez soi et d’être ailleurs dans un pays étranger, le fait d’être soumis à la souveraineté de la volonté d’autrui, le fait d’être persécuté et privé complètement de liberté et d’autonomie. Une espèce d’anesthésie de l’autonomie de l’identité des Hébreux. Quelque chose d’analogue avec ce qui est arrivé avant la Shoah où semble-t’il quelque chose d’inéluctable bien que prévisible. Bien sûr comme on dit en hébreu ’Hakham A’harei Maassé – facile après coup d’être ‘hakham et de faire des diagnostics mais malgré tout c’était tellement massif qu’il y avait quelque chose de cet ordre : une sorte de caractère inéluctable d’un processus aberrant qui s’est quand même passé.. 

S’il en est ainsi, si c’est annoncé à l’avance, qu’est-ce que cela signifie ? Et pourquoi les Égyptiens ont-ils été punis ? 

Est-ce que cette annonce de la part de Dieu à Abraham que cela se passera, et pas seulement que cela se passerait, est-ce que cela ne dédouane pas, ne déculpabilise pas à l’avance les Égyptiens ?

Pourquoi Dieu punirait-il un comportement obligé ? Et en quoi est-il obligé ? Il est impliqué par l’omniscience de Dieu Lui-même ! Vous voyez que les choses ne sont pas simples…  

Je voudrais de suite aborder ce dernier point en résumant l’enseignement de Maïmonide à ce sujet et vous verrez que cela nous laisse quand même pleins d’interrogations. 

Rambam 

Cet enseignement se trouve plusieurs fois dans son œuvre mais en particulier dans un tout petit livre mais très important les Shmonah Prakim du Rambam – livre d’introduction au Pirqey Abot qui est un classique de l’enseignement de Maïmonide – « les huit chapitres ». 

[Récemment une excellente communication de Thierry Alcolombrei sur une comparaison entre les conceptions de la psychologie et de la morale d’après « les huits chapitres » dans l’enseignement de Maïmonide et les théories d’Aristote en particulier dans « l’Ethique à Nicomaque » pour vous montrez à quel point ce sont des problèmes de haute culture universelle]. 

Dans les Shmoneh Prakim, le Rambam pose la question directement ainsi (que je formule dans notre langage contemporain): N’y a t’il pas une sorte d’injustice et d’arbitraire à punir les Égyptiens, et Pharaon à leur tête, alors que Dieu lui-même avait annoncé à Abraham :  

Lekh Lekha 15:13

וַיֹּאמֶר לְאַבְרָם, יָדֹעַ תֵּדַע כִּי-גֵר יִהְיֶה זַרְעֲךָ בְּאֶרֶץ לֹא לָהֶם, וַעֲבָדוּם, וְעִנּוּ אֹתָם–אַרְבַּע מֵאוֹת, שָׁנָה

«yadoa teda ki-ger yihyeh zarâkha be’erets lo lahem »

« savoir, tu sauras que ta postérité sera étrangère dans une terre qui n’est pas à eux…» 

Il faut évacuer les notions de « prédiction », « prévision », « prophétie », dans votre esprit c’est une indication claire comme réponse à une perplexité d’Abraham. Lorsque Dieu (ce sont les versets du contexte précédent) de nouveau réaffirme, plus que la promesse, la certitude que c’est la descendance d’Abraham qui doit hériter du pays des Hébreux. 

[J’ouvre une petite parenthèse : Il ne faut pas croire que le lien entre le peuple d’Israël et la terre d’Israël commence avec les « promesses » de Dieu aux Patriarches, et qu’il y aurait un arbitraire qu’aucune culture n’arrive à maîtriser ou accepter. En réalité, il s’agit du « pays des Hébreux » qui est le pays des Hébreux bien avant le temps des patriarches. Ce pays va être appelé « pays de Canaan » parce qu’il était en train d’être conquis pas les Cananéens au temps des patriarches, (cf. avec Abraham le verset 12:7 « וְהַכְּנַעֲנִי, אָז בָּאָרֶץ et le kénani était dans le pays »), mais il est aussi appelé dans la Bible « pays des hébreux ». On n’y prend pas garde parce qu’on croît que l’identité hébraïque commence avec les patriarches alors qu’elle commence en réalité avec un des ancêtres d’Abraham qui s’appelait Ever. C’est pourquoi Avraham est appelé « Avraham ha Ivri – Abraham l’hébreu ». Les Hébreux étaient en diaspora dans la civilisation du temps, la civilisation de Babel. Si vous reliez, l’identité du peuple des Hébreux et l’intitulé de cette terre qui s’appelle « la terre des Hébreux » – j’attends que vous m’interrogiez pour me demander où c’est écrit – alors on se rend compte qu’on ne comprend pas tout de suite pourquoi Dieu à si différentes reprises doit promettre cette terre de façon arbitraire ? Que signifie un caparice de Dieu si on admet l’autorité de Dieu en tant que Tout-Puissant ? Pourquoi lui faut-Il promettre aux Hébreux leur terre alors que c’est leur terre ? Vous devinez que c’est le problème que nous vivons aujourd’hui depuis l’apparition du sionisme, en fait depuis toujours mais officiellement depuis l’apparition de la politique mondiale, il y a une centaine d’années. Je me souviens d’une phrase d’Edmond Fleg humouristique : « Dieu n’a pas promis leur terre aux Goyim et il leur a donné, et à nous il l’a promise et il ne nous l’a pas donnée !» 

Il faut évacuer la notion de « terre de la promesse – terre promise » qui relève du vocabulaire chrétien, récupéré par les ‘Harédim, alors que la réalité du texte biblique directe c’est tout à fait autre chose. C’est la terre des Hébreux. Le ‘Hidoush des promesses de Dieu aux patriarches c’est que la terre des Hébreux appartiendra à Israël. Ce ne sont pas tous les Hébreux qui auront le droit à cette terre, à partir du retour d’Abraham sur cette terre. C’est seule la descendance d’Abraham qui deviendra Israël : la promesse est donnée à Abraham, puis à Isaac, puis à Jacob… Pourquoi ? Parce que de l’identité hébraïque retrouvée dans le retour d’exil d’Abraham sont apparus différentes lignées qui se sont séparées d’Israël. Et seule Israël est héritier de cette promesse que la terre des Hébreux appartient à Israël. Vous comprenez le changement de problème. 

Ce n’est donc pas que Dieu promet sa terre à Israël, c’est que Dieu confirme que les Hébreux c’est Israël. Et tous les descendants des Araméens, les Hébreux de l’exil, revenus à travers la famille d’Abraham sur le pays appelé « le pays de Kenaan » parce qu’en ce temps-là il était conquis par les Cananéens, n’ont pas évidemment le droit à la terre des Hébreux puisqu’ils ne sont plus hébreux.

De la lignée de Lot apparaissent Ammon et Moav. De la lignée d’Ishmaël apparait Ishmaël. De la lignée d’Essav apparait Edom. Ce ne sont plus des Hébreux. Ils le sont à l’origine, avant leur propre histoire, dans leur préhistoire, ils étaient impiqués dans la racine araméenne, que la famille d’Abraham a ramenée d’Our-Qasdim. Qu’est-ce qu’un araméen ? C’est un hébreu d’Our-Qasdim. Un hébreu de Babel. De la même manière qu’un juif était un hébreu de Rome.  

On peut dresser le parallèle strict suivant :  Araméen-hébreu, Juif-israélien.

Et Abraham revient de Babel comme araméen, de la même manière que nous sommes revenu de Rome comme Juifs pour redevenir Hébreux. 

Or, seul de toutes les lignées potentielles de la famille d’Abraham (je dis famille d’Abraham car il y a aussi Loth, qui est le fils de Na’hor), seul Jacob fils d’Isaac, fils d’Abraham, est l’hébreu authentique et à ce moment-là il s’appelle Israël. C’est un tout autre récit. ] 

Retour à la question :

Pourquoi Dieu doit confirmer à Israël la terre des hébreux ?

La question serait une vraie question s’il s’agissait de confier aux Hébreux la terre des Hébreux ! 

Retour au sujet :

Lorsque Dieu réitère à Abraham cette affirmation que la terre dite « terre de Kénaan » car elle était conquise par les Cananéens en ce temps-là le verset est [Gn. 12.6]: 

וְהַכְּנַעֲנִי, אָז בָּאָרֶץ vehaKna’ani az ba’arets»

 

                    Rashi : וְהַכְּנַעֲנִי, אָז בָּאָרֶץ

הָיָה הוֹלֵךְ וְכוֹבֵשׁ אֶת אֶרֶץ יִשְׂרָאֵל מִזַּרְעוֹ שֶׁל שֵׁם שֶׁבְּחֶלְקוֹ שֶׁל שֵׁם נָפְלָה כְּשֶׁחָלַק נֹחַ אֶת הָאָרֶץ לְבָנָיו שֶׁנֶּאֱמַר וּמַלְכִּי צֶדֶק מֶלֶךְ שָׁלֵם לְפִיכָךְ וַיֹּאמֶר אֶל אַבְרָם לְזַרְעֲךָ אֶתֵּן אֶת הָאָרֶץ הַזֹּאת עָתִיד אֲנִי לְהַחֲזִירָהּ לְבָנֶיךָ שֶׁהֵם מִזַּרְעוֹ שֶׁל שֵׁם

Et le Kena‘ani était alors dans le pays : Il était en train de conquérir Erets Israël, alors possession des descendants de Chem. Le pays avait été attribué à Chem lorsque Noa‘h avait partagé la terre entre ses fils, ainsi qu’il est écrit : « et Malki-Tsèdeq [identifié à Chem (Nedarim 32b)], roi de Chalém [future Jérusalem] » (infra 14, 18). C’est pourquoi Dieu dit à Avram : « je donnerai ce pays à ta descendance » (verset suivant). Je le restituerai un jour à tes descendants, qui sont de la descendance de Chem 

A ce moment là, Abraham dit : Seigneur Dieu-Juge répond-il, en quoi saurais-je que j’en hériterai ?

Lekh Lekha 15 :7-8 :

וַיֹּאמֶר, אֵלָיו:  אֲנִי יְהוָה, אֲשֶׁר הוֹצֵאתִיךָ מֵאוּר כַּשְׂדִּים–לָתֶת לְךָ אֶת-הָאָרֶץ הַזֹּאת, לְרִשְׁתָּהּ

Et il lui dit: « Je suis l’Éternel, qui t’ai tiré d’Our-Kasdim, pour te donner ce pays en possession

וַיֹּאמַר:  אֲדֹנָי יְהוִה, בַּמָּה אֵדַע כִּי אִירָשֶׁנָּה

Vayomar Adonay Elohim bamah eda ki irashenah ?

En quoi saurais-je, que j’en hériterais ? 

Il demande une confirmation ! Est-ce que c’est un doute ? Alors c’est invraisemblable que le 1er des croyants doute dès qu’il entend Dieu lui parler ? 

[En français, Abraham est le 1er des « croyants », en hébreu il est le 1er des confiants, il a foi, c’est dire il fait confiance. C’est la vertu de confiance. La vertu de la foi n’est pas de croire, c’est de faire confiance parce qu’on est sûr. Il n’y a que les croix qui croient. Cela me revient en latin : je crois puisque ce n’est pas absurde.

Nous avons raisons d’avoir confiances, et ces raisons-là sont des convictions de certitudes, et non pas la croyance au sens de « croire peut-être ». Amen en hébreu non pas « j’y crois », mais « j’adhère, j’ai confiance ». La vertu de la foi n’est pas d’ordre intellectuel, c’est une vertu d’ordre moral. C’est un consentement à adhérer par certitude, en l’absence de la preuve. Mais le comportement de certitude est le même que lorsqu’il y a présence de la preuve.

Il y a deux substantifs qui proviennent de la même racine :

ð  Emounah = j’adhère en absence de la preuve.

ð  Emet = j’adhère en présence de l’évidence de la preuve. Emet c’est le vrai, Emounah c’est l’objet de foi. Mais c’est le même contenu.

Le verset des Psaumes [92.3] qui éclaire ce sujet :

לְהַגִּיד בַּבֹּקֶר חַסְדֶּךָ וֶאֱמוּנָתְךָ בַּלֵּילוֹת  

Léhaguid Baboker ‘Hasdekha Véémounatekha baleïlot.

le jour où il fait jour c’est clair : alors je parle de ‘Hessed, il y a une évidence du ‘Hessed.

Pour dire ton ‘Hessed, ta fidélité de grâce, c’est difficilement traduisible en français : pour dire à quel point nous Te devons le don que Tu nous a donné, on le voit, il fait jour il fait clair… Baboker au matin. Et le fait que Tu es digne de foi la nuit. L’explication est très simple : Pendant la nuit je sais qu’il y a un soleil mais pourtant je ne le vois pas, mais je l’ai vu pendant le jour ! Donc c’est sûr que je sais qu’il y a un soleil, mais je ne le vois pas : c’est Emounah ! Mais en plein jour ce n’est pas Emounah, je le vois, donc c’est Emet ! 

Je vous cite une Halakhah :

Tant que le temple existait et que la Shekhinah était dévoilée – et nous ne sommes plus en ce temps-lá, nous ne savons plus le diagnostiquer – à chaque Brakhah le peuple ne répondait pas « Baroukh Hou Baroukh Shemo Amen » mais il disait « Baroukh Shem Kevod Malkhouto Leolam Vaed ». Depuis que le temple est détruit et que la Shekhinah est occultée, à la Brakhah on répond : Amen ! J’adhère et je sais pourquoi, bien que je ne vois pas… 

J’ouvre une parenthèse :

Il est interdit de regarder le Kohen durant la Birkat Kohanim. La raison qui est donnée est tirée de sources très anciennes qui ont été formulées à une époque du dévoilement de la Shekhinah. Les gestes du Kohen ne sont pas du folklre : entre les doigts du Kohen passait la lumière de la Shekhinah. Cette lumière était tellement forte qu’elle aveuglait ceux qui la regardaient sans avoir le mérite et la capacité de  pouvoir la supporter. Chose impossible à diagnostiquer aujourd’hui sinon à se faire passer pour un mystique ou un fou. Et c’est encore la même explication que l’on enseigne aujourd’hui : le risque d’aveuglement lorsque le Kohen fait la Brakhah. C’était vrai à l’origine. 

Le sens qui est maintenant donné aujourd’hui après cette période de révélation effective : c’est parce qu’il est interdit de croire que c’est le Kohen qui bénit. Le Kohen se borne à dire : « Que Dieu te bénisse et protège… » Voir le Kohen pendant qu’il bénit risque d’induire cette erreur païenne de croire que c’est  le Kohen qui bénit ! Il ne faut jamais demander à un rabbin : « bénis-moi ! » Il faut demander : « demande à Dieu la bénédiction pour moi ». Cela n’a rien à voir ! Ce n’est pas la même religion ! 

Max Nordau, grand idéologue sioniste, enfant, était très pieux. Sous le talith familial, il a soulevé le voile pour regarder en direction des Kohanim pendant la bénédiction pour vérifier s’il devenait aveugle. Il n’est pas devenu aveugle, mais il a perdu la foi. C’est un peu schématique mais beaucoup de gens ont eu cette expérience-là. Ils ont eu le courage de mettre à l’épreuve des stupidités apprises au Talmud Torah et en ont perdu la foi. Des crises de foi ! Maxa Nordau sa femme a raconté dans ses propres mémoires à elle, que Max Nordau est devenu aveugle à la fin de sa vie. Mais je ne crois pas qu’il y ait un rapport. Ce doit être une coïncidence. (Rires) 

Je vous cite cela pour préciser que la formulation doit être orale. Si on cite la formulation écrite, valable pour une période et ses conditions différentes, alors on dit des énormités.

C’est vrai dans le langage de la foi, de la piété, que si on regarde le Kohen bénir on est aveuglé. C’est un foi aveugle ! Mais la formule vient d’un autre temps. C’est pourquoi je vous parlai de cette lumière qui traversait les doigts du Kohen. La Shekhinah était derrière le Kohen qui bénissait et appelait la lumière de la Shekhinah entre ses doigts יָאֵר יְהוָה פָּנָיו אֵלֶיךָ, וִיחֻנֶּךָּ Yaer Hashem Panav Elékha vi’houneka – Qu’Hachem fasse rayonner sur toi SaChékhina… Ce n’est pas symbolisme du 18ème siécle français, c’est écrit en lettres en hébreu des temps biblique !]    

Retour au sujet : le doute d’Abraham

Le Maharal a beaucoup étudié cette question. Il faut étudier ces sujets-là sur texte. Au niveau d’Abraham ce n’était pas du tout un doute sur la capacité de Dieu à réaliser ce qu’Il « promet » mais c’est qu’il a un doute sur la capacité de mérite de la descendance d’Abraham et non pas d’Abraham lui-même. Et Abraham sait très bien que Dieu se révèle à lui et sait très bien que Dieu a des raisons de le faire. C’est au niveau de la cohérence du récit qu’il faut comprendre cela. 

Lekh Lekha 15:8 :

וַיֹּאמַר:  אֲדֹנָי יְהוִה, בַּמָּה אֵדַע כִּי אִירָשֶׁנָּה

Vayomar Adonay Elohim bamah eda ki irashenah ?

Il répondit: « Dieu-Éternel, comment saurai-je que j’en suis possesseur? » 

C’est ce Ki irashenah qui explique la perplexité d’Abraham au niveau de sa descendance. bamah eda En quoi saurais-je – la ‘daat’ est la connaissance de certitude – que ma descendance sera sur ce pays ? Je le formulerais de cette manière: Abraham a des raisons de se connaître puisque c’est à lui que Dieu parle mais est-ce que sa descendance méritera. Il ne doute pas de lui mais il doute de lui à travers sa descendance. C’est pourquoi le Maharal dit : la vertu exagérée – midah moufrezet dit le Maharal. C’est la maladie des Juifs, cela s’appelle le scrupule moral inutile, exagéré. La vertu exagérée est pire que la vertu opposée : Une charité totale et aveugle cela détruit le monde puisqu’elle permet tous les crimes ! C’est le rôle de la charité absolue de tout pardonner. Donc si le monde se basait sur la charité absolue et totale, le monde serait détruit. C’est également vrai pour la justice stricte exagérée : c’est le légalisme. Mévaleh Olam dit la Guémara.Les juges qui jugent au nom de la justice stricte détruisent le monde. Parce qu’à la première faute on est perdu ! Avec la charité toutes les fautes sont permises, mais avec la justice à la première faute on est perdu ! Il faut donc les deux pour qu’il y ait la vérité morale. On retrouve donc l’unité des valeurs du monothéisme. 

L’explication du Maharal ce n’est pas du tout de dire que c’est un doute de la part d’Abraham mais que c’est une vertu exagérée. Il a surévalué l’exigence de Dieu : Alors que Dieu contracte alliance avec sa descendance et il se demande si sa descendance méritera ?  Mais c’est Dieu qui a décidé et qui sait ce qu’Il fait !  Ce n’est pas un doute de la part d’Abraham sur Dieu mais c’est un doute d’Abraham sur Israël. 

C’est la clause du mérite : « Mérite-t’on suffisamment ? ». L’enseignement du Rav Kook est contre cela : A partir du moment où c’est Dieu qui l’a décidé il ne faut plus parler de la clause du mérite, c’est courir au suicide, parce que si on est jugé pauvres de nous ! C’est sur de tout autres motivations que cette alliance est basée. Il y a une Guémara extraordinaire qui dit : « tama zkhout Avot ! le mérite des pères s’est achevé ! » Il y a si longtemps que cela ne joue plus. Assez de se baser sur le mérite des pères ! Mais la Guémara ajoute : « Brit avot lo tamah » mais l’alliance avec les pères elle n’est pas arrêtée… 

Il faut prendre le temps de remettre en place ces évidences. On est sous l’influence de ce piétisme qui consiste à mettre en jeu la destinée d’Israël dans la clause du mérite. Alors que c’est l’inverse. C’est là le danger de la Midah moufrezet la valeur exagérée selon l’explication du Maharal. 

En fait, Abraham ne doute pas mais demande un signe de confirmation. Avec beaucoup d’humour, la Guémara et c’est là le véritable esprit-sain que l’on rencontre dans la joie de l’étude : l’humour. Le Roua’h haqodesh l’esprit de sainteté c’est l’humour ! Un enseignement de la Guémara : si deux sages se rencontrent sans éclater de rire on doit les condamner à mort, les fusiller. Aujourd’hui on n’en a plus la force, alors on les fusille du regard. Que signifie deux sages qui se prennent au sérieux ? L’humour c’est précisément ne pas se prendre au sérieux…  Quand deux Talmidei ‘Hakahmim se rencontrent, ils commencent par « Milei de dirouta » ils échangent le fer pour savoir à qui ils ont affaires. Ce sont des « blagues de ’Hakhamim. Et chaque fois que dans la Guémara on étudie des choses  très graves dans la Guémara subitement un grand se lève et dit « Gouzma ! Assez exagéré ! » Vous êtes trop sérieux ! Cela vient de l’araméen. 

La vertu exagérée :

Or, en Abraham ce n’est pas une faute, c’était une vertu, car Abraham est l’homme de la Midat Ha’hessed et que cela. Seulement l’erreur c’est de se prendre pour Abraham. Israël n’est pas le juste du ’Hessed et que cela. C’est le juste de l‘unité des valeurs. C’est le rôle d’Abraham d’avoir la vertu du ’Hessed et que cela. Et d’exagérer. C’est pour cela qu’il est authentique. Mais c’est pour cela que la promesse le traverse et n’arrivera que jusqu’à Israël. Elle ne s’arrête pas à Abraham. Ce n’est pas à l’homme de Midat ha’Hessed que la Torah va être donnée. C’est à l’homme de Midat haEmet. 

Suivant le verset [Devarim 33.4] :

תּוֹרָה צִוָּה-לָנוּ, מֹשֶׁה:  מוֹרָשָׁה, קְהִלַּת יַעֲקֹב

 « Torah tsivah lanou Mosheh Morashah Qehilat Yaaqov ».

La Torah que Moïse nous a donnée est un héritage pour la communauté de Jacob. 

Pas d’Abraham ou d’Isaac. Il faut arriver à Jacob qui sera Israël pour que la Torah soit révélée.

Donc voilà le verset d’Abraham qui demande un signe bamah eda ki irashenah ?

Il ne doute pas de Dieu mais il est là dans ce qui est pour nous un piège. Le piége de l’exigence de vertu exagérée. 

Alors Dieu lui répond :

15:13

וַיֹּאמֶר לְאַבְרָם, יָדֹעַ תֵּדַע כִּי-גֵר יִהְיֶה זַרְעֲךָ בְּאֶרֶץ לֹא לָהֶם, וַעֲבָדוּם, וְעִנּוּ אֹתָם–אַרְבַּע מֵאוֹת, שָׁנָה

yadoa teda  ki-guer yihyeh zarâkha  be’erets lo lahem 

Dieu dit à Abram: « Savoir, tu sauras, ta postérité séjournera sur une terre étrangère, où elle sera asservie et opprimée, durant quatre cents ans 

Tu as demandé bamah eda ki irashenah ?

Alors, yadoa teda savoir, tu sauras  (Vous voyez la correspondance des mots)

ki-guer yihyeh zarâkha be’erets lo lahem Étranger tu seras  

il y a déjà là deux niveaux de l’exil :

ð  être Guer étranger : cela veut dire étranger ailleurs que chez soi

ð  be’erets lo lahem être étranger dans une terre qui n’est pas la leur. 

Au niveau de la Guémara : Le Pshat ici ne veut pas dire que je sois étranger dans une terre qui n’est pas la mienne. C’est cela être étranger ! Mais c’est être étranger dans une terre qui n’appartient pas à ses habitants beerets lo lahem – les Egyptiens lahem. La Torah a raconté au moment de la famine que le Pharaon a dépossédé de la propriété de la terre tous les Égyptiens sauf les prêtres de l’Egypte. 

On voit à quel point deux perspectives de civilisations vont s’affronter. En Israël, c’est l’inverse: les prêtres n’ont pas de droits de propriété du sol, alors qu’en Egypte, ce sont les prêtres seuls qui avaient possession du sol !Vous entendez alors le Pshat : ki-guer yihyeh zarâkha  be’erets lo lahem… Et le lo lahem porte sur les Égyptiens.

J’ai été frappé de cela dans l’analogie qu’on a eu dans le temps contemporain avec ce qui s’est passé pour les Juifs en Empire Soviétique. 

Rappellez-vous l’expression  שַׁלַּח אֶת-עַמִּי « Shalakh et ami : Renvoie mon peuple » tirée de celle de Moïse au Pharaon [Ex. 5:1]: C’est par rapport à ce qui se passait en Russie où les Juifs ne pouvait pas sortir comme les Hébreux du temps de l’Egypte, que cette expression a été employée mais l’Agence Juive l’a employé à sa manière. Moïse avait dit [Ex. 5:1] :

שַׁלַּח אֶת-עַמִּי, וְיָחֹגּוּ לִי בַּמִּדְבָּר

« Shalakh et ami vé ya’hgou li Bamidbar – Renvoie mon peuple et qu’il me serve dans le désert…»

A l’agence juive on a dit : Shalakh et ami… pour qu’ils s’inscrivent à la Avodah… (Rires).

L’empire soviétique était précisément un régime où la terre n’était pas à ses habitants. Exactement comme en Egypte. L’analogie a été jusque-là ! 

Q : On est frappé du rôle de Joseph dans ce processus de dépossession en Egypte ?

R : Effectivement, Joseph a participé à l’installation du régime égyptien en Egypte. Le rôle d’Israël dans le fonctionnement économiques des puissances du temps est un autre problème qui est permanent. A chaque période on trouve un hébreu ou un juif au poste de gestion de l’économie de la civilisation en question. C’est le rôle de Joseph. Joseph d’après tout ce que nous apprenons des commentaires sur la formulation du voyage de Joseph en Egypte, il voulait hébraïser l’Egypte. Mais l’identité égyptienne a été plus forte que l’intention de Joseph. C’est le Remez. Je vous invite à relire l’histoire de Joseph à travers les commentaires du Midrash, en commençant par Rashi, qui nous indique clairement cette intention de Joseph d’hébraïser l’Egypte. 

Bereshit 39.3 :

וַיַּרְא אֲדֹנָיו, כִּי יְהוָה אִתּוֹ

Son maître vit que Dieu était avec lui.

Rashi :

כִּי ה’ אִתּוֹ

שֵׁם שָׁמַיִם שָׁגוּר בְּפִיו

Ki Hashem Ito

Shem Shamayim béfiv

Que Hachem était avec lui : Le nom Shamayim à sa bouche (Midrach tan‘houma 8).

Cela va jusque là dans le Midrash : il avait pris des décrêts pour imposer la circoncision, le repos hebdomadaire…etc. On ne parlait pas de Brit milah ou de Shabat mais on parlait à la manière des socialistes juifs, du repos hebdomadaire minimum et des lois d’hygiènes… 

Au temps de mes études je me souviens des congés payés imposés par Léon Blum à la France : c’était là Joseph à l’œuvre. Il s’appelait Léon. 

Schématiquement par manque de temps : Joseph a voulu hébraïser l’Egypte mais l’Egypte a elle aussi égyptianisé Joseph. Je cite un des Midrashim : au point que lorsque Jacob va rencontrer Joseph à la fin de cette histoire, le Midrash indique que Jacob n’a pas reconnu Joseph, parce qu’il avait une barbe égyptienne. Finalement, il faut que spectaculairement Joseph se dévoile pour dire que malgré les apparences : « Je suis Joseph votre frère !». Phrase dite par Pie XI à une délégation du Congrés Juifs Américain. 

Q : be’erets lo lahem c’était aussi Erets Israël puisque les 400 ans commencent depuis Its’haq ?

R : Nakhon, cela c’est au niveau du Drash. Vous avez absolument raison. C’est en général relié…

Erets Mitsraïm Hi Beit Avadim. Et Beit Avadim cela veut dire la maison des esclaves. Mais le sens est que les esclaves ce sont les Égyptiens. Ils étaient déjà les esclaves du Pharaon et nous étions esclaves d’esclaves. Il faudrait creuser l’analogie avec le régime soviétique qui avait une structure très analogue et qu’on retrouve d’ailleurs dans l’empire d’Assuérus. Il y avait le potentat – ici le Pharaon – et puis le parti du potentat, et puis le peuple. De la même manière dans l’empire soviétique, comme dans l’empire d’Assuérus, il y avait le pouvoir impérial, le parti des Amalécites et le peuple – et dans l’empire soviétique il y avait le dictateur, le parti communiste et les minorités nationales. Par conséquent, les soviétiques eux-mêmes étaient esclaves d’esclaves… Un peu dans ce sens. 

Je continue :

יָדֹעַ תֵּדַע כִּי-גֵר יִהְיֶה זַרְעֲךָ בְּאֶרֶץ לֹא לָהֶם

Yadoâ Tédâ ki-guer yihyeh zarâkha  be’erets lo lahem  

Deux degrés déjà, vous retrouverez les 4 degrés qui sont 5 de la délivrance qui correspondent aux 4 coupes qui sont 5 dans le Seder de Pessa’h. Cf. la parashah Beshala’h de la semaine prochaine. Les niveaux de la délivrance correspondent aux niveaux de la servitude. 

Lekh lekha 15 :13

וַיֹּאמֶר לְאַבְרָם, יָדֹעַ תֵּדַע כִּי-גֵר יִהְיֶה זַרְעֲךָ בְּאֶרֶץ לֹא לָהֶם, וַעֲבָדוּם, וְעִנּוּ אֹתָם–אַרְבַּע מֵאוֹת, שָׁנָה

Vayomer le-Avram Il dit à Avram

yadoa teda savoir tu sauras

ki-ger yihyeh zar’acha car étrangère sera ta descendance 

be’erets lo lahem dans une terre qui n’est pas à eux

va’avadoum  et asservis

ve’inou otam et oppressés

 arba me’ot shanah. 400 ans 

וְגַם אֶת-הַגּוֹי אֲשֶׁר יַעֲבֹדוּ, דָּן אָנֹכִי; וְאַחֲרֵי-כֵן יֵצְאוּ, בִּרְכֻשׁ גָּדוֹל

Vegam et-hagoy asher ya’avodu dan anochi ve’acharey-chen yets’u birechush gadol

Mais, à son tour, la nation qu’ils serviront sera jugée par moi; et alors ils la quitteront avec de grandes richesses.

Puisque ce verset a été dit, c’est la question de Maïmonide, pourquoi punir les Égyptiens et Pharaon ? C’est prévu dans la marche du monde ! 

Rambam répond : ce n’est pas du tout un décret que Dieu décide que les Égyptiens se conduiraient ainsi. Dieu, nous dit Maïmonide, prévient les Hébreux de ce qui va se passer d’après les lois de fonctionnement des sociétés humaines. Tel que le Créateur du monde a créé Son monde, il y a des lois, même en sociologie. Nous sommes de nouveau dans le monothéisme strict.

Alors Abraham est averti et sa descendance est avertie à travers lui : Sachez que vous allez être ailleurs que chez vous. Parce que c’est ainsi que cela fonctionne lorsqu’une minorité étrangère s’installe dans une métropole impérialiste ! Exactement, dans toutes les sociétés, lorsque une minorité étrangère s’installe dans un régime qui devient totalitaire, inévitablement le racisme apparait, la xénophobie apparait…

Je vous cite Rambam :

Dieu prévient Abraham de ce qui va arriver. Dans quelle éventualité ? Ce que la Torah va nous raconter lorsque les Hébreux se sont installés en Egypte. Ils se sont installés en Egypte en tant qu’hébreux dans le ghetto de Goshen. Avec le temps, le phénomène de saturation…

Inévitablement cela se produit étape par étapes, commençant par le temps de gloire au temps de Joseph. Après ce temps de gloire avec Joseph, il fallait décrocher ! Or, on s’est entêté à rester dans cette ambivalence qui a rendu les Égyptiens oppresseurs. 

L’histoire exemplaire de ce qui arrive au minorités juives dans les sociétés goyim : l’histoire du juif polonais fuyant la persécution des ghettos polonais qui s’installe en Allemagne après la 1ère guerre mondiale au temps de la république de Weimar. Il devient rapidement citoyen de la république allemande et professeur à l’université de Berlin. Un ami à lui professeur allemand s’inquiète de la tournure politique et lui conseille de partir pour l’Amérique. L’autre s’entête à rester, se croyant citoyen allemand protégé par les lois allemandes !

– Mais je suis citoyen allemand protégé par les lois allemandes !

– Si toi tu es citoyen allemand protégé par les lois allemandes qui suis-je moi ?

– Toi, tu es Goï !

Résultat : la fureur de l’Allemagne avec son führer…

On les a rendu furieux. Imaginez ce qui se passe : Les Hébreux s’installent en Egypte.  Il y a une fonction Joseph racontée par la Torah : Il faut sanctifier l’Egypte, sauver la civilisation, se mettre au service des valeurs du temps… Mais, conséquence logique, on s’installe. On s’installe comme Hébreux en Egypte. A la fin, c’est la réaction racontée dans les 1ers versets du livre de Shémot… Toutes les accusations contre eux. Il y a un phénomène de saturation, qui une fois dépassé, déclenche le processus. 

Je continue de citer Maïmonide : C’est cela que Dieu annonce à Abraham et non pas qu’Il a décidé par caprice de Tout-Puissant de faire que les Egyptiens allaient persécuter les Hébreux. Il avertit les Hébreux de ce qui risque d’arriver si cette histoire se développe. Dieu donne une cours de sociologie à Abraham. 

Maïmonide ajoute :

Les Egyptiens ne vont pas être punis d’avoir été xénophobes mais punis d’avoir exagéré. Ils vont être punis d’avoir mené leur sentiment naturel de xénophobie, déclenché par dépassement du seuil de saturation, à son paroxysme et d’avoir oppressé trop fortement. 

C’est l’explication de Maïmonide qui est très cohérente et qui permet d’évacuer l’objection théologique. C’est toujours ce qui se passe lorsqu’une minorité s’entête dans l’installation, qui réussit dans le ghetto et refuse l’assimilation au dernier moment dit qu’il est hébreu : une fureur survient. 

La femme de Poutifar désire des enfants de Joseph : il refuse car il est hébreu ! Et lui laisse entre les mains son déguisement. Elle convoque alors son mari pour le punir… 

Une objection à cet enseignement de Maïmonide qui ne manque pas de cohérence et de puissance, c’est qu’on ne rend pas compte si Maïmonide prend les Egyptiens pour des anges ou pas ?

Les Egyptiens sont des Egyptiens, et à partir du moment où cela leur arrive ils sont ces oppresseurs.

Il faudrait qu’ils soient des anges pour que cela se passe autrement. Or ce n’est pas le cas, il faut donc s’en méfier. 

Par conséquent, l’explication de Maïmonide serait vraie si les Egyptiens étaient au niveau de Maïmonide. Mais les Égyptiens n’y sont pas ! Il faudrait donc ajouter une clause à l’enseignement de Maïmonide : voilà comment cela serait si les Égyptiens étaient comme les Hébreux…

Vous voyez c’est le piège de nos négociations à chaque fois : on raisonne comme si c’était des Hébreux. 

Je crois que c’est en général ce qu’il faut dire de l’enseignement de Maïmonide. C’est un enseignement très aristocratique. Il parle pour les vrais hommes, au niveau de Maïmonide. Il ne dira jamais comme les autres rabbins que c’est la faute des Juifs. On n’a pas le dorit de calmonier les Juifs. C’est un avertissement à faire attention : voilà ce qui se passe.

L’exemple qui m’a toujours frappé dans son enseignement. Pour bien comprendre Maïmonide il faut se mettre à sa hauteur. C’est lorsqu’il enseigne de manière tellement radicale tranquille et sereine que l’homme est libre. Un point. Voilà le bien, voilà le mal. Je t’ai fais libre, tu choisirais le bien, c’est toi qui es responsable si tu choisis le mal…

Mais Maïmonide est médecin : il sait très bien que l’homme n’est que quasiment libre et chacun dans les conditionnements où il est. Et il les connait puisqu’il les décrit tant dans les Mishnei Torah que dans les Shmoneh Prakim… Il est le 1er grand psychologue de la tradition juive qui a systématisé l’enseignement de psychologie nécessaire pour aborder le problème moral. Il connait donc très bien les limites du conditionnement de la liberté de chacun. Et pourtant, il nous dit tranquillement : l’homme est libre. Il parle des hommes entièrement libérés, alors ils sont libres. C’est un exemple extrêmement éclairant. Il y a beaucoup de petits philosophes qui objectent à Maïmonide cette question du conditionnement qui pèse sur la liberté. Mais Maïmonide est un médecin qui sait très bien de quoi il parle. Il y a là un avertissement.***

Q : Maïmonide explique la cohérence sociologique avec ce phénomène de rejet et tout ce qui est demandé aux Égyptiens c’est de ne pas exagérer, est-ce ce qu’on a vécu ?

R : Nous avons tellement été habitués d’apprendre ce fait que les Égyptiens sont des barbares et les Hébreux de petits saints. Mais cela ne marche pas.  

A l’époque en France, dans le 9ème arrondissement, il y avait un seul restaurant cachère. Il fallait passait par une porte cochére ! Il y a eu une clandestinité de la vie juive des Juifs ashkénazes, habitués à se comporter comme on le fait quand on n’est pas chez soi. Lorsque les Juifs nord-africains sont arrivés en France, ils sont venus avec leur habitude de minorité vivant comme chez eux en Afrique du nord, et avec leur certitude juive ancestrale d’être chez eux. D’autant plus qu’ils parlaient français, avec un accent authentique. Maintenant dans le 9ème arrondissement la vie juive foisonne, avec de nombreux restaurants kasher, boucherie… label du Beit Din… Alors que ce sont les Goyim qui sont chez eux ! Imaginez à ’Haïfah dans un quartier arabe chrétien un restaurateur arabe chrétien de ‘Haïfa en hébreu écrirait « charcuterie pur porc garantie par l’évêque du coin »…Ce serait l’émeute garantie chez les Juifs ! Il y a une telle imprudence qui induit ce que ce verset décrit : Yadoa téda : méfies-toi ! 

Je finis avec cette explication de Ma¨monide pour passer à un autre sujet.

L’explication de Maïmonide est très cohérente, mais il ne faut pas se laisser prendre au piège, en réalité c’est un avertissement.

Dans toute la suite du récit de la fin du livre de Béreshit, les Hébreux s’installent tranquillement en Egypte, sans se rendre compte qu’ils construisent eux-mêmes le piège qui va se refermer sur eux. Et cela s’est passé comme cela partout avec les Juifs. 

Depuis que je suis israélien, je n’ai, pas seulement le courage, mais la possibilité de me mettre à la place des français. Tant que je me prenais pour un français puisque j’étais juif algérien, je ne pouvais pas ! Mais depuis que je suis israélien j’apprécie d’autant mieux ce que veut dire d’être français en soi. D’arriver ne serait-ce que par l’imagination à me mettre à leur place et moi je suis pris d’admiration pour leur patience…

Voilà l’explication de Maïmonide. Reste à comprendre pourquoi les Égyptiens ont reçu les plaies ?

Q : Est-ce que le 1er stade selon Maïmonide, c’est-à-dire qu’ils vont partir en Galout, cela fait aussi partie d’un processus sociologique ?

R : Oui très bien. Cette question a été posée aussi par les commentateurs.

Sans arriver encore aux causes de la Galout, est-ce que la finalité de la Galout et la fatalité des processus décrits plus haut – en ne citant que Rambam parmi d’autres explications possibles – n’est-ce pas paradoxal que la 1èreannonce de Dieu, qui confirme à la descendance d’Abraham sa terre, soit celle de l’exil ? 

Abraham pour les raisons vues précédemment demande à Dieu un signe pour le rassurer que malgré sa perplexité sa descendance héritera de cette terre. Quel signe lui donne Dieu ? On ne se rend pas compte de ce qu’onlit ! Dieu lui répond : « Tu veux une preuve ? Ta descendance sera en exil ! » Quel est le rapport ? C’est contradictoire et incohérent ! 

Je vous donnerais 2 réponses : 

=> La première est tirée du livre du frère du Maharal de Prague, peu connu parce qu’éclipsé par son frère plus connu. C’est le Rav ‘Hayim Ben Betsalel dans son livre Sefer Ha’Hayim dans lequel il donne 14 ou 15 explications de l’exil. L’un d’elles résumé lapidairement : Abraham demande quelle est le signe qui l’assurera que cette terre est la sienne. Dieu lui répond : tu n’es pas sûre que cette terre est la tienne ? Tu iras donc ailleurs. Et quand tu seras sûr qu’ailleurs ce n’est pas chez toi, tu reviendras chez toi ! Or, c’est ce qui nous est arrivé : qui est revenu en Israël ? Quelques soient les cheminements personnels d’équations personnelles de chacun, c’est ceux qui ont pris acte qu’ils n’étaient pas chez eux ailleurs. C’est ce qui définit ce sionisme négatif : nous sommes chez nous ici ! Mais c’est autre chose qu’il s’est passé : c’est qu’ils n’étaient pas chez eux ailleurs ! Sauf les vrais pionniers qui sont venus ici pour être chez eux. Il y a tellement de Juifs qui sont venus ici parce qu’ils n’étaient pas chez eux ailleurs, que cela ne va pas très bien ici pour eux. Ils étaient motivés par cette expérience que décrit le Rav ‘Hayim, mais il n’y avait pas vraiment la motivation   de venir ici chez eux. Finalement, ils se conduisent comme si ici ce n’était pas chez eux mais chez les cousins. Un livre de Ilan Greilsammer professeur politologue paru l’année dernière (Repenser Israël – 1993) de l’université de Bar Ilan qui a demandé une chapitre à une dixaine de professeur dont moi pour parler du problème des droits réciprosques des Juifs et des Arebs sur Erets Israël. Cela a paru au moment des accords de septembre d’aillers. Cela a fait un succès de libraire mais ce n’était pas prévu. Dans sa préface il dit quelque chose qui m’a beaucoup frappé : pour la majorité des israéliens le lien à la terre est un lien de tourisme ou d’archéologie.

En fait ce n’est pas du tout vrai pour les sionistes qui sont arrivés ici. Les sionistes arrivant ici croyants ou pas, pratiquants ou pas, sont venus ici reconstruire leur patrie. Et en plus ils faisaient du tourisme et de l’archéologie ! Mais la premiére généraiton des descendants elle a fait du tourisme et de l’archéologie et a mis en question la légitimité de notre patrie. Dans quel milieu ? Dans les milieux qui ne sont pas revenus dans leur patrie mais qui sont partis des « non-patries » où ils n’ont pas été acceptés ! Cela va dans ce sens-là.

Et l’explicaiton du frère du Maharal rend la question cohérente : Le seul moyen de savoir si tu es chez toi là où tu vis, si tu as un doute, c’est d’aller chez les autres. Lorsque le doute sera évacué tu reviendras chez toi. 

Le Maharal répond lui à cette quesiton de la manière suivante:

En Abraham ce doute n’est pas un doute mais c’est une perplexité qui est vertu. Vertu exagérée mais lui il en a le droit. Mais si sa descendance a ce doute, c’est une faute. Et ce doute dans sa descendance qui est une faute sera puni par l’exil. Mais finalement l’exil punit quoi ? L’exil punit l’exil ! C’est une légende de dire que l’exil punit nos fautes ! Cela contredit toute la théologie de la Torah : une certaine génération aurait fauté et les enfants sont punis pendant 2000 ans ??? C’est le thème du péché originel à la mode janséniste. Ce n’est pas du tout juif!   

En fait l’exil punit l’exil. L’exil punit l’entêtement à rester dans l’exil. C’est le prophéte Isaïe qui l’enseigne. Vous ne voulez pas revenir ? Il arrivera un temps où vous ne pourrez pas revenir. Cela vous punira de ne pas être revenu quand vous pouviez revenir… 

Les 1er versets de Parashat Bo donnent la réponse à notre question.

Lorsque Moïse ne voyant pas la délivrance arriver et voyant au contraire une accélération de l’asservissement demande à Dieu dans les versets précédents de la Parashah précédente Vaéra : Pourquoi cela arrive-t’il comme cela ? (C’est un autre sujet)

Alors Dieu lui répond : 

Bo 10 :1

וַיֹּאמֶר יְהוָה אֶל-מֹשֶׁה, בֹּא אֶל-פַּרְעֹה:  כִּי-אֲנִי הִכְבַּדְתִּי אֶת-לִבּוֹ, וְאֶת-לֵב עֲבָדָיו, לְמַעַן שִׁתִי אֹתֹתַי אֵלֶּה, בְּקִרְבּוֹ

Vayomer Hashem el-Moshe bo el-Par’oh

ki-ani hi’hbadeti et-libo ve’et-lev avadav lema’an shiti ototay eleh bekirbo. 

וַיֹּאמֶר יְהוָה אֶל-מֹשֶׁה, בֹּא אֶל-פַּרְעֹה

Vayomer Hashem el-Moshe bo el-Par’oh

Viens chez Pharaon 

Le sens est « Va chez le Pharaon » mais en hébreu on a « Viens chez le Pharaon ».

La voix qui parle à Moïse est chez le Pharaon et lui dit « Viens chez Pharaon ! ».

Le Midrash du Zohar explique : « pour Me délivrer ». 

La Shekhinah est en exil lorsqu’Israël est en exil. Alors elle lui parle du dedans de l’exil d’où elle doit être délivrée pour demander à Moïse « Viens Me délivrer ! »

Bo el-Paroh et non pas Lekh el Paro ! 

כִּי-אֲנִי הִכְבַּדְתִּי אֶת-לִבּוֹ, וְאֶת-לֵב עֲבָדָיו

ki-ani hi’hbadeti et-libo ve’et-lev avadav

Car c’est Moi qui est appesanti son cœur et le cœur de ses serviteurs

לְמַעַן שִׁתִי אֹתֹתַי אֵלֶּה, בְּקִרְבּוֹ

lema’an shiti ototay eleh bekirbo.

Afin de placer Mes signes en son sein. 

Deux raisons : premièrement pour que les Égyptiens me reconnaissent et deuxièmement : 

וּלְמַעַן תְּסַפֵּר בְּאָזְנֵי בִנְךָ וּבֶן-בִּנְךָ, אֵת אֲשֶׁר הִתְעַלַּלְתִּי בְּמִצְרַיִם, וְאֶת-אֹתֹתַי, אֲשֶׁר-שַׂמְתִּי בָם; וִידַעְתֶּם, כִּי-אֲנִי יְהוָה

Oulema’an tesaper be’ozney vinkha ouven-binkha

et asher hit’alalti beMitsrayim ve’et-ototay asher-samti vam vidatem ki-ani Adonay. 

וּלְמַעַן תְּסַפֵּר בְּאָזְנֵי בִנְךָ וּבֶן-בִּנְךָ, אֵת אֲשֶׁר הִתְעַלַּלְתִּי בְּמִצְרַיִם, וְאֶת-אֹתֹתַי, אֲשֶׁר-שַׂמְתִּי בָם; וִידַעְתֶּם, כִּי-אֲנִי יְהוָה

Oulema’an tesaper

Pour raconter

be’ozney vinkha ouven-binkha

Aux oreilles de ton fils et de ton petit-fils

et asher hit’alalti beMitsrayim

Comment Je me suis joué de l’Egypte

ve’et-ototay asher-samti.

Et Mes signes que J’ai faits parmi eux 

L’essentiel de ce qu’il nous dit ici est tout à fait autre chose. 

Schématiquement, et sans passer par tous le détail de l’argumentation et de l’analyse mais pour arriver à l’essentiel : Vous étiez en Egypte en vue de quoi ? Pour quelle finalité ?

Il y avait une finalité et vous n’y êtes pas parvenu dans votre mission. Alors prend patience Moïse, Je vais faire Moi ce que vous n’avez pas réussi à faire, et lorsque J’aurai réussi alors seulement vous sortirez. 

Et en plus, avec cela, il y a eu ces deux autres dimensions :

=> d’une part laisser les Égyptiens du Pharaon laisser partir de leur propre volonté les Hébreux malgré le contrat de travail de 400 ans, et c’est 190 ans avant la fin pour éviter que le peuple Israël ne disparaisse que Dieu décide que Moïse ferait la sortie d’Egypte sur Son ordre, 

=> et d’autre part de punir le mal que les égyptiens avaient faits. 

Ce sont là deux dimensions importantes mais secondes par rapport à la dimension centrale qui nous est dite en clair dans le récit. Quoiqu’il en soit c’est ce que raconte les Hébreux et les Juifs en exil : en mission pour dévoiler le nom de Dieu dans les nations. C’est un échec donc Dieu le fait lui-même. Il ne faut pas que cette histoire n’ait servi à rien. Prenez donc patience jusqu’à que cela se dévoile : et que les Égyptiens le reconnaissent et que vous puissiez expliquer à vos descendants qui ne le croiront pas que le Créateur intervient dans l’histoire. Car c’est cela la faute d’Israël. Le processus est donc celui des 10 plaies. 

La mentalité spirituelle, philosophique et religieuse de l’Egypte de ce temps, c’était ce que les historiens des religions appellent « l’astrobiologie ». C’est-à-dire une correspondance entre les forces cosmiques et la vie terrestre. La vie terrestre déterminée de manière fatale par le mouvement des astres. C’était les grandes religions païennes de l’antiquité que les modernes sont incapables de comprendre. L’astrologie moderne tente un peu de rationaliser cette astrologie de l’antiquité. Pour les spécialistes de l’antiquité, le principe est le suivant : tout est déterminé dans le monde, tous les phénomènes sont déterminés, le phénomène de la vie aussi est déterminé par ce que de manière folklorique on appelle l’horoscope, c’est-à-dire la situation des astres tels qu’ils influent sur la vie biologique. C’est la sensibilité religieuse des grands paganismes de l’antiquité. 

Et par conséquent, le rôle de l’Israël hébreu est d’introduire une révélation, qu’au-delà des déterminations cosmiques il y a la volonté transcendante et libre du Créateur. C’est ce qu’Israël doit révéler au monde : le Nom de Dieu. 

Joseph et les Hébreux ont échoué dans cette révélation : au lieu d’être les prêtres du pays d’Egypte, ils sont devenus les commerçants du pays de Goshen. Vous voyez à quel point c’est dramatique. 

Alors Dieu se révèle à Moïse pour lui demander de prendre patience. Il faut que l’Egypte, par cette intervention divine, finisse par découvrir ce que les Hébreux devaient leur révéler ; et que les Hébreux se servent de ces événements de la sortie d’Egypte comme mémoire historique pour enseigner à leurs enfants quel est le Dieu d’Israël. C’est-à-dire la volonté libre du Créateur qui intervient au-delà et du dedans même des conditionnements naturels que ce même Créateur a imposé dans le fonctionnement de son monde. C’est la théologie du monothéisme hébreu purement et simplement. 

Vous suivrez par là la progression de la découverte de cette révélation par Pharaon et les Égyptiens.

De plus en plus, il se dévoile à eux qu’une volonté libre agit à travers les déterminismes des lois naturels. C’est pourquoi il a fallu ces dix degrés qui correspondent aux dix Paroles de la Création et aux dix valeurs des Dix commandements. Ces dix valeurs des Dix commandements violés par les Egyptiens d’où les dix punitions, et les Dix Paroles de la révélation: dévoilement du Nom de Dieu. 

J’ai beaucoup schématisé, j’espère que c’est clair. C’est cela l’essentiel. Les Hébreux ont échoué à faire comprendre à cette civilisation qu’il y a une Providence, alors Dieu va le faire lui-même, et il faut prendre patience jusqu’au bout… 

On le voit en suivant chacune des plaies. Lorsqu’on arrive au stade où les Égyptiens sont obligés de reconnaître qu’une intelligence libre agit parce que la plaie sélective touche les Égyptiens et pas les hébreux. Ils commencent alors par être pris de panique. C’est alors que la deuxième partie des dix plaies commence. Chaque fois, il y a une gradation  jusqu’à ce qu’on arrive au moment de la 10ème plaie, où l’intervention de la plaie se fait dans le choix ponctuel des premiers-nés et pas de n’importe quel égyptien, alors la civilisation égyptienne est obligée de se rendre à l’évidence qu’une volonté libre gère le monde. 

Imaginez le temps et le processus qu’il fallait pour qu’une telle révélation apparaisse dans une telle mentalité. 

C’est cela la réponse. L’essentiel nous est donné dans les premiers versets de notre Parashah. La finalité des plaies c’est que Dieu se révèle pour que les Égyptiens découvrent ce que les Hébreux auraient du leur enseigner et qu’ils n’ont pas été capables de faire. Se pose alors la question : les Égyptiens étaient-ils éducables ?   

Midrash :

Selon un Midrash, un seul a fini par comprendre c’est Pharaon lui-même.

Shemot 15:11 :

מִי-כָמֹכָה בָּאֵלִם יְהוָה  מִי  כָּמֹכָה נֶאְדָּר בַּקֹּדֶשׁ

Mi Khamokha Baelim Hashem « Mi kamokha baElim Hashem Mikhamokha elav baqodesh »

Au moment où l’armée égyptienne est engloutie dans la mer, le Pharaon a compris : il y a une providence. Et  alors il dit avant de mourir « MaKaBY : Mi kamokha baElim Hashem»  

Midrash :

Le Midrash se base sur une indication du texte.

Beshala’h 14.28:

לֹא-נִשְׁאַר בָּהֶם, עַד-אֶחָד

lo nish’ar bahem ad-echad – il n’est pas resté d’eux un seul.

Le Pshat le plus simple : il n’est resté personne sauf le E’had de Mitsraïm qui est Pharaon.

Le verset dit : « Ils ont disparu jusqu’au un »

Sauf un qui était le un de l’Egypte, Pharaon, qui a été sauvé pour avoir reconnu Dieu in extremis… 

Et d’autre part : pour que ce soit une référence à la mémoire de la descendance d’Israël et c’est bien le cas : quel est la foi d’Israël à travers les siècles et les millénaires ? C’est ce récit qu’on se raconte de génération en génération et d’année en année, de ce qui s’est passé dans cette intervention de Dieu dans l’histoire, au temps de cette civilisation égyptienne. Et finalement il n’y pas que  les Juifs qui puisent leur certitude de foi dans cette mémoire. Le cas le plus évident est celui du monde chrétien dans sa référence de foi propre à ce qu’ils nomment « les Pâques ». Malgré la transmutation des concepts de l’univers juif au chrétien c’est bien de l’évènement de la Pâques qu’ils prennent comme événement référentiel de la certitude du salut : c’est donc la sortie d’Egypte qui dévoile le Dieu de la Bible à l’univers entier. Les Chrétiens ont mis 2000 ans à s’apercevoir que c’est Jérusalem qui est bien Jérusalem et non pas Rome. Pendant 2000 ans on n’a pas réussi à faire comprendre aux Romains que Jérusalem est Jérusalam. Il a fallu 2000 ans pour que Rome vienne à Jérusalem. 

Résumé : 

Je résume pour que ce soit bien clair.

Effectivement, c’est vrai qu’il fallait délivrer Israël et punir les Égyptiens. Mais il fallait que les Égyptiens de par leur consentement mettent fin à l’exil d’Israël en Egypte, parce que corollairement ils auraient reconnu la finalité de ce voyage des Hébreux en Egypte. Et comme les choses s’accélèrent parce que le peuple hébreu est tellement persécuté et assimilé qu’il risque de disparaître, alors c’est Dieu qui intervient pour faire en 10 plaies, ce que nous aurions du faire en 400 ans ou même en une génération si nous en étions capable. 

Nous avons mis 2000 ans pour enseigner à l’humanité : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même, Ani Hashem » et pendant 2000 ans personne n’a compris. Tout le monde est sûr que c’est cela la vérité, et personne ne sait comment cela fonctionne, comment l’appliquer, comme on dit en hébreu « comment ce cela se mange ». C’est cela l’essentiel et comment le faire ? Personne ne le sait ! Est-ce que nous le savons nous-mêmes et est-ce que nous savons l’enseigner ? C’est cela le drame ! Si j’avais le temps je vous donnerais plusieurs autres dimensions du même enseignement mais je crois que c’est l’essentiel. 

Ces deux premières thèses sont vraies :

=> délivrer Israël. 

=> que l’Egypte décide qu’Israël soit délivré.

Et corollairement il faut que l’Egypte soit punie de sa méchanceté. 

A chaque fin d’exil, on assiste au même phénomène. Dieu attend que les Goyim donnent le feu vert. Sinon on n’a pas le droit de sortir.  Il faut que le Pharaon qui est la puissance politique du temps donne son aval pour que cela puisse se faire. Il ne le dira pas contraint et forcé, trois jours après il se ravise mais c’est trop tard. C’est son consentement qu’on attend, parce qu’il y a un contrat de travail entre Israël et l’humanité. Et l’humanité le ressent confusément. Et les Juifs aussi d’ailleurs. Exemple de la Russie : les Russes refusaient de laisser partir leur Juifs. Et les Juifs refusaient de quitter la Russie… jusqu’à ce que soient contraints et forcés, les uns et les autres…  

A la fin du 2ème exil c’est la même chose, il a fallu le feu vert de la puissance politique de ce temps qui était Cyrus. La reconstruction du temple à Jérusalem n’était pas possible avant cela. Les Juifs ont refusé et sont restés à Babel pour y fonder le judaïsme babylonien, dont le dernier des grands représentants est le Rav Ovadia Yossef. Vous remarquez qu’il s’appelle Yossef ! Ce n’est pas de ma faute. Si c’était moi, je l’aurais appelé Yéhoudah pour éviter que cela se passe comme ça ! 

De notre temps c’est la même chose : il a fallu au bout de 2000 ans que la civilisation contemporaine change de principe politique – pendant 2000 ans c’était le principe des nationalités – pendant ce temps-là, les Juifs était un peuple qui n’avait pas sa nationalité – et quelque soit les choses analogues qu’il y a eu pour les autres minorités, il y a toujours une différence de nature – au moment où l’humanité dite civilisée commence à envisager de renoncer à la souveraineté partielle des patries pour instituer une souveraineté universelle, cela commence par la Société des Nations la SDN, c’est à ce moment-là que le peuple juif réclame sa nationalité, et il fallait une instance universelle pour la lui donner. Avant la création de la SDN la déclaration Balfour était impensable. Avant l’O.N.U. l’état d’Israël était impensable. Pour les historiens de l’avenir il ne restera que 2 choses à mettre à l’actif de la SDN et de l’ONU : pour la SDN enregistrer la déclaration Balfour et pour l’ONU enregistrer la proclamation de l’Etat d’Israël. Qu’ont–ils fait d’autre ?  Tout le monde oubliera… 

C’est la même chose : Pharaon – Cyrus – Balfour. C’est le même processus. Mais l’essentiel c’est cela. Savoir si nous avons quand même réussi à faire notre travail d’exil ? On n’a pas réussi alors Dieu le fait à travers les catastrophes… 

Q : Dans ce parallèle entre la sortie d’exil actuelle d’Europe et la sortie d’Egypte, où sont les dix plaies actuelles de cette fin d’exil ?

R : C’est à propos de cela que le Psaume dit : « Ils ont des yeux et ne voient pas ». Vous ëtes vraiment désarmant. Je n’ai pas le temps maintenant, mais il faudrait vous décrire ce qui se passe actuellement sur la planète, et en particulier dans la civilisation européenne qui est en question et qui en est le foyer. Nous vivons évidement une période de mutations à travers des catastrophes. Les rabbins ont toujours interdit d’établir ces correspondances détaillées. Les prophètes parlant des événements de fins des temps n’en parlent toujours que de façon globale. C’est interdit de rechercher des correspondances de details à détails.

Il y a en particulier toute une lettre de Maïmonide qui s’appelle « Yered Temam » lorsque  les Juifs du Yemen à l’occasion d’un faux messie, où il leur précise que les prophètes n’ont parlé que de manière globale. Chercher des signes dans le détail c’est révélateur de la plus grande superstition.

Cela ne veut pas dire que ces correspondances n’existent pas, mais il n’y a que ceux qui sont capables de les étudier qui les étudient, c’est le Nistar. D’une manière générale, c’est d’une massivité telle, c’est énorme. Tout ce que le Talmud a enseigné doit se comprendre par le biais de cette massivité. Je vous cite le Rav Kouk : 2000 ans c’est énorme. Il n’y a pas de chose plus massive que cela. Et au bout de 2000 ans, c’est l’événement qui est en lui-même son propre signe ! Chercher un signe autre que l’événement, après 2000 ans d’attente et d’espérance, c’est pire que manquer de foi, c’est le contraire de la foi ! Après 2000 ans cela arrive et on demande encore des signes ? Alors c’est qu’on mérite des signalements ! 

Nous sommes d’une génération qui a été contemporaine de catastrophes pires que les dix plaies.

Et cela continue. Il n’y a qu’à voir sur le reste de la planète.  C’est parce que nous vivons dans des oasis à l’abri de ces catastrophes-là. SaraJévo Sida, guerres… etc.

  1. Amado Valensi : un de ses étudiant de Bar Ilan fait partie de ses gens qui cherchent les signes messianiques avec une loupe, comme les pâquerettes à 5 feuilles…  Il faut se méfier de cela. La massivité de l’événement est en lui même son propre signe. Je répète cette phrase qui vient du Rav Kook.

 

Manitou – Léon Ashkenazi

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[…] Comprendre la finalité des 10 plaies d’Egypte ? – JForum […]

Raggio Steve

Monsieur votre récit plutôt votre explication est très très intéressante mais une chose me dérange …
Comment ce fait-il que pharaon qui, Inextrémiste, croit en l’existence de Dieu, et donc est sauvé de la mort… Donc lui même n’a pas répendu son existance…..ce qui aurait-été le plus naturel du monde…..si cela arrivait à n’importe qui c’est ce qu’il ferait…..d’autres le font déjà par supercherie, ( sectes) donc je ne comprend pas il manque quelque chose……merci.

Raggio Steve

Monsieur votre récit plutôt votre explication est très très intéressante mais une chose me dérange …
Comment ce fait-il que pharaon qui, Inextrémiste, croit en l’existence de Dieu, et donc est sauvé de la mort… Et lui même n’a pas répendu son existance…..ce qui aurait-été le plus naturel du monde…..si cela arrivait à n’importe qui c’est ce qu’il ferait…..d’autres le font déjà par supercherie, ( sectes) donc je ne comprend pas il manque quelque chose……merci.