Tintin et l’Etat Islamique

Virale sur le net cette photo-montage interpelle : légitime répulsion à la barbarie ou menace djihadiste contre les valeurs occidentales ?  

 

Nombre d’entre nous ont grandi bercés par les Aventures de Tintin, à dévorer les planches colorées d’Hergé, répétant à haute voix les jurons inventifs du capitaine Haddock avec une joie juvénile. Les exploits de Tintin dans le monde entier ont sans aucun doute nourri la passion du voyage de moultes explorateurs en herbe – qui n’a pas rêvé un jour de devenir un journaliste célèbre qui arpente le monde et résout ses mystères et ses problèmes dans le même temps ?

 

Des séminaires consacré à cette icône occidentale ont fleuri, mais il figurait aussi à l’étude dans un contexte plus surprenant : celui de l’étude du colonialisme européen avec au programme, Tintin au Congo (1930-1931). Tintin au pays des Soviets, premier récit d’Hergé, et les exploits africains de l’intrépide reporter ne sont pas étés largement distribués. Vous ne les trouverez pas dans votre bibliothèque locale ni chez Gilbert ni à la Fnac. C’est parce que Tintin au Congo était une illustration du chauvinisme et du racisme européen qui avait cours au moment même où le parti nazi commençait à sortir de l’œuf. En les lisant aujourd’hui on s’étonne moins de l’arrivée de Hitler au pouvoir.

 

Bien sûr, les préjugés culturels (somme toute plutôt bons enfants) et qui avaient cours dans les bandes dessinées de Tintin, n’ont pas infirmé leur popularité.

 

Ils n’ont pas empêché non plus d’autres artistes d’en faire de spirituelles parodies.

 

 

 

 

 

 

L’image ci-contre, qui a récemment circulé sur la Twittersphere en est l’illustration. Elle représente une scène dans laquelle Tintin, au fin fond du désert est face à une mort certaine, agenouillé à côté du sinistrement célèbre « John le djihadiste » inféodé à l’Etat islamique, qui est apparu dans presque chaque vidéo dans laquelle un journaliste occidental a été exécuté depuis Septembre 2014.

À première vue, il s’agit d’une référence évidente à la barbarie de l’Etat islamique. Pour autant un certain malaise subsiste et mérite qu’on s’y attarde. Une des premières questions c’est de se demander : «Qui a fait ce jpg? ». Quel est le mystérieux auteur de cette photo montage.

D’un côté il pourrait certes s’agir de quelqu’un qui s’est inspiré de la mort tragique des dessinateurs de Charlie Hebdo en Janvier dernier, horrifié par la brutalité de l’Etat islamique et déterminé à prendre position au nom du journalisme et de la liberté d’expression.

A moins que ce ne soit en réaction à l’attentat meurtrier lors qu’un colloque sur la liberté d’expression en présence du dessinateur Danois Lars Vilks auteur controversé des caricatures de Mahomet. Pourtant, il est impossible de ne pas être effleuré par une autre tout aussi crédible lecture de l’évènement. En effet, ce montage peut aussi être l’œuvre d’une personne qui sympathise à la cause du djihad et de l’Etat islamique.

Même s’il est adulé par des millions de personnes à travers le monde, il n’en reste pas moins que le journaliste belge est pour d’autres un symbole de la bigoterie et de l’impérialisme de l’Occident. Cette parodie de Tintin serait dans ce cas une menace, qui préviendrait que même les héros et icônes de notre civilisation occidentale ne sont à l’abri de l’Etat islamique.

Les auteurs veulent-ils pointer   la supériorité européenne qui sous-tend le récit  qui a cours  dans la plupart des bandes dessinées de Tintin et qui se  casse les dents sur les   problèmes en Irak et en Syrie qui ne peuvent être résolus par l’Occident ainsi mise au défi ?

L’auteur qui a conçu ce logo a peut-être eu une motivation plus profonde que d’obtenir que son montage-image devienne viral.

Comment cesser d’être impressionné par les qualités profondes qui sont l’apanage de ce petit globe-trotter d’Hergé, quarante ans après la dernière publication de la série.

 Tintin affrontait certes d’immenses dangers en accomplissant ses exploits au 20e siècle. Mais le journalisme au 21e siècle est plus menacé que jamais. Selon le Comité de protection des Journalistes, 221 journalistes sont en prison à travers le monde, la majorité en Chine, en Iran et en Egypte. En Turquie et en Russie, les voix dissidentes sont éliminées par les médias d’Etat de plus en plus prégnants. Les terroristes visent les journalistes en Europe.

Alors, disons-le avec le verbe brillant de Jeffrey Goldberg, ces «journalistes occidentaux qui traquent les djihadistes courtisent la mort. »

Alors rabattons notre caquet occidental et prenons la menace au sérieux. Et au 21ème siècle, Tintin a plutôt intérêt à tweeter ses commentaires sur les carnages en cours et à combattre les djihadistes on-line retranché en sécurité dans son salon, s’il veut garder sa tête sur les épaules.

Gabriel librement adapté par Kathie Kriegel