Un homme, balai en main et masque de Mark Zuckerberg sur le visage, manifeste le 21 novembre à proximité de la maison du patron de Facebook pour l’inviter à « nettoyer Facebook ». Jeff Chiu / AP

Une campagne de propagande djihadiste coordonnée sur les pages Facebook de médias français, dont celle du « Monde »

Plusieurs centaines de messages, rapidement supprimés, ont été postés mardi 10 novembre.

Par  Publié aujourd’hui à 11h24, mis à jour à 11h50

La déferlante n’a duré que quelques minutes. Mardi 10 novembre, peu après 18 heures, des dizaines de commentaires djihadistes ont été soudainement postés sur la page Facebook du Monde. Selon nos informations, deux autres pages de médias français ont aussi été visées par ces messages répétitifs, parfois ultraviolents. En tout, ce sont au moins 77 utilisateurs du réseau social qui ont posté plus de 700 messages de propagande.

La vague de publications s’est interrompue aux environs de 20 heures. L’entreprise employée pour modérer les commentaires de notre page Facebook a fait le ménage au fur et à mesure : en moyenne, les messages n’ont été visibles que quelques minutes, limitant grandement l’impact de cette campagne de propagande. Nous avons obtenu une copie des messages postés sur notre page. Ils attestent d’une opération organisée et coordonnée.

D’abord, les messages postés sur la page du Monde l’ont été sur une seule et unique publication, signe que les comptes à l’origine de ces commentaires l’avaient précisément ciblée. Il s’agissait d’un post relayant un article portant sur la réception, à Paris, du chancelier autrichien dans le cadre de la lutte contre le terrorisme islamiste. Ensuite, un nombre relativement faible d’utilisateurs, une vingtaine, ont partagé à de multiples reprises des messages parfois identiques, à quelques secondes d’intervalle les uns des autres.

Globalement, ces messages font écho au vaste mouvement de protestation qui a agité une partie du monde musulman lorsque Emmanuel Macron a assuré, le 21 octobre, après l’assassinat de Samuel Paty, ne jamais « renoncer aux caricatures », y compris de Mahomet. « Ô Français haineux, vous insultez notre prophète Muhammad », pouvait-on ainsi lire sur l’une des images partagées, à l’unisson de nombreux autres messages similaires.

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Une propagande issue du corpus de l’EI

La propagande diffusée sur notre page empruntait largement au corpus, bien connu et désormais ancien, de l’organisation Etat islamique (EI), constitué au milieu des années 2010, lorsque le groupe terroriste disposait d’organes de propagande actifs et efficaces. On a ainsi pu brièvement lire des adaptations de textes issus de la revue francophone de propagande Dar al Islam, des messages de porte-parole de l’organisation Etat islamique ou des extraits de nasheeds (chants religieux) de l’EI.

Certaines images postées étaient des photomontages accompagnés d’un texte menaçant

Certains des messages, en arabe et en français, étaient d’une très grande violence (« Nous allons vous couper en morceaux »« Nous sommes venus vous massacrer dans vos rues »« La France paiera le prix fort »). Beaucoup d’images ont aussi été postées. Toutes étaient hébergées sur Tenor, un service spécialisé dans l’hébergement d’images animées racheté en 2018 par Google. Elles ont depuis été supprimées. Elles étaient toutes issues de la propagande de l’EI : certaines montraient des combattants de l’organisation terroriste, d’autres étaient beaucoup plus violentes. Plusieurs d’entre elles montraient une décapitation. Certaines images postées étaient des photomontages – comme des photographies d’Emmanuel Macron grimé en prisonnier de l’Etat islamique et sur le point d’être égorgé – accompagnés d’un texte menaçant.

De plus, des dizaines de messages semblaient s’adresser directement, en mentionnant le nom de leur profil, à certains de nos lecteurs ayant laissé auparavant un commentaire sur notre page.

A plusieurs reprises, les comptes djihadistes ont mentionné quatre liens vers des contenus postés ailleurs sur Facebook. Il s’agissait aussi de propagande djihadiste. Une partie d’entre eux ont été supprimés par Facebook après avoir passé un temps indéterminé en ligne. D’autres sont cependant demeurés en ligne jusqu’à ce que Le Monde prenne contact avec Facebook. Il s’agissait notamment d’un message posté quatre jours auparavant sur un groupe Facebook en langue arabe fort de plus de 370 000 membres, partagé une soixantaine de fois et contenant cinq vidéos. On y reconnaissait certaines des vidéos djihadistes les plus notoires de ces dernières années, comme celle enregistrée depuis l’Hyper Cacher, en janvier 2015, par Amedy Coulibaly. On y voit également des images anciennes et connues de l’EI enregistrées par des djihadistes français à des fins de recrutement.

Un raté dans les techniques de détection

Il était beaucoup plus facile de trouver ce type de contenus sur Facebook il y a quelques années qu’aujourd’hui. Les principaux réseaux sociaux – à l’époque très utilisés par les djihadistes, en particulier ceux de l’organisation EI – ont fait de nets progrès dans la lutte contre les contenus djihadistes. Ils ont tous mis à jour leurs règles internes, se sont dotés d’experts de haut niveau et ont développé des outils techniques.

Ces vidéos légèrement modifiées par rapport aux versions originales sont passées entre les mailles du filet

Pourquoi et comment ces vidéos, largement connues et reconnaissables, ont-elles alors échappé à la modération de Facebook ? Ces vidéos légèrement modifiées par rapport aux versions originales sont passées entre les mailles du filet du dispositif mis en place par Facebook et plusieurs autres plates-formes numériques. Ces dernières entretiennent notamment une base de données commune, abondée par les empreintes cryptographiques de tous les contenus de propagande djihadistes connus : la publication d’un contenu présent dans cette base est censée être automatiquement bloquée.

« Ces vidéos ont été supprimées de Facebook et nous les avons “hashées” [le terme décrivant la création d’une empreinte cryptographique unique abondant la base de données] afin que nous puissions les détecter et supprimer automatiquement et rapidement d’autres copies de Facebook et d’Instagram dans le futur », a précisé un porte-parole de l’entreprise. Plus largement, « des équipes de Facebook enquêtent sur cet incident et retirent tout contenu qui enfreint nos règles. La propagande terroriste et le soutien à des attaques terroristes n’ont rien à faire sur Facebook », a également précisé ce porte-parole.

Un afflux inédit dans un contexte sensible

Le réseau social ne semble cependant pas avoir détecté cet afflux de commentaires, même s’il affirme avoir supprimé certains messages avant d’avoir été contacté par Le Monde. Cette vague de contenus djihadistes, visant plusieurs médias, a très vraisemblablement eu un impact limité, en raison de la modération très réactive des prestataires de modération des médias français. Son ampleur est cependant inédite, selon un très bon connaisseur de ces sujets :

« On a pu voir de la propagande djihadiste ponctuellement, où des auteurs isolés pouvaient tenir des propos d’apologie du terrorisme et tenaient simultanément des discours différents mais qui se rejoignaient sur le fond. Mais ça ne ressemblait pas à une attaque coordonnée. »

Ces messages ont été postés alors qu’une partie du monde arabe – et les autorités de plusieurs pays – a vertement critiqué la France, et notamment les prises de parole d’Emmanuel Macron relatives à la liberté d’expression. Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a violemment attaqué le président français, l’ancien premier ministre malais a appelé au meurtre des Français, et des manifestations, parfois violentes, ont eu lieu dans plusieurs pays, notamment au Bangladesh, au Pakistan, en Inde ou en Somalie.

Qui sont les utilisateurs à l’origine de cette série de commentaires djihadistes et où a-t-elle été fomentée ? Impossible de le dire. Seul Facebook dispose d’éléments permettant de le déterminer. Le réseau social considère actuellement que cet afflux de commentaires djihadistes ne remplit pas les critères de ce qu’il appelle un « comportement coordonné et inauthentique », autrement dit les opérations de manipulation de l’information sur son réseau.

lemonde.fr

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