Tazria: la mila ou l’entrée dans l’alliance d’Abraham (vidéo)
Parachat Tazria s’ouvre sur la naissance et la mila/circoncision, ce qui permettra d’y réfléchir, à partir d’un verset que nous avons déjà rencontré. « Et le huitième jour, sera circoncise la chair de son prépuce.» (Lv 12,3).
Ne savons-nous pas qu’il convient de circoncire « le huitième jour tout enfant mâle né dans la maison ou acquis à prix d’argent…» (Gn 17,12) ? Pourquoi cette répétition ? Nos Sages interprètent « Et le huitième jour – même si c’est un shabbat. » (Shabbat 132 a)
La mila a donc priorité ou repousse le shabbat. C’est le supplément de sens qu’apporte ce verset, d’après le Talmud.
Supplément de sens qui appelle un supplément d’enquête. Pourquoi doit-on accorder le primat à la mila par rapport au shabbat ?
Nous savons que parmi les 613 commandements seuls trois ont reçu le qualificatif de signe/ot: le shabbat, la brit mila et les téfilin. Ce qui augmente la perplexité. Car comment privilégier un commandement au détriment d’un autre s’agissant, de surcroît, de la catégorie des signes?
On peut tenter d’y répondre, à partir d’un enseignement de Sanhédrin 58 b qui stipule : «un idolâtre qui respecte le shabbat est passible de mort ainsi qu’il est écrit « et jour et nuit n’auront pas de repos » (Gn 8,22). »
Or le signe de la différence entre Israël et les nations est la circoncision laquelle instaure l’alliance, et sans circoncision nous n’eussions pas été autorisés à respecter le commandement du shabbat puisque nous eussions été considérés en tant que nation du monde.
La milah prépare l’humain à bénéficier du shabbat et il était nécessaire qu’elle le repoussât. Comme s’il fallait passer par une première sanctification (la milah) pour accéder à la seconde (le shabbat).
Une autre explication concernant le huitième jour se trouve dans le midrach Choher Tov sur les Psaumes (Ps 6) qui commence par « laménatséah al hachéminit…» interprété comme se référant à la circoncision.
Le Pirqé de Rabbi Eliézer (chap. 29) trouve une allusion dans le verset faisant obligation au père de faire un festin le jour de la circoncision à l’instar du patriarche Abraham «Et Abraham a fait un grand festin le jour où Isaac a été sevré/béyom higamel ète Ytshaq.» (Gn 21,8)
Or le verset évoque le sevrage, pas la circoncision. Toutefois le Pirqé y trouve un clin d’œil. Si l’on dissocie en deux mots le verbe higamel dans l’expression béyom higamel, on obtient d’un côté hé et guimel et de l’autre mème et lamed : mal. La valeur numérique de hé et de guimel est 8 (5+3) et le second segment donne le verbe mal qui signifie : il l’a circoncis. Ce qui donne il l’a circoncis le huitième jour.
Profitons de cette occurrence pour dégager la signification du rite de la milah. Le Talmud le fait à partir de l’interprétation d’un verset des Psaumes (Ps 119,162) «En liesse j’étais de ta parole/sass anokhi al imratékha » Sasson : la liesse c’est la milah, dit Méguilah 16 b. Rachi attire notre attention dans son commentaire talmudique sur ce verset que le commandement de la milah a été énoncé par ma’amar et non par dibbour, ainsi qu’il est écrit: vayomer hachem el Avraham véata ète bériti tishmor/Dieu a dit à Abraham, et toi tu observeras mon alliance.(Gn 17,9) Rachi suppose connue la distinction qu’il a établie entre ma’amar et dibbour qui, tous deux, signifient parole.
Avec une nuance toutefois. Dibbour est la parole intransigeante, dure comme les nerfs de bœuf alors que le ma’amar est une parole de tendresse, douce, affectueuse (Cf Ex 19,3 où «Dieu dit à Moïse de parler/tomar à la maison de Jacob et de parler/vétagued aux enfants d’Israël…», Rachi commentant la maison de Jacob, ce sont les femmes à qui il faut adresser des paroles douces/amira raqah et lesenfants d’Israël, ce sont les hommes à qui il convient de parler durement, si nécessaire, avec des paroles semblables à des nerfs de bœuf/devarim qashim kéguidin. Et j’ajoute, dans cet ordre, c’est-à-dire que les femmes ont reçu la Torah en premier).
Un autre commentaire talmudique de Rachi (Shabbat 130 a) complète cet enseignement sur la milah. «Sass anokhi al imratékha/En liesse j’étais de ta parole. Imratékha/ta parole. Parole unique et exceptionnelle qui a précédé l’ensemble des paroles[du décalogue].
Et c’est la mila que les enfants d’Israël réalisent avec joie et empressement car les autres commandements tels que la mézouza, les téfilin ou les tsitsit ne sont pas applicables en toutes circonstances lorsque l’on se trouve dans les champs ou tout nu, tandis que la milah atteste leur existence en tout temps ainsi qu’il est relaté dans Ménah’ot 43 b.
Lorsque le roi David était dans les bains, il se désolait en disant: malheur à moi, je suis nu [dépourvu des commandements] mais lorsqu’il s’est souvenu/ou vu la milah, il en a été rasséréné/ou s’est réjoui».
Selon Hérodote, la circoncision serait une coutume égyptienne (L’enquête, II, 104). La milah se caractérise par l’ablation du prépuce, de cette excroissance qui recouvre le gland. Et donc, dans son essence, c’est un dévoilement. Il s’agit de couper/likhrot pour faire entrer dans l’alliance et pour dévoiler.
La milah se passe en deux étapes. La première est celle de l’ablation et la seconde est celle du dénudement, de la péri’a. Celle de la détermination du sexe de l’enfant. Tant que le gland n’est pas dénudé, on peut encore hésiter car on reste en quelque sorte dans le bisexuel mais une fois le galnd dévoilé, plus aucun doute n’est permis.
Mais la milah ne vient pas seulement contre distinguer le masculin du féminin. Elle constitue l’entrée dans l’alliance d’Abraham. Un pacte est scellé entre Dieu et le peuple à travers le patriarche Abraham.Toutefois entrer dans l’Alliance ne signifie pas perdre son autonomie, sa souveraineté de sujet, d’individu.
Au contraire, en même temps que l’on est intégré dans l’alliance, que l’on fait partie d’un peuple, on reçoit son identité personnelle, son nom. Et la milah c’est l’identité inscrite à même la chair, le corps.
Et ces actes incombent au père. C’est lui qui introduit l’enfant dans l’alliance, lui donne accès au langage – lui ouvre la bouche, dit la tradition, se fondant sur l’équivalence de la valeur numérique entre milah (85) et péh/bouche (85) et déjà le place face à la loi et aux commandements, et partant face-à-face avec le législateur puisque la racine de milah est moul qui signifie à la fois couper et poser en face.
Tout se passe comme si, dans le flux de la pensée, on découpait les mots (millah, millot). Plus encore, comme si, dit Rabbi Hayim ben Attar en citant Job (19,26) «à partir de ma chair, je verrai Dieu». Comme si la circoncision conduisait à la révélation.
C’est dire combien le sens de cette mitsva transgénérationnelle est riche. Et c’est probablement pour cela que le juif le plus loin de la tradition y tient encore et toujours comme à une composante incontournable de son identité.
JForum.fr avec David Banon Source: raphaeldrai.wordpress.com
Au delà des mots et des apparences, voir le Machiah
Cette section de la Tora, Tazria, ressemble à première vue à un guide médical. On y parle de différentes plaies sur la peau, qui peuvent dans certaines situations, rendre la personne « lépreuse ».
Les Sages nous expliquent que la צרעת tsara’at, traduite communément par « lèpre », frappait l’individu à la suite d’une mauvaise utilisation du langage.
En effet, ils rapprochent le terme de מצרע métsor’a, lépreux,de רע מוציא ש motsi chem r’a, celui qui fait sortir un mauvais nom,littéralement (Arakhin 15a).
De façon imagée, le langage est comme le bras de la pensée, il en est son prolongement. Tant que nous restons dans la sphère de la pensée, nous demeurons dans le potentiel. Mais la parole réalise à l’extérieur la pensée de façon effective.
Le roi Salomon disait que la vie et la mort sont au pouvoir de la langue (Prov 18,21). Vie d’un côté, mort de l’autre.
Ce concept opposé se retrouve dans les 3 lettres suivantes : נ Noun ג Guimel ע ’Aïn. Quand elles sont lues dans cet ordre,elles forment le mot נגע nég’a, plaie, que l’on rencontre dans notre paracha, pour désigner la « plaie de lèpre » Par contre, les mêmes lettres dans un autre ordre
ע ’Aïn נ Noun ג Guimel forment le mot ענג ’oneg, délice. Délice d’un côté, plaie de l’autre.
Le Ba’al Chem Tov disait que chaque jour Hachem envoie dans son monde des lettres, qui se combinent pour le meilleur …ou pour le pire. Les Justes sont à même de percevoir ces combinaisons et les transforment en bien, de façon à faire venir la bénédiction.
Ainsi, une situation très négative, נגע nég’a, peut être adoucie en ענג ’oneg. Celui qui utilise le langage de façon négative a altéré son regard sur le monde, sur les autres.
Car מצרע metsor’a c’est aussi מוצא רע motsé r’a, celui qui trouve le mal, c’est-à-dire celui qui perçoit le mal en l’autre, et seulement le mal. Il ne s’arrête pas à la pensée négative elle-même, qu’il ne s’efforce même pas d’adoucir, en essayant de trouver des motifs ou mobiles de pardon ou autre, mais il finit par faire sortir à l’extérieur cette mauvaise parole.
Vous remarquerez que dans le mot נגע nég’a, la lettre ע ’Aïn,qui signifie l’œil, se trouve être la dernière lettre du mot, alors que dans ענג ’oneg, elle se trouve à la première place.
Quand l’homme place un regard de vérité à la tête et non à la queue, il voit en toute situation le bien qu’elle comporte. Il se rattache alors à ce qui transcende ce monde, le monde à venir, dont il est dit (Is 64,3) : « Aucun œil n’a vu si ce n’est Toi Éternel ». Par contre, quand la véritable perception des choses est altérée, et repoussée à la queue, l’homme doit s’attendre à de réelles souffrances. Réelles souffrances, car l’homme a fait prédominer dans le mot נגע nég’a le נ Noun et le ג Guimel sur la lettre ע ’Aïn, laquelle est repoussée à la fin du mot.
Le נ Noun symbolise la chute, comme dans le verset(Ps 145,14) : « Hachem soutient tous ceux qui tombent ( הנפלי ) ».
Le ג Guimel représente ici les biens matériels qui s’accumulent, à l’image du chameau גמל gamal qui accumule des réserves d’eau et de graisse sur son dos.
Car l’homme est alors pris dans le tourbillon de ce monde et oublie le ע ’Aïn, le regard de vérité qu’il doit porter sur ce monde.
A l’opposé, l’homme clairvoyant sait que la souffrance peut aussi le toucher, mais il sait vers qui se tourner, pour l’adoucir : Hachem, la Tora et les Mitsvot.
Il se rappelle sa destinée éternelle et le but de sa venue dans ce monde : תקו TIKOUN. RÉPARATION.
Ainsi il est bon, enseignait Rabbi Na’hman de Breslev de faire de notre première pensée de la journée une pensée pour le monde à venir, car disait-il, tout dépend du début.
Et si le début n’est pas bon, à D.ieu ne plaise, il nous faut alors prendre un nouveau départ, plein de promesses et d’espoir.
Le lépreux est donc celui dont la connaissance est manquante, défectueuse, il se cache la lumière, et préfère rester confiné dans des ténèbres tranquillisantes et rassurantes. D’ailleurs, les lettres du mot מצורע métsora forment les mots עור ’or – מ mots: peau – écorce, ce qui implique un écran qui voile la lumière et l’empêche de briller de tout son éclat, comme mentionné dans le sefer hamidot.
Pour finir, d’étonnants commentaires (dont se font l’écho certains récits hassidiques) expliquent que le Machia’h sera … lépreux ! Lépreux, comme il est dit (Isaïe 53,3) : וידוע חלי vidou’a ’holi, qui « connaît la maladie ». Lépreux car vu dans le regard altéré des autres.
Car celui qui voit en vérité, perçoit le Machia’h comme ענג ’oneg, délice.
Par contre, celui qui est engoncé dans les fausses valeurs de ce monde, perçoit en Machia’h נגע nég’a, la plaie.
Il le voit comme un vagabond, comme un pauvre, à qui on hésite à donner une pièce, tellement il nous semble insignifiant, à D.ieu ne plaise … Mais pour accéder au פני panim du Machia’h, à découvrir son identité, il faut avoir conservé son regard, regard de vérité. C’est alors qu’il se révélera comme le roi juste que nous attendons.
Tout ceci est inscrit allusivement dans le verset suivant (Zac 9,9): צדיק ונושע הוא עני ורכב על חמור יבוא ל הנה מלכ
« (…) Voici ton roi juste et victorieux, pauvre, chevauchant un âne (…) ». L’âne, חמור ’hamor, est relié à חמר ’homer, la matérialité.
Le Rédempteur est au-dessus d’elle, il la domine. הנה « voici » c’est l’aspect de la vision. מלכ « ton roi » car la vision est alors placée à la tête. צדיק ונושע « juste et victorieux » l’aspect de ענג ’oneg. עני « pauvre » l’aspect de נגע nég’a. רכב על חמור « chevauchant un âne » domine la matière, représentée par les lettres נ Noun et ג Guimel.
Le משיח Machia’h, qui porte le langage en lui – משיח mésia’h signifie celui qui parle – peut donc passer près de nous sans que nous nous en rendions compte … A nous de relever le défi : purifier notre regard, notre perception du monde et des autres : voir simplement le bien !
Alors nous serons prêts à le voir.
A retenir :
1) Faisons attention à notre langue ! Combien de disputes ou de malentendus auraient pu être évités si l’individu s’était retenu de parler … Un sage disait : « L’homme est maître de sa parole tant qu’il ne l’a pas prononcée. Une fois qu’elle a franchi le seuil de ses lèvres, il devient son esclave ».
2) S’il nous est arrivé de transgresser les lois du langage, renforçons-nous malgré tout: multiplions les paroles de sainteté, Tora et prière, afin de sanctifier à nouveau notre bouche.
3) Étudions régulièrement les lois ayant trait au langage :
C’est en revoyant fréquemment ces règles que l’on parviendra à sanctifier notre bouche. Nos paroles de Tora et de prières, purifiées, atteindront alors leur cible
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