Sandrine Alexandre, 24 heures de la vie de Socrate

Sandrine Alexandre, 24 heures de la vie de Socrate, PUF 2023.

Tous les lecteurs avertis auront apprécié ce clin d’œil à une célébrissime nouvelle de l’inoubliable Stefan Zweig, Vingt-quatre heures de la vie d’une femme….Mais ici, il s’agit de tout autre chose. Nous sommes en présence d’un ouvrage plutôt érudit, produit par une spécialiste de philosophie antique. Et c’est du sérieux car l’auteur nous présente un Socrate qui a été jugé et condamné par les autorités d’Athènes. On se trouve à la veille de son exécution par l’ingestion de la cigüe…

L’introduction exploite le récit donné par un disciple qui va rendre hommage à celui qu’il considérait comme son maître. Pourquoi cette accusation de perversion, de corruption de la jeunesse visant un homme d’âge puisqu’il a déjà soixante-dix ans. L’auteure dit qu’il ne s’est pas vraiment défendu pour faire litière d’une accusation qui n’est pas si fantaisiste que cela mais qu’un solide juriste aurait pu détruire et sauver ainsi la tête de son client. Et à partir de là on passe en revue les relations du grand philosophe, le père de la philosophie, encore faudrait-il dire laquelle ?

Je ns unis pas compétent pour juger de l’inanité ou, au contraire, du bien-fondé de l’accusation brandie contre le maître de Platon. Mais certaines déclarations dans d’autres dialogues platoniciens nous pressentent un Socrate rendant hommage à la grâce et à la beauté de jeunes gens qui laisseraient croire qu’il était un peu amateur d’éphèbes… A ma connaissance, mais je me trompe peut-être, il ne rend jamais hommage à la virilité de ces mêmes jeunes gens. Peut-on parler ici d’un éraste dans ce cas précis, et notamment au sujet de ses relations avec Alcibiade comme érmène… Mais concernant Alcibiade, ce ne serait pas vraiment étonnant.

Il est injuste que tu mures, se serait exclamé la future veuve de Socrate, si l’on en croit certains témoignages. Socrate, lui, semble penser que sa soumission au verdict parachève sa stature morale et le place bien au-dédis sus d’une simple erreur judiciaire.

C’est aussi le premier martyr de l’Histoire. Durant le Moyen Âge, lors des grandes controverses philosophico-religieuses, quelques théologiens arguaient qu’ils étaient prêts à souffrir le martyre pour faire triompher leurs idées et déniaient cette élévation d’esprit aux philosophes; ce faisant, ils oubliaient le cas de Socrate, premier philosophe à donner sa vie pour ses idées et notamment son respect des institutions régissant la cité. Si des hommes vertueux comme Socrate défient la loi que ferait le reste de la population devant un si mauvais exemple ?

Ces vingt-quatre heures sont à nulles autres pareilles… Au terme de ce bref laps de temps( (que Socrate met à profit pour rédiger des poésies qui lui survivront) pouvons nous penser que Socrate n’existera plus ? Non point, c’est alors que se pose la question d’après la mort, de l’au-delà, existe-t-il une vie après la mort et pouvons nous la figurer à l’aide de notre intellect et de notre langage ? Socrate ne disparaîtrait pas complètement, son âme, surtout sa faculté intellective, restera sous quelque forme que ce soit… D’où cette discussion de la mort (Phédn) qui est grave puisque le héros du jour et ses amis venus lui dire adieu y sont confrontés et pas uniquement d’un point de vue académie. Voire un cas de philosophie vécue concrètement : Socrate, dans quelques heures sera invocable mais deviendra intouchable. Il changera de monde et de nature. Ce voyage ultime dont jamais personne n’est revenu change la donne. On bascule dans le domaine de la foi, de la croyance en un monde meilleur, comme le pensent les adaptes du judéo-christianisme. La croyance en une vie après la mort fait figure de dogme religieux dans le cadre du monothéisme éthique. Avec les Grecs, on se retrouve dans un autre monde spirituel… La foi en une résurrection, notamment dans le christianisme, est décisive. Sans Résurrection de Jésus, pas de christianisme. C’est dire !

Ce livre m’a enseigné une leçon, les bienfaits de la contre—productivité ; en commandant ce bel ouvrage, je m’attendais à tout autre chose. Mais j’ai beaucoup appris et c’est là l’essentiel Les différentes digressions constituent autant d’n’analyses très pertinences sur des sujets graves et controversées.. Les rapports entre le gouvernement de la cité et la justice, en général. La notion même de corruption de la jeunesse était trop vague et trop vague, au point que le procès fait à Socrate est devenu, à lui seul, le symbole même d’un inéquitable justice. Une justice qui n’a de justice que le nom…

Il y a aussi la place de la beauté dans la vie sociale. Doit-on respecter certaines règles ou bien tout est permis pour assouvir le désir ? Autant de sujets et bien d’autres qui rendent la lecture de cet ouvrage nécessaire…

L’enquête est très bien menée , même si, parfois, quelques longueurs de sujets connexes mettent notre patience à l’épreuve.
La nouvelle comparution in abstracto, de Socrate en 2012 à Athènes, avec évidemment un acquittement à la clé, m’a fait penser à quelques autres grades erreurs judiciaires de l’histoire mondiale : Jésus et Spinoza… Une révision s’impose.

Maurice-Ruben HAYOUN

Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève.  Son dernier ouvrage: La pratique religieuse juive, Éditions Geuthner, Paris / Beyrouth 2020 Regard de la tradition juive sur le monde. Genève, Slatkine, 2020