Marseille 1er Mars 1943

En ce jour, mon père, me dis-tu, porte le bonheur, son épouse, son enfant à venir. Il est loyal, fort, courageux. Il ne craint pas la lumière. Il est pur et confiant.
Jusqu’aujourd’hui, je porte en moi sa caresse sur le ventre de ma mère.

Ailleurs, au même moment, les dénonciateurs s’activent, affûtent leur langue, leur plume, attisent leur haine, se préparent pour la grande rafle de janvier 1943. Dans les chancelleries françaises, des tampons viennent d’être livrés, gravés du mot « Juif », et s’apprêtent à frapper, à l’encre rouge, vos cartes d’identité.
Il y a déjà sur un mur de votre quartier – le quartier de l’Opéra – l’emplacement où cinquante ans plus tard sera scellée une plaque commémorative pour les 3500 Juifs Marseillais déportés et brûlés à Auschwitz ou Sobibor et raflés cette nuit-là.

23 janvier 1943
J’ai trois mois. Mon regard, me dis-tu, maman, ne l’a pas quitté à ce moment, juste pour interroger de temps à autre les deux hommes qui l’emmènent.
Mon père, que j’ai tant attendu depuis.

23 mars 1943
Convoi n° 52. Départ de Drancy pour le pays noir, le pays de la mort.

Des cris de ce jour-là, je ne me souviens pas, bien sûr, mais plus tard, je les ai entendus, longtemps encore, avec d’autres cris, et des bruits de machines, des vacarmes de gare, des appels de détresse, cris inhumains d’humains affolés, et puis des scènes que mon regard sans cesse fuyant ne pouvait éviter et faisait resurgir plus fort encore, morceaux épars d’une réalité obscure, douloureuse, qui s’enfonçaient dans mon esprit comme un coin dans une pièce de bois.

Je ne questionnais pas, mais j’écoutais discrètement les conversations chuchotées des adultes. J’en captais des bribes que travaillait en moi une imagination torturante. Ils avaient vécu cela et n’en finiraient pas de le revivre. Ils parlaient de fumées où les gens disparaissaient, de camions chargés d’hommes, de femmes, d’enfants. Ils parlaient de trains, de convois, de chaux vive.

Des visages passaient dans ma tête à chaque nom prononcé. Des ombres défilaient, se balançaient, peuplant mes jours et mes nuits, lancinantes.
Je sentais se mener en moi une lutte, dont j’étais l’enjeu, entre une mémoire dévastatrice, féroce continuation dans mon être de l’oeuvre entreprise par les bourreaux d’alors – une sorte de mise en pièces à retardement – et l’amour de toi, infini, insondable, inépuisable, si discret, une oasis toujours présente, soudain levée quand mon cœur implorait une source, quand ma main se tendait comme un cri pour répondre aux cris qui ne me quittaient pas, quand désemparé, l’enfant que j’étais se sentait trop seul dans le désert des hommes.

Extraits de mon roman ‘’ Nous chanterons encore… ‘’ sur Amazon.

Gérard Darmon
      camp

 

train sans fin

et nul-lieu où ma pensée s’arrête, ni-silence, ni-parole

pas un pas de plus elle ne peut rien reconnaître

et donc poursuivre

j’ai tenté le voyage,

il ne vous apportait rien sans doute

qu’ un frisson de mémoire

mais je l’ai tenté

ni-silence ni-bruit ni-parole ni-lieu

mais quels moyens d’expériences en moi

trop prudentes

pour vous accompagner

j’ai tenté jusqu’aux portes verrouillées de vos destins

c’était blasphème mais que puis-je moi qui vous suit

et qu’est-ce que vouloir qui n’est pas trahison

en moi de vous

de toi

ô pardon de n’être pas

ni-lieu ni-silence ni-parole ni-temps

dire est sans fin impossible, penser même, vouloir

à la place là qui serait le cœur, ou l’esprit

comme un joker

j’ai mis une pierre blanche

nulle autre chose que cette place que je vous réserve

et l’interdit d’autre chose qui serait la pensée qui serait autre chose

lieu de nulle part, parole de nulle voix où je vous approche

et toi mon père

Gérard Darmon

 

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Mango

Ma tante Suzanne O habitait avec son père Benjamin sa mère Esther ses frères Alfred et David et André son petit frère le quartier du panier ils ont été raflé comme tous les juifs de ce quartier par la police française
ma tante Suzanne n’avait que 12 ans à l’époque elle a suppliait à genoux les gendarmes dans le camion de la laisser partir en emmenant son petit frère elle était pieds nus ils ont finit par la laisser descendre avec son frère, elle et son petit frère sont les seuls rescapés de cette famille exterminé à Sobibor ; cruel ironie du sort plus tard son frère est mort à 18 Ans dans un accident de moto en Tunisie
Ma tante a eu 4 fils et 10 petits enfant elle est décédé il y a une dizaine d’année à Marseille

Guy Poron

Oh lala, toute cette histoire est écrite dans la Livre de Vie! D.ieu vous bénisse!