L’islam se prête t il naturellement à l’établissement d’une état ?
A propos du livre de Nadine Picaudou (Gallimard)…. Visages du politique au Proche-Orient.

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A cette question on pourrait légitimement ajouter: un Etat, une structure étatique au sens où l’entend notre Occident judéo-chrétien.

C’est une question qui importe et qui, en dépit de son importance cruciale, a été rarement été aussi clairement étudiée que dans ce remarquable ouvrage, rédigé avec soin et traitant son sujet avec méthode.

On fait rarement la distinction entre Proche-Orient et Moyen-Orient. Mais ce qui est encore bien pire, c’est le confusionnisme qui consiste à transférer des attributs propres à l’Etat de droit de type occidental, à une réalité tribale et à y plaquer des caractéristiques absolument inconcevables dans cette partie du monde qui fait tant parler d’elle.

C’est l’un des mérites de ce livre, Visages du politique au Proche-Orient, que d’analyser le fossé, presque incomblable, qui sépare un Etat arabo-musulman ou islamique de nos Etats modernes d’Europe.

Quand on achève la lecture de ce livre, on réalise que les articles de presse u les communiqués des affaires étrangères oublient de prendre en compte certains présupposés sans lesquels on hérite d’une vue tronquée de la réalité : pour tous ces états du Proche-Orient, à commencer par l’Egypte et l’Arabie, c’est la désintégration de l’empire ottoman, l’homme malade de l’Europe, qui a placé toutes ces nations naissantes devant un dilemme : comment constituer un pays, une nation avec un Etat qui la gère alors qu’on était un conglomérat de tribus nomades, obéissant à des règles d’un autre âge et entièrement dépourvu de conscience nationale.

Comment s’est constituée la Libye par exemple avec son régime prétendument appelé, Jamahiriya Libyenne, c’est-à-dire l’état des masses ? Et qu’est ce qui s’oppose à la création d’un tel Etat ?

Selon l’auteur, ce sont les interprétations données du texte sacré de l’islam qui expliqueraient, pour une large part, cette carence ou cette inadaptabilité.

Comment faire pour habiller politiquement cette réalité sur le terrain ? Peut-on édifier un Etat moderne sur de telles bases ? Avec des communautés peut on faire une société ? Et sans cette base sociale, peut-on créer un Etat dont l’autorité s’impose à tous ?

C’est hautement improbable et la suite de l’Histoire l’atteste largement. Pratiquement, aucun des pays du Proche Orient ne jouit d’un calme réel et pérenne, tous sont, à des degrés divers, menacés dans leur existence, jusques et y compris Israël, mais pas pour les mêmes raisons…

Le premier chapitre de ce livre porte effectivement sur le Liban, une création voulue par le pouvoir français afin de sauver les chrétiens d’Orient et de leur assurer des structures étatiques destinées à enrayer leur déclin, voire à empêcher leur disparition pure et simple.

Déjà cette usine à gaz institutionnelle montre que les critères retenus sont loin d’aller de soi et que le législateur ou le constitutionnaliste a suivi les méandres du réel au lieu d’obéir à des valeurs juridiques strictes : ainsi, le président de la république doit être un maronite, le premier ministre, un sunnite et le président de l’assemblée un chiite.

Une place aussi doit être réservée à la minorité druze qui fait elle aussi partie de la mosaïque libanaise.

De telles structures entravent un développement naturel des habitants de ce pays, leur rappelant sans cesse leurs origines religieuses et communautaires qu’il fallait à tout prix préserver : le maintien de la nations ( ?) libanaise était à ce prix : l’individu est prisonnier du carcan religieux, il est né avec lui, voire le précède dans l’existence.

Le système n’a pas tardé à buter contre ses limites ; en moins de trente ans d’existence chaotique, le Liban s’est débattu durant quinze ans dans une guerre civile qui a marqué toutes les mémoires.

Mais l’exemple libanais reproduit à sa propre échelle ce qui est arrivé à tous les autres pays de la région, excepté Israël dont les origines mêmes (non-arabes, non-islamiques) le mettaient à l’abri de telles affres. Sans toutefois le soustraire à d’autres difficultés autrement plus graves avec cet environnement qui n’a jamais vraiment accepté son existence.

Voici un autre aspect de la situation dont la réalité s’est imposée à mon esprit, dans la plénitude de ses dimensions : l’Etat d’Israël, légitime entité étatique sur la terre ancestrale du peuple juif, a plus que bouleversé l’ordre existant et a représenté (et représente encore) une réalité dont des millions d’habitants de ce Proche-Orient refusent de tenir compte.

Je savais évidemment qu’ Israël avait le plus grand mal à s’imposer dans un milieu si hostile mais je ne mesurais pas la gravité ni la profondeur du phénomène.

En effet, le monde ou les mondes arabo-musulmans ont tout sacrifié, y compris la vie et la prospérité de leurs habitants à la lutte contre cette entité sioniste qu’ils abhorraient.

En d’autres termes, tout ce retard accumulé au cours de ces longues décennies, ce sous développement, cette perversion des régimes arabes en états totalitaire, voire en dictatures militaires, ce sacrifice de centaines de milliers d’hommes, ces dommages créés par tant de guerres, tout cela pour tenter de mettre un terme à l’existence de cet état juif dont l’étendue ne dépasse guère la superficie de deux départements française de taille moyenne…

Alors que des millions d’hectares des pays arabes limitrophes souffrent de la désolation en raison de l’incurie de ces régimes.

La structure tribale des populations de la région explique aussi tant de choses.

Je ne peux pas reprendre par le menu ce que l’auteure nous apprend sur l’organisation du pouvoir, la puissance des tribus, le clientélisme, l’électoralisme, la tolérance de deux sources de justice (la justice coutumière, tribale, et la justice d’Etat)… qui cohabitent.

Des pays aussi imposants que l’Egypte ou l’Irak ont, dès l’origine, présenté des caractéristiques incompatibles avec des structures étatiques modernes.

Concernant l’Irak, l’auteur montre avec précision comment le millefeuille des classes dirigeantes, le premier cercle, se sont organisés pour rester entre eux, favoriser leurs proches, issus de la même région, de la même tribu et de la même secte.

Elle le montre très bien en prenant le cas le plus emblématique, celui de Saddam qui ne délègue qu’à ses très proches, mais qui n’hésite pas non plus, si leur loyauté à son égard faiblit, à les remplacer, voire à leur faire exécuter purement et simplement.

La phrase suivante de l’auteure veut tout dire : souvent la compétence a été sacrifiée au népotisme.

La Syrie d’avant 2011 offre elle aussi un véritable cas d’école. Les différents coups d’état qui se succèdent ne sont que des tentatives souvent avortées de tirer la couverture à soi et de constituer une base communautaire sur laquelle on peut s’appuyer : ainsi de la politique d’admission dans les académies militaires et le recrutement de la classe des officiers.

On promeut seulement ceux dont on est absolument sûr. Une fidélité à toue preuve. C’est grâce à cela que Hafez el Assad, le père de Bachar, a pu se maintenir et transmettre à son fils cadet les rênes du pouvoir.

La pyramide de son pouvoir n’admettait pas d’autre manière de transmettre le flambeau : l’armée était verrouillée, le parti Baas bien contrôlé, la société dite civile inexistante dans ce type de régimes ; une seule solution demeurait et s’imposait d’elle-même : le fils du dictateur lui succède et pour ce faire, on est prêt à modifier les règles d’accession au pouvoir :; au lieu des 40 ans requis, on descend à 34 ans, on organise un passage éclair à l’académie militaire afin que le jeune homme puisse être considéré comme le chef suprême des forces armées…

Ce qui s’est passé en Syrie avait été anticipé en Irak lorsque Saddam plaça ses deux fils à la tête de redoutables divisions blindées. N’était l’action US de 2003, il se serait choisi un successeur dans son propre vivier familial, avant de mourir de sa belle mort…

Mais à côté de ces entités nationales ou autres, il y a au moins deux groupes de la région qui aspirent à créer un Etat avec toutes ses prérogatives : les Kurdes et les Palestiniens. Nous n’avons plus de place pour en parler en détail.

Mais nous devons savoir que ces deux groupes, sensiblement différents les uns des autres, continueront de créer des troubles et des problèmes tant qu’ils n’auront pas, d’une manière ou d’une autre, obtenu satisfaction…

Décidément, cette région du monde où l’idée de Dieu est née et a fait ses tout premiers pas n’st pas parvenue au bout de ses peines.

Maurice-Ruben Hayoun

Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève. Son dernier ouvrage: Joseph (Hermann, 2018)

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J ASSERAF

Il se trouve que j’ai connu Nadine Picaudou à Toulouse. Elle voulait organiser dans la ville rose, une rencontre oecuménique qui réunirait les 3 religions monothéistes autour de poésies récitées devant un public diversifié dans sa composition. La date retenue pour cet événement tombant un shabbat, j’ai dû, en tant que responsable communautaire, décliner cette invitation.
Mais si je vous raconte cela c’est qu’aux premières minutes de notre unique rencontre, elle m’affirma tout de go qu’elle était pro-palestinienne depuis les années 70 date de sa scolarité à l’ENA. Qu’elle a fait plusieurs séjours en  »Palestine » (où, je suppose, elle a tissé des liens amicaux et plus) et surtout que  »le Hamas était un mouvement de libération nationale »(!!!) . J’ai essayé de comprendre la permanence de ses opinions de jeunesse en arguant que le monde avait changé, que le romantisme maoïste et anticapitaliste de ses jeunes années était démonétisé, que son idéologie noyautée par l’URSS Brejnevienne était peut-être surannée, que l’attitude schizophrène du monde arabe et le discours antisémite des Palestiniens les desservait mais rien n’y a fait. Comme chez tous les antisémites (qu’elle n’est peut-être pas), la posture reste figée et les certitudes imprimées à jamais dans sa psyché. Je lui ai bien cité la phrase de Lévinas  »les certitudes définitives ratifient la faillite de l’esprit » mais, probablement, en pure perte. Voilà donc le personnage de Nadine Picaudou; à moins qu’elle ait une homonyme ( qui ma pardonnerait alors mes propos). Je porte ce commentaire à l’adresse de lecteurs tentés par son livre auquel ils porteront un regard plus critique.