Un rapport des services de renseignements turcs dévoile la présence de « cellules dormantes » en Turquie. Le gouvernement jouerait-il un double jeu ?

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Sur le sol turc, trois mille personnes entretiendraient des liens avec l’État islamique. C’est l’inquiétant constat qui ressort d’un rapport des services de renseignements turcs, publié samedi dans le quotidienHurriyet. Une présence synonyme pour les autorités de risques accrus d’attaques contre les ressortissants et intérêts occidentaux présents sur le territoire.

Si les rôles de ces « cellules dormantes » et le danger qu’elles représentent sont encore à déterminer, moins d’une semaine après les sanglantes attaques à Paris qui ont fait 17 morts, la nouvelle est prise très au sérieux par les services turcs. Immédiatement, les niveaux de sécurité ont été poussés à leur maximum dans les bâtiments diplomatiques. Les infrastructures de l’Otan seraient également dans le viseur de l’organisation terroriste.

Jeudi, le ministre des Affaires étrangères, Mevlüt Cavusoglu, rappelait déjà que 700 Turcs (1 000, selon plusieurs observateurs) avaient choisi de rejoindre les rangs de l’EI en Syrie. Une trentaine d’entre eux auraient perdu la vie dans des combats. Le chef de la diplomatie a rappelé qu’Ankara avait interdit d’entrée sur son sol environ 7 250 étrangers suspectés de vouloir se rendre (via la Turquie) en Syrie et que 1 160 personnes avaient été expulsées pour des liens entretenus avec des organisations djihadistes. Un déballage de chiffres coutumier de la part du gouvernement Davutoglu, censé anticiper les éventuelles critiques des alliés occidentaux de la Turquie. En effet, le pays – toujours frileux à l’idée de s’engager dans la coalition contre l’EI – est suspecté d’avoir longtemps fermé les yeux sur le transit par son territoire de nombreux candidats au djihad partis combattre les forces de Bachar el-Assad, ennemi déclaré d’Ankara.

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LA TURQUIE SOUTIENT-ELLE L’EI ?

Depuis plusieurs mois, le gouvernement turc est même régulièrement accusé de soutenir clairement l’organisation terroriste de l’EI dans sa guerre contre le régime syrien et les forces kurdes du PYD (branche syrienne du PKK), seconde bête noire du pouvoir turc. Fourniture d’armes, de matériel, d’assistance logistique et médicale, achat de pétrole de contrebande en provenance du califat autoproclamé, entraînement des djihadistes et soutien des renseignements : autant d’accusations systématiquement balayées par la Turquie. À cela elle rétorque que c’est elle, et elle seule, quiaccueille sur son sol et à ses frais 1,6 million de réfugiés syriens fuyant la barbarie du régime de Damas et la menace djihadiste.

Une menace qui, après la publication de ce rapport (et les alertes des services américains), ne semble plus si éloignée de la Turquie. Au sein même de la République, l’imprégnation serait bien réelle. À l’automne 2014, leNew York Times et Newsweek affirmaient – provoquant par la même occasion l’ire d’Erdogan – que certains quartiers défavorisés des grandes villes turques serviraient de base de recrutement à l’EI, dont Ankara, la capitale, et Istanbul, la plus grande ville du pays. Un constat que confirme Gunes Murat Tezcur, maître de conférences en sciences politiques à la Loyola University Chicago. À Istanbul sont particulièrement concernés « Bagcilar et Gaziosmanpasa, deux districts situés sur la rive européenne de la ville ». En plus de fournir des recrues à l’EI, ces quartiers « abriteraient également de vastes réseaux islamiques, dont certains soutiennent activement les efforts des djihadistes ».

Des recrues dont Gunes Murat Tezcur et son collègue Sabri Cifti ont voulu dresser un portrait type. Les djihadistes turcs seraient en majorités des hommes, au profil socioprofessionnel divers (du fonctionnaire à l’étudiant, en passant par l’avocat), dotés d’un niveau d’éducation plus élevé que la moyenne nationale et issus de toutes les régions de Turquie (avec une forte présence de Kurdes). Parmi eux, on compte plusieurs vétérans des guerres de Bosnie, de Tchétchénie ou d’Afghanistan. Les deux hommes rappellent que si cet islam radical a pris de l’ampleur en Turquie, c’est à sa politique interne que l’AKP le doit : « La radicalisation en Turquie va de pair avec l’évolution ces dernières années de la société civile et des institutions politiques sous les gouvernements AKP. » L’ère Erdogan, marquée par une nette amélioration de la situation économique du pays, s’est également illustrée – dans ses premières années – par une plus grande ouverture en matière de libertés (expression, presse, associations, etc.) et un retour de l’islam dans le champ politique dont les activistes radicaux et djihadistes ont su largement profiter pour s’implanter dans la société turque.

JEUNESSE DÉFAVORISÉE ET VULNÉRABLE

Une poussée radicale qui a également fait les affaires d’al-Nosra (mouvance djihadiste implantée en Syrie et affiliée à al-Qaida) et dont la force de nuisance en Turquie inquiète les renseignements turcs. « L’EI est certes une plus grande menace pour la région par sa capacité d’action et par son aspect plus violent et cruel qu’al-Nosra, mais la branche d’al-Qaida représente un danger plus grave pour la Turquie par son influence croissante et sa normalisation dans le pays », analyse ce professeur de sciences politiques d’une université privée d’Istanbul qui souhaite rester anonyme. Une présence qui ne serait pas enrayée par l’AKP, bien au contraire. Plusieurs observateurs affirment que le pouvoir turc aiderait même indirectement la mouvance djihadiste, ennemi déclaré du régime de Damas. Un « soutien discret » toujours d’actualité, selon l’universitaire. « L’AKP fonctionne à travers un vaste réseau d’ONG et de groupes islamiques radicaux qui soutiennent activement l’action d’al-Nosra et recrutent des jeunes religieux pour la cause. »

Un enrôlement particulièrement efficace – qui tend à échapper au pouvoir – dans les universités, mais aussi auprès d’une jeunesse défavorisée et vulnérable. Une sphère djihadiste multiple qui représente une véritable menace intérieure qui serait dirigée contre les intérêts occidentaux et qui pourrait se complexifier avec le retour des combattants djihadistes. « Comme on l’a vu à plusieurs reprises après l’Afghanistan, l’Algérie, la Bosnie, ces ex-combattants ne déposent que rarement les armes une fois rentrés au pays », explique l’universitaire turc. Et de rajouter : « La Turquie ne s’y est pas préparée. »

Source : lepoint.frActualité 20/01/2015 à 10:57 

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