Le président de la Cour de cassation Bertrand Louvel/© Patrick Kovarik Source: AFP
C’est par un simple décret, pris dans une grande discrétion, que l’ancien Premier ministre a modifié l’organisation institutionnelle de la Cour de cassation. Celle-ci exige des explications, tandis que des avocats dénoncent une décision «sidérante».

«En rupture avec la tradition républicaine». C’est ainsi que la Cour de cassation qualifie elle-même l’arrêté pris par Manuel Valls le lundi 5 décembre dernier, quelques heures avant sa démission de Matignon, qui place la plus haute juridiction judiciaire française sous l’autorité… du gouvernement.

Bertrand Louvel, premier président de la Cour de cassation, dans un courrier public adressé à Bernard Cazeneuve, Premier ministre depuis le 6 décembre, demande des explications à celui-ci quant à cette décision, alors que le ministère de la Justice n’a, semble-t-il, pas donné suite à une première demande d’explication qui lui aurait été adressée. 

Réaction de la Cour de cassation au décret
Réaction de la Cour de cassation au décret

Très concrètement, ce décret confie à l’Inspection générale des services judiciaires, une autorité sous les ordres du gouvernement, le contrôle de la Cour de cassation. Si celle-ci était déjà contrôlée par la Cour des comptes ou le Conseil de la magistrature, ces deux institutions sont néanmoins indépendantes – ce qui n’est pas le cas de l’Inspection générale des services judiciaires.

La Cour de cassation redoute de se voir placée «sous le contrôle direct du gouvernement». Plusieurs avocats et magistrats ont d’ores et déjà fait part de leur inquiétude face à une décision qui touche au point sensible de la séparation entre pouvoir exécutif et judiciaire, et disent craindre une «instrumentalisation» de la justice.

Pour l’avocat Régis de Castelnau, interrogé par RT FRANCE, le dernier décret de Manuel Valls qui met sous le contrôle du gouvernement la Cour de cassation est l’illustration de «l’absence de culture des libertés publiques».

RT France : Que pensez-vous du dernier décret de Manuel Valls, qui place la Cour de cassation sous le contrôle du gouvernement ? Pour vous, est-ce que le principe de séparation des pouvoirs est toujours respecté ? 

Régis de Castelnau (R. d. C.) : Il est un peu mis en défaut. Effectivement, il existe une Inspection générale des services judiciaires qui fait des enquêtes sur les fonctionnaires de la justice qui sont des fonctionnaires d’Etat, et qui bénéficient de statuts très particuliers.

La France est un pays un peu particulier, nous avons quatre Cours suprêmes : le Conseil constitutionnel, le Conseil d’Etat, la Cour de cassation et la Cour des comptes. Ces quatre Cours suprêmes se contrôlent elles-mêmes, c’est-à-dire que c’est un contrôle qui relève d’un contrôle administratif. Ce n’est bien sûr pas un contrôle des décisions. Le principe est respecté, mais ce sont des contrôles sur le fonctionnement, sur la qualité du travail, des contrôles financiers qui sont nécessaires. Il y avait cette tradition que ces quatre Cours suprêmes étaient en contrôle, ce qui leur donnait justement une position institutionnelle forte. Que, par un décret, on songe et on confie au gouvernement, surtout à celui-là, une mission de contrôle… il y a comme une espèce de mesquinerie, parce que le gouvernement, l’exécutif ne peut pas contrôler les décisions de la Cour de cassation, qui est totalement indépendante.

Mais si vous avez (je parle du gouvernement) la possibilité de venir et de chercher des poux sur des histoires de gestion, d’organisation, de qualité du travail – on a un problème. Et ce d’autant que, tous les ans, ces quatre organismes publiaient leur rapport, qui est un rapport sur l’état de la Nation, chacun dans leur compétence. On va en publier un deuxième en disant qu’ils ont dépensé trop d’ordinateurs, trop de stylos et de gommes… Ce n’est pas très sérieux.

RT France : Pourquoi mettre en cause un dispositif qui fonctionnait ?

R. d. C. : La justice judiciaire ne marche pas si bien. Qu’on se mette à toucher à ce qui marche, c’est ça qui me surprend. Je crois que Eduardo Galeano, un écrivain latino-américain disait à propos de la bureaucratie : «Quand on a une solution, la bureaucratie a toujours un problème.» Je trouve que la formule est assez jolie.

Cette question de liberté publique républicaine, qui chez nous est très importante, ne fait pas partie de la culture des socialistes

Oui, il y a quelque chose qui marche – alors, pourquoi ne pas le contrôler et faire que ça marche moins bien ? C’est un peu ça. A mon avis, ça renvoie à une absence de culture des libertés publiques. Je ne dis pas que les socialistes sont des dictateurs en puissance, ce serait ridicule, mais cette question de liberté publique républicaine, qui chez nous est très importante, ne fait pas partie de leur culture. Ils n’ont pas de reflexe spontané. Ils ont un problème à régler, ils prennent leur loi sur la question des sites anti-IVG: «Les gens qui ne pensent pas comme nous, on va les mettre en prison.» Ce n’est pas sérieux. On ne veut pas dire que c’est leur intention, mais ils n’ont pas les bons reflexes en matière de libertés, et ça je l’affirme depuis déjà un moment. Alors ça les vexe beaucoup. Ils pensent : «Comment osez-vous dire ça ? Les libertés c’est nous.» Messieurs, vous n’avez pas des bons reflexes.

C’est une mesure : une volonté de contrôle, une volonté bureaucratique, et une mauvaise action en mettant en cause la puissance symbolique de la Cour de cassation, qui doit être importante, il faut qu’on respecte ces institutions. Je n’aime pas tout le monde à la Cour de cassation, je la critique, mais il faut que cette institution conserve un minimum d’autorité. Et en cela, je ne comprends pas le Premier ministre – qui n’a aucune culture juridique, il n’a jamais fait que de la politique depuis l’âge de 17 ans – quoi qu’il en dise, sa culture républicaine est faible. J’insiste, ce qu’il y a derrière, c’est une absence de culture républicaine. 

La bonne conduite républicaine devrait imposer de ne pas donner des coups de pied dans la fourmilière

RT France : Pensez-vous que la Cour de cassation puisse contester cette décision et peut-être inverser les choses ? 

R. d. C. : C’est un décret, il faut donc voir dans quelle forme il a été pris. Dans le pouvoir réglementaire de l’exécutif, vous avez fort classiquement le législatif – l’Assemblée Nationale – et l’exécutif avec le gouvernement. Hors, les actes du gouvernement sont susceptibles de recours devant la juridiction administrative, donc le niveau administratif auquel a été pris le décret détermine la compétence des juridictions.

Bien évidemment, si c’est un décret du Premier ministre : c’est du recours du Conseil d’Etat. Le problème ensuite, c’est la question de l’intérêt pour agir : qui pourrait faire un recours ? Je vois mal la Cour de cassation, une institution qui n’a pas de personnalité morale distincte de celle de l’Etat en être capable. Autrement, des citoyens, des associations…

Ce gouvernement expédie les affaires courantes, c’est vrai. Et quelque part c’est normal. Il y a une élection bientôt, dans cinq mois tout aura changé, donc, la bonne conduite républicaine devrait imposer de ne pas donner des coups de pied dans la fourmilière. Je ne comprends pas bien cette agitation.   

Régis de Castelnau est un avocat français, fondateur et président d’honneur de l’Association Française des Avocats Conseils des Collectivités (AFAC).

RT FRANCE

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