Le seul langage de la Shoah

Il n’est pas encore temps de changer le message de la Shoah: réponse en 2 mots à Avraham Burg (voir son article intitulé “Le nouveau langage de l’Holocauste”. en bas de page)

Les survivants de la Shoah n’ont pas encore tous disparu que certains, en Israël, sont déjà prêts à remettre en cause les formes d’expression de sa commémoration et de l’hommage aux victimes de ce qui a été la plus grande catastrophe non seulement du peuple juif, mais de l’humanité toute entière.

Ce “réexamen” iconoclaste du vocabulaire pourrait s’avérer aussi pervers, voire davantage, que la négation même de l’Holocauste par les antisémites traditionnels.

C’est l’impression désagréable que devraient éprouver les familles des victimes à la lecture de l’article écrit par Avraham Burg.

L’ancien président de la Knesset y fait le procès de la terminologie utilisée pour évoquer la Shoah et son traumatisme. “Pendant ce temps les générations se succèdent et tous les efforts de l’institution de la Shoah d’arrêter le temps et de donner le sentiment que rien n’a changé et que la Shoah est toujours présente sont voués à l’échec. Le temps du langage oral de la Shoah est compté”.

Burg va même plus loin: “Il [le langage oral] est encore composé d’une syntaxe interne limitée à la victimisation. Son vocabulaire et son concept des peurs, de la pathologie de la violence et du sentiment de culpabilité ne pourront se perpétuer car la mémoire elle-même est en train de se transformer”.

Et de saluer le renouvellement du vocabulaire de la Shoah “pour être accessible à tous, avec des termes plus humains et universels, plus ouverts et tolérants”.

Ainsi, les termes utilisés par les derniers survivants et les descendants de la première, voire seconde génération, qui ont subi, eux aussi, même si c’est indirectement, le traumatisme de la Shoah, seraient empreints d’intolérance.

Ils témoigneraient par leurs récits misérabilistes de leur étroitesse d’esprit à contre-courant de l’Histoire et de son évolution dans ce monde parfait des “droits de l’Homme” dans lequel nous vivons aujourd’hui.

Avraham Burg brosse un tableau idyllique de ces espaces de tolérance et de dialogue situés dans le ghetto de Venise, mentionnant également un centre d’activisme socio-culturel à Amsterdam et la maison du chancelier autrichien Bruno Kreisky à Vienne où se rencontrent pêle-mêle Israéliens et Palestiniens, Iraniens, Saoudiens, victimes du colonialisme et descendants des conquérants.

C’est tellement beau qu’on en aurait presque la larme à l’oeil.

Tous ces “temples de la tolérance” et d’amour du prochain deviennent si propres dès lors qu’ils sont “Judenrein”, c’est-à-dire lorsque les Juifs en ont disparu. Burg aurait même pu y ajouter le “Shoahland” de Cracovie ou le quartier juif de Prague et même les “Stolpersteine” de Berlin.

Des endroits purifiés pour des consciences purifiées, bref un vrai pays de bisounours dans lequel on suggère néanmoins le message subliminal postsioniste selon lequel les victimes d’hier seraient devenues les bourreaux d’aujourd’hui.

Mais Avraham Burg oublie ou omet de citer d’autres villes européennes qui n’ont pas encore été touchées par la grâce de son monde idéal et politiquement correct.

Il devrait plutôt militer pour qu’on applique la tolérance et le respect des droits de l’homme à l’égard des Juifs de Toulouse, de Bruxelles, de Paris et de Copenhague.

Il devrait également sortir d’Europe et se rendre à Téhéran pour convaincre les ayatollahs de modifier leur vocabulaire à l’égard d’Israël avant de nous demander d’adoucir les mots pour exprimer notre douleur et de nous parler de “l’institution Shoah” , une expression qui donne du grain à moudre aux antisémites qui nous accusent de l’instrumentaliser.

Il n’est pas encore temps, si tant est qu’il le soit jamais, de changer la terminologie de la Shoah, car les Juifs sont encore et toujours en danger.

Avraham Burg a raison: le vocabulaire est primordial. Comment pourrait-il ne pas être d’accord avec ma réponse à la Shoah que je lui propose et qui est composée de deux mots seulement:

“mémoire” et “Israël”.

Ce soir, se tiendra à Jérusalem la cérémonie officielle du Yom HaShoah (Jour de l’Holocauste) en présence du président et du Premier ministre de l’Etat d’Israël.

Je la regarderai avec mes petits-enfants à la télévision et je leur expliquerai que tel est le langage qu’il faut tenir.

Je leur montrerai que les militaires qui tendront la torche aux six survivants qui symbolisent nos six millions de frères assassinés sont les garants de notre vie et de notre sécurité en tant que Juifs, mais aussi de notre indépendance en tant qu’Israéliens pour que “Plus jamais cela” ne se reproduise.

Marc Femsohn est journaliste, rédacteur en chef du site internet français de i24news

Le nouveau langage de l’Holocauste

Cette dernière décennie fut parmi les plus horribles de toute l’histoire de l’humanité, et des plus épouvantables de l’histoire juive, au cours de laquelle ont été façonnées notre mémoire et notre conscience ainsi que la manière dont nous associons la plupart des évènements de notre vie.

Un processus naturel a fait de la Shoah notre langage principal car, après tout, on ne peut pas passer d’un coup d’un traumatisme total à la routine quotidienne.

Pendant ce temps les générations se succèdent et tous les efforts de l’institution de la Shoah d’arrêter le temps et de donner le sentiment que rien n’a changé et que la Shoah est toujours présente sont voués à l’échec.

Le temps du langage oral de la Shoah est compté. Il est encore composé d’une syntaxe interne limitée à la victimisation. Son vocabulaire et son concept des peurs, de la pathologie de la violence et du sentiment de culpabilité ne pourront se perpétuer car la mémoire elle-même est en train de se transformer.

Les derniers témoins vivants sont en train de quitter ce monde et la Shoah passe du stade de l’expérience personnelle des survivants à celui de la mémoire historique collective. Avec la fin de la dimension personnelle, c’est également le vocabulaire de la Shoah qui se modifie.

Partout en Israël et dans le monde ce vocabulaire s’élargit à une terminologie de concepts, de rites et d’actions qui vont au-delà de la catastrophe et du traumatisme.

Au-delà des apparences, commence à émerger le langage du rétablissement et de la guérison.

Le ghetto de Venise occupe une place importante dans l’histoire. C’est là qu’est né le premier ghetto. Au XVIème siècle Venise décide de se renforcer par l’importation d’une main d‘oeuvre de qualité: des commerçants, des banquiers, des médecins et des étudiants juifs. D’abord d’Allemagne et de toute l’Italie, puis, dans un deuxième temps, du Levant et des expulsés des Inquisitions espagnole et portugaise.

Ils furent autorisés à vivre dans un quartier spécial appelé “ghetto” dont l’étymologie reste floue. Un demi-siècle plus tard, le ghetto devient une politique de logement des Juifs dans des quartiers particuliers.

Au fil des ans, le terme “ghetto” a été repris dans de nombreuses langues pour définir les quartiers à minorité distincte.

L’année prochaine, en 2016, Venise fêtera le 500ème anniversaire de la création du premier ghetto.

Si ces commémorations s’étaient déroulées en Israël, l’accent aurait été mis sur la mise à l’écart, la haine des non-Juifs et l’antisémitisme.

Venise symbolise bien davantage et est à l’avant-garde dans ce domaine.

Venise est un des endroits où le vocabulaire de la Shoah se renouvelle pour être accessible à tous, avec des termes plus humains et universels, plus ouverts et tolérants.

Le visiteur du ghetto aura droit à une terminologie bien plus variée que celle des récits de la misérabilité juive.

Les nouveaux points forts du ghetto ne sont pas seulement un inventaire; une plaque commémorative de la Shoah sur le mur d’une cour intérieure, un poste de police et le centre communautaire Chabad-Loubavitch avec toute sa signification et sa problématique.

Sur la place centrale sera jouée la pièce de théâtre “le marchand de Venise” de Shakespeare Les synagogues seront ouvertes au public pour mettre en exergue le pluralisme caractéristique du ghetto ; Ashkénazes et Sépharades, des précurseurs de la laïcité et religieux purs et durs au sein d’une coexistence contenue.

Et sur le passage qui mène de l’ancien au nouveau ghetto, s’ouvira la “maison de Venise”

Un espace intellectuel et de valeurs qui contribue à l’ensemble de l’humanité. Il y aura des professeurs et des étudiants, des visiteurs et des permanents, qui traiteront de toutes les composantes humaines.

Des moralistes engagés dans le passage de la notion juive du “plus jamais cela” vers “l’être humain en tant que tel” sont produits à partir de ces ghettos humains.

Sa structure reposera sur une culture juive différente de celle que nous connaissons, on y verra le nec plus ultra du “judaïsme vénitien”. Venise en tant que centre du savoir juif combinant la créativité et le dialogue entre les cultures diverses

Chaque visiteur pourra rencontrer justement ici les plus grands écrivains, artistes, créateurs et penseurs de notre époque. Ils se trouveront là pour de longues périodes, s’impliqueront dans la vie de la cité et de sa culture, ils discuteront avec des gens différents d’eux, enrichiront leurs sources et créeront ensemble,

Ainsi, avec eux et grâce à eux, le ghetto passera de la notion d’espace fermé, terne et traumatisant à celui de lexique d’ouverture, tolérance et acceptation de l’autre.

En plein cœur d’Amsterdam se trouve le centre d’activisme socio-culturel “Castrum Peregrini”. Une peintre hollandaise, Gisèle, habitait à cet endroit au cours de l’horrible période de la Seconde guerre mondiale. Avec son compagnon et poête allemand Wolfgang Frommel, ils y ont caché des Juifs persécutés. Ils ont passé ces années de clandestinité et d’occupation à étudier l’art et la littérature.

A l’issue de la guerre, ils deviennent un groupe activiste agissant en faveur de réformes sociales par le biais de leurs valeurs communes: l’amitié, la liberté et l’art.

Il y a un an, Gisèle est morte à l’âge de 100 ans. Ses successeurs poursuivent son héritage vers sa prochaine étape. La maison de la vie et de l’héroïsme est le centre “des héros silencieux”, un lieu qui perpétuera les “Justes parmi les Nations” qui, par leur héroïsme, ont non seulement sauvé des vies humaines, mais plus généralement l’humanité et l’humanisme.

Cette “forteresse”est un des lieux les plus ouverts de cette ville libérée, le point de rencontre de l’activisme social tourné vers “l’autre”. Religieux et laïques de toutes confessions, hétéros et homos, hommes et femmes, immigrés et autochtones, victimes du colonialisme et descendants des conquérants agissent ensemble en faveur d’une société plus humaine et meilleure au point culminant de l’esprit de l’homme à l’époque de la Shoah.

A Vienne, la maison du Chancelier juif Bruno Kreisky d’Autriche sert depuis plusieurs années de centre de dialogue international. De vrais miracles y ont lieu ces dernières années. Des Européens et leurs voisins, des intellectuels et des activistes, juifs, chrétiens et musulmans, palestiniens et israéliens, iraniens, saoudiens et libanais sont partenaires dans plusieurs processus profonds, approfondis et très ouverts.

Là aussi, au coeur du grand embrasement du siècle dernier, poussent les germes d’un nouveau langage parallèlement à une sensibilité infinie aux valeurs, à la morale et aux droits qui forment un écran de protection total contre tout ce qui s’est passé.

A Venise, Amsterdam, Vienne et dans d’autres endroits on assiste à la naissance de la langue des droits et des libertés qui devient une sorte de filet de sécurité pour tous ceux qui souffrent encore de la terminologie désuète de l’oppression, du racisme et de l’arrogance.

Le langage issu des germes de la catastrophe du siècle dernier est une langue sans partition.Personne n’a le monopole de la douleur, tout le monde a de l’empathie pour ceux qui souffrent. Ses orateurs font partie de la communauté humaine contre la haine et le racisme.

C’est une langue dans laquelle les descendants des conquérants et les victimes, juifs et allemands, colonialistes et immigrés se serrent la main et forment une chaîne humaine dont les principes fondamentaux sont l’égalité et la justice. Une chaîne qui tente d’englober toute l’expérience humaine et de la corriger. Une chaîne d’optimisme et de foi qui remplace l’ère du pessimisme et de la suspicion qui l’ont précédée.

Ces jours-ci, j’apprends cette nouvelle langue. Elle n’est pas facile, mais je pense que seul à travers elle, je pourrai parler avec mes petits-enfants et leurs amis, les enfants de ce siècle, les enfants de l’avenir et l’espoir.

Avraham (Avrum) Burg a présidé la 15ème Knesset (Parlement) d’Israël, a tenu la fonction de président de l’Agence juive. Il est aussi écrivain et membre du Forum pour le dialogue international « Bruno Kreisky Forum » à Vienne.

i24news

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gabriel Taieb

Quel débat? Il n’y a pas lieu de débattre, cette attitude relève de l’état d’esprit des lâches au profil bas – tel que les antisémites le souhaitent pour décrire le « Juif » – qu’avaient les collabos « juifs » du 3ème reich en espérant s’attirer les bonnes grâces de leurs bourreaux. On sait le résultat. Cette position est une honte, et l’auteur la résume en clair:

« Ce “réexamen” iconoclaste du vocabulaire pourrait s’avérer aussi pervers, voire davantage, que la négation même de l’Holocauste par les antisémites traditionnels. »