Le retournement complet des relations américano-égyptiennes

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L’Egypte a déjà réalisé toutes les phases préliminaires à l’éloignement des Etats-Unis, bien que nombreux sont ceux, à Washington que ne semblent même pas comprendre de quel bouleversement sismique il s’agit. L’Egypte est en train de revivre sur le plan économique et stratégique et promet de transformer l’environnement maritime stratégique de Suez et de la Mer Rouge. Et, pendant ce temps, la Maison Blanche continue de soutenir les opposants d’Egypte.

 

 

Février 2015 est l’aurore d’une nouvelle réalité stratégique au Moyen-Orient. L’Egypte a complètement rompu sa dépendance stratégique vis-à-vis des Etats-Unis. 

Et une fois de plus, personne ne s’en est aperçu à Washington. Pourquoi « une fois encore » ? Commençons par le premier épisode.

 

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Egyptian President Anwar Sadat greets Israeli Prime Minister Menahem Begin upon his arrival for his historic visit Nov. 19, 1977, at Israel’s Ben Gurion Airport.

C’était le 9 avril 1972, et l’auteur de cet article débriefait une source qui revenait du Caire aux USA, avec des nouvelles surprenantes, tirées de ses rencontres avec les commandants des forces de Défense égyptiennes : le gouvernement égyptien d’Anouar el Sadate mettrait un terme à sa relation stratégique avec l’URSS en moins de six mois et on demanderait à tous les conseillers soviétiques de quitter l’Egypte. Et pourtant, l’Egypte était, à l’époque dépendante à 100% de l’équipement militaire soviétique, de ses conseils et de son assistance. Cette source était irréprochable : ses accès étaient, sans aucun doute possible, de très haut niveau (et ses relations au Caire se situait à un niveau personnel : il n’avait pas de fonction pour le compte du gouvernement US). Cette information a été utilisée dans la seconde édition de la Newsletter hebdomadaire de Défense, précurseur de ce journal et publiée le 10 avril 1972. Elle a été distribuée au milieu de bâillements de désintérêt de certains et de l’incrédulité colérique des autres, à Washington DC : ce ne devait, tout simplement, pas être le cas ; l’Egypte était verrouillée par les Soviétiques et ne pouvait, en aucun cas, avoir recours à une quelconque marge de manœuvre stratégique. L’Egypte, pour Washington, était irrémédiablement dans le camp ennemi.

Moins de six mois plus tard, le 18 juillet 1972, le Président Anouar El Sadate a, effectivement, évincé les Soviétiques. En tous cas, les Etats-Unis étaient préoccupés et ont encore échoué à tirer parti de ces tendances lourdes. Le Secrétaire d’Etat Henry Kissinger était profondément engagé dans des négociations avec les responsables Nord-Vietnamiens, conduits par Le Duc Tho, à Paris ; la spirale de la Guerre du Vietnam baissait d’intensité ; l’Administration Richard Nixon négociait le Traité Stratégique de Limitation des Armes (SALT I). 

Un peu plus d’un an plus tard, le 6 octobre 1973, l’Egypte lançait son offensive militaire contre Israël – avec ses équipements soviétiques existants, mais sans le soutien russe et sans aucune livraison de pièces détachées ni d’assistance soviétique sous aucune forme, depuis plus d’un an – afin de reprendre le contrôle du Canal de Suez et du Sinaï. Cette guerre a transformé l’Egypte et les Etats-Unis –avec les Accords de Camp David, signés le 17 septembre 1978, à la suite de l’offensive diplomatique d’Anouar el Sadate auprès d’Israël et de la visite qu’il a faite à Jérusalem, en 1977 – a commencé à attirer l’attention sur la réalité du fait que l’Egypte n’était pas « dans le camp ennemi ».

Ce que le Président Sadate a réussi à faire a été d’entreprendre une transformation en deux étapes de la position stratégique de l’Egypte, dans secret tellement total que, malgré la nature nationale à haut niveau des préparatifs de chaque phase, elles se sont faites sans même être remarquées, autant par les Soviétiques, les Etats-Unis, l’OTAN que par Israël. Lorsqu’il a hérité du commandement de l’Egypte, par la mort de Gamal Abdel Nasser, en 1970, la nation était encore entre les griffes de la dépression, qui était la conséquence de la guerre humiliante des Six Jours contre Israël (5-10 juin 1967). Sadate a hérité d’une force militaire dans laquelle seulement 6% de ses officiers avaient une éducation universitaire minimale.

En 1973, lorsque la guerre s’est déclenchée, plus de 60% des officiers égyptiens avaient reçu, ou commençaient de recevoir un niveau d’instruction universitaire. L’armée égyptienne est passée d’un système qui évitait complètement de prendre la moindre initiative à tous les échelons, à un autre où chacun commençait d’être capable de penser.

Sadate a transformé le cadre stratégique global en reprenant la domination sur l’ensemble Mer Rouge/Suez, jusque-là sous l’influence soviétique et en s’assurant que le Canal de Suez pouvait rouvrir ; il a aussi transformé le cadre aussi bien économique que militaire de l’Egypte ; et il a réalisé la paix avec Israël. Et aucune des principales puissances étrangères n’a eu connaissance de ce qu’il projetait, jusqu’à ce qu’il mette concrètement en œuvre ses stratégies.

 

L’actuel Président égyptien, Abdul Fatah Saeed Hussein Khalil al-Sisi,a démontré qu’il possède autant de courage et la même vision stratégique que Sadate

Il s’est mis en marche, le 3 juillet 2013, pour mettre un terme à ce qui correspondait à une distorsion flagrante du processus de démocratisation qui, – avec la lourde insistance de la Maison Blanche de Barack Hussein Obama – avait mis en place un gouvernement des Frères Musulmans sous le Président Mohamed Morsi. Au cours des élections suivantes des 26 et 27 mai 2014,l’ancien Général Sisi a été élu à une écrasante majorité à la Présidence.

En 9 mois, le Président Sisi a transformé l’Egypte, alors que Washington s’est, essentiellement, contenté de l’ignorer. Excepté des initiatives économiques significatives afin de revivifier le pays, à la suite de l’année dévastatrice où l’Egypte s’est complètement effondrée sous Morsi, le gouvernement de Sisi et de son Premier Ministre Ibrahim Mehlab a commencé à rebâtir la position stratégique et l’avenir de l’Egypte, en opérant principalement sur l’hypothèse que Washington ne sera plus un allié d’un soutien quelconque.

Pour commencer, un nouveau cadre stratégique est en train de se mettre en place dans la région, avec un bloc constitué de l’Egypte, d’Israël, de la Jordanie, de l’Arabie saoudite et des Emirats Arabes Unis. L’Egypte et Israël ont la capacité de faire appel à la Russie ; Israël a des de relations de plus en plus étroites avec Chypre et la Grèce, autour de l’exploitation des ressources hydrocarbures dans l’Est de la Méditerranée.

En octobre 2014, le gouvernement a signé des contrats d’une valeur de 375 millions de $ (première phase d’un projet d’un coût de 8, 4 milliards de $), pour, en moins d’un an, approfondir et élargir le Canal de Suez, y compris par la construction d’une section parallèle de 50 kms au Canal, afin de permettre le passage aux bateaux transitant simultanément dans les deux directions et d’élargir en les approfondissant les portions existantes, à une profondeur de 24 m. Malgré les inquiétudes économiques et sécuritaires, le gouvernement a pris le risque de livrer un Canal terminé et plus large, qui pourra être en fonction dès août 2015. C’est prévu et cela tend à augmenter considérablement le revenu potentiel tiré du Canal, le moyen le plus significatif de l’Egypte de participer aux échanges internationaux.

Lorsqu’il est apparu clairement que la Maison Blanche d’Obama faisait usage de ses relations liées à la livraison de matériel militaire avec l’Egypte pour tenter de faire du chantage à l’assouplissement des interdits gouvernementaux concernant les Frères Musulmans, le Gouvernement sisi a commencé à discuter de la perspective d’acheter des systèmes d’armement russes.

Les responsables américains, quand on leur parlait de cette évolution en 2014, s’esclaffait de rire à cette seule suggestion que l’Egypte puisse aussi aisément remplacer ses stocks américains gigantesques, dont plus de 250 F-16 de chez Lockheed Martin, ses presque 1500 chars Abrams M-1A1 et tanks M-60A1, essentiels sur le champ de bataille, ainsi que bien d’autres systèmes et gadgets. Ils oubliaient avec quelle facilité Sadate avait remplacé les Soviétiques et qu’il s’était montré en capacité de poursuivre ses opérations militaires sans même avoir besoin de trouver immédiatement un nouvel Etat fournisseur. Le sens même de la communauté de l’industrie militaire égyptienne, particulièrement centrée autour de l’Organisation Arabe pour l’Industrialisation (OAI), s’est montré tout-à-fait crucial dans ce processus.

Les discussions avec la Russie pour l’obtention d’avions de combat n’ont pas encore porté leurs fruits, mais le Gouvernement Sisi a, parallèlement entamé des négociations avec la France pour la livraison de systèmes importants pour le combat. L’essentiel de ces négociations ont été reportés par la complexité des arrangements financiers et la lutte de l’Egypte dans la reconstruction de son économie. Les gouvernements de l’Arabie Saoudite, du Koweit et des Emirats Arabes Unis ont, immédiatement, promis 20 milliars de $ d’aide financière, dès que Sisi a remporté la Présidence et 12 milliards de liquidités ont été mises en disponibilité presque immédiatement. 

L’aide américaine, liée aux accords de Camp David, en comparaison, est assez peu significative, s’élevant à 1, 3 milliards de $/ an.

Puis, tranquillement, la Marine égyptienne, à la fin octobre 2014, a commandé quatre Corvettes de type Gowind-2500 à DCNS, l’industrie maritime militaire française, par un accord à hauteur de 600 millions d’euros (684 millions de $). Ces navires, d’une longueur totale de 102 m, qui ressemblent plus à des frégates légères qu’à des corvettes, représentent la première commande française réalisée par la Marine égyptienne. Cela constitue un pas en avant important pour la marine et démontre que le gouvernement Sisi n’attendait rien de l’aide civile ou militaire américaine pour avancer. 

Ce gouvernement égyptien a confirmé, le 16 février 2015, une commande pour une livraison rapide de la nouvelle frégate FREMM, de 6.000 tonnes, ainsi que d’un bateau supplémentaire de la même classe, peu de temps après, et de 24 avions de combat Rafale AMD, pour une commande d’une valeur de 5, 2 milliards d’euros (5, 9 milliards de $). Cette signature était le point culminant de mois de négociations sur les termes du paiement, mais permettait à la marine égyptienne de prendre livraison de la frégate, en juin 2015, auprès de l’armateur DCNS français, où sont entrepris les travaux d’entretiens de la Marine française, pour des appareils tels que Le Normandie. Le navire a subi les essais en mer, durant la période de négociation du contrat, et l’entente a porté sur le fait de le remettre en main à la marine égyptienne, en état parfaitement opérationnel à la date du 5 août 2015. Au même moment, la force aérienne égyptienne prendra livraison des trois premiers des 24 Rafale, pour permettre leur participation aux cérémonies pour l’ouverture du Canal de Suez élargi, en août 2015.

Clairement, le gouvernement Sissi veut utiliser le dévoilement de l’augmentation massive des capacités du Canal de Suez comme une étape en avant essentielle pour l’Egypte, identique à l’ouverture initiale du Canal de Suez, en novembre 1869. Isma’il Pasha, le Khédive (le dirigeant) d’Egypte et du Soudan, avait utilisé l’inauguration du Canal afin de décrire l’Egypte comme une entité stratégique transformée. L’Opéra de Guiseppe Verdi, Aïda, a été écrit afin de célébrer l’ouverture du Canal et le spectacle inaugural s’était déroulé à l’Opéra Khedivial, le 24 décembre 1871. Le plus grand yacht du monde – le Mahrousa (toujours en service et désormais connu sous le nom du el-Houria) – a été construit à Londres pour que le Khédive puisse le faire transiter à travers le canal pour les cérémonies d’ouverture, qui avaient soulevé un énorme intérêt pour toute la communauté maritime internationale.

La commande d’avions concerne 16 Rafale B, variante biplace et 8 Rafale C monoplace. Il est possible qu’un total de six Rafale puisse être livrés en 2015, en les prenant à la ligne d’assemblage final de Mérignac, où ils étaient préalablement destinés à l’aviation militaire française. On a conclu que la commande comprendrait aussi des missiles de croisière Black Shaheen (dont la portée sera raccourcie selon les limitations du Régime de Contrôle des technologies de Missiles). Cela a fait de l’Egypte le troisième pays dans la région (avec l’Arabie Saoudite et les EAU) à disposer de ce type de missiles. Il n’est pas sûr que le système visuel de longue portée pour missiles air/air (BVR AAM) fasse partie de l’accord.

L’Egypte ira bien plus loin sur la voie de la réaffirmation de son indépendance stratégique et dispose désormais de la formation de base, du secteur commercial et de la production d’énergie qui n’était pas à la portée du Président Sadate. Lorsqu’il a bâti sa base industrielle, avec l’aide d’autres états moyen-orientaux (en particulier l’Arabie Saoudite),il a aussi développé sa capacité à fabriquer des véhicules blindés et des avions, autant que des séries d’armes à guidage. L’essentiel de cette capacité atrophiée dans le cadre de l’alliance américano-égyptienne, comprenant la licence de fabrication de l’Alphajet français d’entraînement et de frappe au combat. AOI, dans les années 1990 n’était qu’une partie seulement de la puissance industrielle militaire de l’Egypte au sein du Ministère de la production de Défense, et elle, à nouveau une force de travail autonome de 19.000 employés. Des sociétés de développement conjoint, telles qu’Arab-British Dynamics (marchant avec British Aérospace) et Arab-American Vehicles (avec american Motors) produisent des missiles de pointe (tels que le Swingfire et le Milan), ainsi que des véhicules. D’autres entreprises fabriquent des moteurs aéronautiques pour les avions et ainsi de suite.

On peut s’attendre à ce qu’AOI et le Ministère de la Défense soient en mesure de revenir à leur pleine productivité. Le fait est que les installations égyptiennes de construction de navires sont en voie de redéveloppement, avec l’assistance technique de la France et cela démontre que c’est en bonne voie. Les installations d’AOI occupent le créneau dans l’appui technique aux opérations de combat aérien, actuellement en activité, de l’Egypte contre les terroristes du Califat Islamique basés en Libye voisine.

Les F-16 des Forces aériennes égyptiennes (EAF) ont récemment frappé les bases du Califat à Darna, en Libye (entre Tobrouk et Benghazi), le 16 février, en représailles à la décapitation de 21 Chrétiens Coptes égyptiens travaillant en Libye. L’aviation de guerre libyenne a aussi frappé des sites à Derna, dans une coopération apparente avec l’EAF. De façon significative, les Etats-Unis ont refusé de soutenir les actions égyptiennes et libyennes, exacerbant ainsi un peu plus le fossé entre Le Caire et Washington, mais en renforçant, une fois de plus, le soutien de Washington aux Frères Musulmans, qui appellent directement et ouvertement à des actions terroristes et au meurtre d’Al Sisi, depuis leurs quartiers-généraux, en Turquie.

La défiance entre la Maison Blanche et le gouvernement égyptien va totalement à l’encontre des intérêts historiques américains pour le maintien de la liberté de navigation – le patrimoine maritime mondial- en assurant que la capacité des Etats-Unis à conserver la main sur les lignes de communication maritime entre le Canal de Suez et la Mer Rouge (SLOC) est en train de diminuer à vitesse grand V. Et l’action de la Maison Blanche semble uniquement fondée sur des fondements idéologiques et religieux (un soutien à l’Islam radical ?), bien plus que sur les réels intérêts stratégiques américains.

C’est ce qui a permis d’ouvrir toutes grandes les portes, non seulement, une fois encore, à Moscou, mais à des Etats Européens, tels que la France, qui, en l’espace de quelques mois, a saisi l’opportunité et ajouté des commandes de Défense pour une valeur de 6 milliards de $, pour le seul secteur concerné. De fait, ce fossé grandissant entre les Etats-Unis et l’Egypte – qui coûtera aux fabricants américains, comme Lockheed Martin, Pratt & Whitney (Technologies Unifiées), General Dynamics et tant d’autres – des milliards de perte sèche, est, parallèlement en train de revigorer le secteur de l’Industrie de Défense européenne et, par conséquent, d’élargir le fossé entre l’Europe et les Etats-Unis.

Mais, ce qui est, désormais certain, c’est que les Etats-Unis ont mis fin à leur presque quatre décennies d’influence stratégique sur l’Egypte. Ceci, en attendant la réduction d’influence sur les voies de navigation entre la Méditerranée, Suez, la Mer Rouge et l’Oc éan Indien (SLOC) sera, sans doute, la perte la plus décisive pour la position globale des Etats-Unis, au cours de ces dernières années.

Rédaction de : 

worldtribune.com

Adaptation : Marc Brzustowski

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