Que dans les rangs de Tsahal se trouvent des soldats olim de France n’est pas un scoop. En effet, on sait qu’ils sont nombreux et qu’ils font souvent preuve d’une volonté et d’un enthousiasme particuliers pour cette mission.

Cette image demeure pourtant bien superficielle. Pour célébrer les 70 ans de notre pays, LPH vous propose de faire honneur à cette relation forte qui existe entre les Juifs de France et Israël à travers le service au sein de Tsahal, grâce au travail de recherche approfondi du Dr Itzhak Dahan.

Il a effectué une étude globale sur le lien entre les olim de France et Tsahal entre 2014 et 2017, sous la direction du Pr Larissa Reminik et du Dr Nissim Leon, dans le cadre d’un post-doctorat au sein du département de sociologie de l’université de Bar Ilan.

Cette étude fait suite au doctorat du Dr Dahan sur l’identité collective de l’alya française.  Observateur de cette population, il a constaté qu’aucune analyse de son lien avec l’armée n’avait jamais été réalisée.

 

D’une République à l’autre

L’angle d’analyse de l’étude du Dr Itzhak Dahan peut surprendre: le rapport des olim de France à la République.

Il s’en explique: ”Les Juifs de France se caractérisaient par un attachement fidèle à la République, au pouvoir public. Ce respect était particulièrement répandu chez les Juifs d’Algérie mais s’étendait à toute la communauté. Preuve en est la ferveur avec laquelle ils ont servi l’armée française pendant la Première guerre mondiale. Il est intéressant de constater qu’à l’heure où le sentiment républicain est mis à mal en France et où il doit sans cesse être rappelé dans les discours, de jeunes juifs français décident d’aller témoigner de leur fidélité républicaine à l’armée d’Israël”.

Le Dr Itzhak Dahan reconnait que cette problématique est visible pour le chercheur universitaire qu’elle est mais n’est certainement pas vécue ainsi par les protagonistes.

”Ils ne sont pas conscients qu’en effectuant leur service militaire avec la loyauté dont ils font preuve, ils expriment tout simplement leur attachement républicain hérité de la France”.

Les témoignages recueillis dans l’étude le montrent:

“La France n’est pas mon pays. Israël est mon pays. Pourquoi les Israéliens feraient-ils l’armée et moi non”, ainsi s’exprime Mayane, juste avant son incorporation. Ce qui amène à penser, en effet, à cette transposition de la loyauté nationale ou républicaine, comme le fait remarquer le Dr Itzhak Dahan: ”Alors qu’il y a quelques semaines, ces jeunes étaient français, leur arrivée en Israël a déclenché immédiatement un transfert de leur fidélité sur Israël. Et cet attachement se traduit principalement par le lien à l’armée puisque sur le plan culturel et linguistique, la plupart garderont toujours leurs références françaises”.

Pourquoi parler de fidélité républicaine et non tout simplement de sionisme?

”Nous savons qu’il s’agit de sionisme, bien entendu. Mais une étude universitaire est destinée à s’adresser au monde académique. Nous nous devions d’expliquer ce lien par une notion plus générique”.

Dr Itzhak Dahan

Faire partie de la société israélienne

Le Dr Itzhak Dahan a interrogé 30 jeunes olim de France: 20 garçons et 10 filles, un tiers étant en préparation à l’armée, un tiers pendant leur service et un tiers après.

Ce qui ressort des interviews est net: les olim de France ont compris que l’armée était un ticket d’entrée dans la société israélienne.

“Je veux faire partie de la société israélienne”, affirme David Elbaz, l’un des jeunes interrogés, ”Les Israéliens font l’armée, si je veux rester ici après l’armée, je dois être comme tout le monde. En Israël, si tu ne fais pas ton service militaire, on te regarde différemment”.

Ils sont nombreux à intégrer des écoles de préparation militaire. Il en existe des francophones depuis peu, à Ashdod ou même une pour les filles au kibboutz Beerot Itzhak. Certains intègrent la prestigieuse yeshivat hesder du Rav Shaoul David Botschko à Kohav Yaacov, Eikhal Eliahou.

A l’inverse leurs parents, restés en France, y voient plus une ”perte de temps” puisque le service militaire, au-delà du danger qu’il représente, retarde le commencement des études de leurs enfants. Les études sont considérées comme la clé pour l’avenir des jeunes.

“En Israël, les parents savent qu’ils n’ont pas le choix. Leurs enfants doivent faire l’armée, comme eux-mêmes l’ont faite et ils savent les avantages que cela procurera à leurs enfants. En France, on a une image d’une armée professionnelle”.

Et cela va plus loin, d’après l’universitaire, cette différence d’approche rejoint les divergences quant à la définition de l’idéal masculin. Alors qu’en France, c’est celui qui fait des grandes études; en Israël, c’est celui qui était combattant. Ainsi, en s’enrôlant au sein de Tsahal, les jeunes Français se rapprochent de cet idéal du pays dans lequel ils veulent construire leur avenir.

Parce qu’il faut le souligner, le service militaire n’est que le point de départ de leur vie en Israël. L’étude du Dr Dahan compare ce parcours à celui des Américains qui servent dans Tsahal: ”Alors que les Français restent en Israël après leur service militaire, les Américains, même s’ils sont tout autant motivés, considèrent leur service comme une partie de leur formation qu’ils poursuivent pour la plupart aux Etats-Unis, où ils repartent effectuer leurs études”. Et il nous précise que si la majorité des jeunes olim servent en tant que touristes dans l’armée et ne font leur alya qu’à la fin de leur service, c’est ”parce qu’ils ne veulent pas attendre pour servir! Les démarches de l’alya ralentiraient leur processus d’enrôlement”.

Vous parlez d’idéal masculin, les filles sont aussi présentes dans votre recherche?

”Il n’y a que peu de filles françaises qui servent à l’armée. La plupart vont accomplir un sherout leumi, service national”.

 

Le hayal boded

Ces soldats sont des ”hayalim bodedim”, des soldats seuls. En effet, ils montent en Israël sans leur famille pour réaliser leur rêve mais aussi accomplir ce qu’ils voient comme une mission. Ils se voient comme une partie intégrante de la nation.

“Lors des discussions que j’ai eues avec eux, ils évoquent bien cette solitude. Pendant leur service, ils sont entourés par différentes associations comme le CNEF ou Nefesh B’ Nefesh, mais aussi des organismes publics. On leur alloue des moyens et on leur accorde certaines facilités. En réalité le plus dur, c’est après l’armée: ils ressentent la fierté d’avoir servi, se sentent israéliens et acceptés comme tels, mais le vide se fait ressentir. »

Après être arrivé avec des idéaux plein la tête, ces olim de France ne sont-ils jamais déçus par Tsahal?

”Il est certain que ces jeunes idéalisent l’armée d’Israël, qui les fait rêver depuis de nombreuses années. Oui, une fois dedans, ils s’aperçoivent que tout n’est pas vraiment comme ils l’avaient imaginé. Ils comprennent que tout n’est pas noir ou blanc. Cette confrontation avec la réalité est bénéfique, les aide à grandir. Finalement, le résultat est à la hauteur des espérances: avoir la fierté de dire qu’on a servi au sein de Tsahal et être reconnu comme tel par la société israélienne”.

Séfarades et traditionnalistes

Le profil des jeunes qui vont servir dans Tsahal est fidèle à celui de la majorité des olim de France. Ils sont pour la plupart séfarades, traditionnalistes et lorsqu’on leur demande pour qui ils voteraient, ils se prononcent pour la droite israélienne.

Le Dr Itzhak Dahan relève dans son étude que leur identité séfarade leur est renvoyée, lorsqu’ils arrivent en Israël, de façon inattendue.

”En France, ils étaient les Juifs parmi les non-Juifs. Ils se définissaient comme des séfarades occidentaux (cf. étude de Shmuel Trigano). En Israël, ils découvrent le clivage entre séfarades et ashkénazes. Ils sont étiquetés ”mizrahim”. Cette dissonance entre l’identité développée en France et celle, forcée, en Israël peut être difficile à vivre pour les soldats”.

Par ailleurs, ces soldats manifestent un attachement à la religion qui, souvent, se renforce à l’armée. ”C’est un phénomène totalement inverse à celui que l’on observe chez les Israéliens. Un des soldats interrogés m’a confié s’être renforcé après un pacte qu’il avait passé avec D’ieu: il venait ici, sans famille, faire l’armée, il était prêt à aller à la synagogue de la base militaire, à pratiquer davantage et D’ieu en échange devait le protéger!”.

Beaucoup de soldats français servent dans l’unité “Netsa’h Yehouda”, réservé aux religieux et contrairement aux débats qui agitent la société israélienne, même des haredim français s’enrôlent, sans se poser de question. ”Pour ces soldats issus des écoles et des milieux religieux français, le lien républicain que j’évoquais laisse sa place à la volonté d’accomplir une mitsva en faisant l’armée”.

Si l’on parle de religion, il faut également évoquer la différence importante que souligne le Dr Dahan dans son étude, entre la laïcité à la française et le rapport entre l’Etat et la religion en Israël. Ces olim viennent d’un environnement où la religion ne doit pas se faire remarquer dans l’espace public et encore moins dans une structure telle que l’armée. Les voilà plongés dans un bain où même si ce n’est pas la religion qui fait la loi, la loi prend en compte celle-ci. Cette divergence fondamentale n’est pas sans interpeler les jeunes recrues arrivées de France.

Des conclusions inattendues?

Si la motivation des soldats issus de l’alya française est connue, l’étude met donc en lumière d’autres aspects fondateurs de l’engagement de ces jeunes au sein de Tsahal.

Qu’est-ce qui vous a le plus surpris au terme de cette étude?

”Je retiens trois éléments qui, pour moi, ont été une découverte. En premier lieu, le renforcement religieux à l’armée qui va à contre-courant de ce qui se passe chez les Israéliens. Ensuite, le nombre de jeunes qui ont des origines marocaines dans ces soldats olim. J’ai basé mon étude sur une recherche aléatoire de témoignages et je n’ai rencontré une grande majorité de jeunes avec des origines marocaines, alors que ceux-ci sont les moins nombreux à avoir immigré en France comparativement aux Juifs de Tunisie et d’Algérie. Enfin, les retrouvailles avec le lien national et républicain, perdu en France, lorsque ces jeunes arrivent en Israël”.

Le soldat olé de France: un modèle?

Qu’est-ce que le soldat olé de France peut apporter aux Israéliens, si l’on tient compte de ce qui le caractérise d’après votre étude?

“Les récentes études en Israël montre une baisse de la motivation pour l’enrôlement chez les jeunes israéliens. L’idéal de l’armée en Israël a tendance à s’effriter. Les soldats français viennent renforcer les rangs de ceux qui tentent de pallier ce manque de motivation, et notamment les religieux sionistes. Ils constituent une ressource inouïe de soldats qui voient leur service comme une mission et transmettent autour d’eux une image attirante de l’armée. C’est une contribution fondamentale à notre époque”.

Guitel Ben-Ishay

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