Quand Yann Moix publiait dans un journal antisémite

 

Yann Moix à "On N'est Pas Couché", le 12 janvier 2019.

Yann Moix à « On N’est Pas Couché », le 12 janvier 2019.

Capture d’écran France 2

Dans sa jeunesse, le romancier a participé à des publications ouvertement négationnistes. L’Express les a retrouvées. Et publie à la suite les explications de l’écrivain.

Orléans, le nouveau roman de Yann Moix, n’en finit plus de susciter la polémique. L’écrivain y raconte comment ses parents l’auraient atrocement battu durant sa jeunesse et son adolescence. Son père a démenti les faits dans une interview à La République du Centre et son frère Alexandre a taxé l’écrivain d’affabulateur et même de « révisionniste » dans Le Parisien de ce week-end.

Le mot est fort. Mais n’a peut-être pas été choisi au hasard. En explorant la vie de Yann Moix dans la continuité du récit autobiographique qu’il vient de livrer, L’Express a en effet découvert trois publications de jeunesse de l’écrivain aux relents particulièrement antisémites et négationnistes. Elles datent de 1989-90, époque où, après ses années en Maths Sup et Maths Spé contées dans Orléans, le jeune homme était étudiant à Sup de Co Reims, avant d’intégrer Sciences Po. Il s’agit de trois numéros d’un magazine de fabrication artisanale illustrés par le futur auteur de Podium. Chaque exemplaire était vendu dix francs.

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Couverture du premier numéro d’Ushoahia dessinée par Yann Moix.

CP

Le titre donne déjà une idée assez claire des idées véhiculées par cette publication : Ushoahia, avec une étoile de David sur le « i ». Un jeu de mots sur Ushuaïa, la célèbre émission alors animée par Nicolas Hulot, et la Shoah. Sous-titre : « Le magazine de l’extrême ». Et extrême, il l’est. La couverture du numéro 1, due au « talent » de dessinateur de Yann Moix (il fait allusion à plusieurs reprises à son envie de devenir auteur de bande dessinée dans Orléans), montre un déporté jouant de la guitare devant des fours crématoires et un monceau de cadavres.

Obsession antisémite contre Bernard-Henri Lévy

Tout ce premier numéro est à l’unisson. Dès la page deux, après un paragraphe sur le négationniste Robert Faurisson, on peut lire : « Chacun sait que les camps n’ont jamais existé. » Suit une diatribe d’une violence inouïe contre Bernard-Henri Lévy : « Ce philosopheux coprophage et sodomite sioniste au nez long, dont le crâne n’a pas été rasé par les amis d’Adolf, etc. » Plus loin, une caricature de BHL en déporté est ainsi légendée : « Le véritable rêve de BHL : devenir un héros d’Auschwitz ». On a aussi droit à un dessin de Moix représentant un « Club Mickey-Auschwitz » avec un déporté au long nez et aux oreilles décollées. Un autre de ses dessins, mettant encore en scène un Juif dans un camp, se présente comme une fausse publicité pour la boisson « Coca-Créma », « official drink of the Holocaust »… Nombre de ces dessins cohabitent directement avec des tirades négationnistes.

VIDÉO >> « Femmes de 50 ans » : Marlène Schiappa défend Yann Moix 

Dans les textes, les traditionnelles têtes de turc de la presse antisémite en prennent pour leur grade : Marek Halter, « vieux père Noël rabbique et zobsédé », André Glucksmann « avec ses deux wagons de Juifs sous les yeux », ou encore Anne Sinclair, prise à partie en des termes orduriers…

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Exemple de texte négationniste publié dans le numéro 2 d’Ushoahia.

CP

Les deux numéros suivants de Ushoahia, bien que consacrés officiellement à la famine en Éthiopie et à l’abbé Pierre, continuent sur le même mode obsessionnel et ouvertement négationniste : « Après les six millions de Juifs soi-disant morts dans les camps en carton-pâte que la Metro Goldwyn Mayer a fait construire pour le compte de quelques Juifs avides de pognon… », peut-on par exemple lire dans le numéro 2. On trouve également ici ou là des propos grossièrement misogynes et un « conte africain » ouvertement raciste. Des « poèmes » complètent l’ensemble, tel ce pastiche du Nougayork de Claude Nougaro, qui devient « Nougawald » en référence à Buchenwald.

Des articles signés « Auschwitz-Man »

Inutile de multiplier les exemples, le message est clair. Et rien, strictement rien, ne laisse supposer qu’il pourrait entrer le moindre second degré dans cette logorrhée. Yann Moix a eu la prudence de ne rien signer de son nom dans ces trois numéros. Nous nous sommes procuré des dessins qu’il a signés de son nom à la même époque et que certains de ses camarades ont conservés : on y retrouve exactement les mêmes caricatures de BHL et de Sartre au détail près. Le doute n’est pas possible.

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Éditorial du numéro 2 d' »Ushoahia » signé « Auschwitz-Man » et illustré par Yann Moix.

CP

Mais si Moix reconnaît être bien l’auteur des dessins, il conteste dans l’entretien qu’il nous a accordé (voir ci-dessous) être l’auteur des textes du journal, qui seraient l’oeuvre de deux ou trois de ses camarades de l’ESC Reims. Pourtant, on identifie sans peine son écriture dans certaines pages manuscrites de la publication, notamment la très longue tirade antisémite et négationniste du numéro 1. Il assure à L’Express qu’il s’est contenté de recopier ce texte d’un tiers, son écriture étant la plus lisible de la petite équipe…

Erreur de jeunesse ?

Bien sûr, dira-t-on, Yann Moix était âgé de 21 ans au moment de ces publications amateurs. Une erreur de jeunesse ? Peut-être. Mais cela excuse-t-il pour autant cet antisémitisme ordurier ? Ce négationnisme ? Dans Orléans, justement, l’écrivain explique combien il fut précoce intellectuellement et dévorait, adolescent, des auteurs « convenables » tels que Gide et Péguy. Mais, évidemment, pas un mot sur ses penchants plus sulfureux.

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Une fausse publicité dessinée par Yann Moix dans le premier numéro d' »Ushoahia ».

CP

Ironie de l’histoire, quatre ans après avoir publié ces numéros, en 1994, Yann Moix va être lancé dans les milieux littéraires parisiens par… Bernard-Henri Lévy ! Celui-ci l’introduit chez Grasset, son éditeur de toujours. Depuis, BHL est le grand homme de Moix, son indéfectible protecteur. Comment un tel passage de la haine à l’amour a-t-il été possible ? Comment Moix est-il devenu cet auteur célébrant en permanence le peuple juif et rêvant même de se convertir ? Volonté, consciente ou inconsciente, de se racheter de ses écrits de jeunesse ? Peut-être – et cela nous ramène aux polémiques entourant la publication d’Orléans – l’explication réside-t-elle dans la personnalité tourmentée de Moix.

Lourd secret

Depuis près de trente ans, l’écrivain vit donc avec ce lourd secret. Bien renseigné, l’écrivain Marc-Édouard Nabe, dans un paragraphe de son livre auto-publié en 2017, Les Porcs 1, fait une brève allusion à l’existence d’Ushoahia, tout comme l’auteur controversé Paul-Éric Blanrue l’évoque d’une ligne dans son ouvrage Sécession paru en 2018.

Mais jusqu’ici, personne n’avait pu lire et voir ces fameux numéros d’Ushoahia. Ils révèlent une face pour le moins sombre de la personnalité du jeune Yann Moix.

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L’écrivain français Yann Moix, en 2013.

afp.com/FRANCOIS LO PRESTI

« Je suis épouvanté de ce que j’ai pu produire »

Yann Moix s’explique sur ses publications de jeunesse antisémites.

L’Express : Avez-vous bien participé aux trois numéros d’Ushoahia ? Dans quelles circonstances ?

J’ai effectivement participé, durant l’année universitaire 1989-90, à l’âge de 21 ans, en tant que dessinateur, à ces trois numéros. J’étais à l’époque étudiant en école de commerce et je m’ennuyais. Je rêvais, alors, de placer mes dessins dans Hara-Kiri, un journal à l’humour très noir, dirigé par le professeur Choron et Cavanna. Je vénérais Choron. Lors d’un salon du livre, je suis allé montrer mes dessins, très noirs, très hard, au dessinateur Vuillemin. Vuillemin avait alors publié, l’année précédente, avec Gourio, le futur auteur des Brèves de comptoir, un album de BD fracassant, scandaleux, provocateur et fou intitulé Hitler = SS.

Jamais la bande dessinée ne m’avait paru être allée aussi loin dans la subversion. Je rêvais, j’imagine, d’aller plus loin encore. De franchir une étape supplémentaire dans le trash. Vuillemin m’expliqua qu’il n’aimait pas juger le travail des autres et me suggéra d’aller directement montrer mes planches à la direction de Hara-Kiri. Je me suis donc mis à dessiner les choses les plus noires, du plus mauvais goût possible, dans l’idée de les envoyer un jour au professeur Choron. Ce que je n’ai jamais fait, ne croyant sans doute pas en mes chances d’être publié. J’ai donc recyclé ces dessins (montrés à des amis eux aussi fans de bande dessinée « pour adultes ») dans un journal de potache, Ushoahia, afin de créer un Hara-Kiri artisanal, estudiantin. Autant Hara-Kiri était un bon titre, autant Ushoahia était un titre affligeant. Ça se voulait une provocation : celle-ci s’est soldée par un ratage total…

Quelle a été exactement votre participation à ces trois numéros ? Dessins ? Textes ? « Ligne éditoriale » ?

Je me suis strictement borné à faire les dessins. Je n’ai participé à aucun texte. Je m’étais provisoirement rêvé en Reiser, en Vuillemin, en dessinateur satirique, choquant. Grand lecteur de Cioran, je ne jurais alors que par l’humour noir, désespéré, désespérant. Il y a quelques dessins qui ne sont pas de moi. Quant à ce que vous appelez la « ligne éditoriale », il n’y en avait qu’une seule : choquer, déranger, et se faire détester. Je cherchais sans doute à la fois à me désennuyer, à exister, à me faire remarquer. À transgresser surtout, car c’était le maître-mot de l’époque dans cet univers. Hélas, je n’avais ni le talent ni le génie des dessinateurs caustiques que j’admirais. Et il faut bien constater que mes productions étaient lamentables et moches. J’étais, en voici la preuve, un jeune de 21 ans bien lamentable… Mais aussi pitoyable. Ces pages témoignent d’une consternante et inquiétante obsession pour les bites : il y en a partout ! La bite de Casimir, la bite d’Hitler, la bite de l’abbé Pierre ! C’est que j’étais aussi, il faut bien dire, un jeune homme de vingt ans obsédé et surtout frustré.

Vous dites que vous n’auriez pas écrit les textes. Mais publier vos dessins pour les illustrer ne les cautionne-t-il pas de fait ?

Les dessins étaient premiers. Les textes ont été écrits autour des dessins, à partir d’eux, puisque les dessins avaient vocation à être publiés dans Hara-Kiri. D’ailleurs, les dessins, si j’ai bonne mémoire, ne collent pas exactement au texte. Quant à la caution dont vous parlez, bien entendu : les textes ne contredisent pas les dessins ! Il y a, hélas, une parfaite cohérence entre deux modes d’expression. Dire le contraire serait malhonnête. Mais comme je n’ai fait strictement que les dessins, je vous réponds que je n’ai fait strictement que les dessins. À l’époque, mes tentatives de roman m’ayant un peu découragé, je ne jurais que par le dessin.

Je reconnais donc être l’auteur de ces dessins. Je refuse de jouer la carte du « on pouvait rire de tout à l’époque de Desproges, il y a trente ans, et aujourd’hui ce genre d’humour n’est plus possible ». Car, à dire vrai, ces dessins étaient déjà choquants, gratuits, et dégradants pour l’époque. La preuve en est que Hitler = SS avait été interdit par Pasqua. Et l’homme de cinquante ans que je suis est littéralement épouvanté de ce qu’il a pu produire, en l’espèce, à 21 ans. Je devais être bien mal dans ma peau, alors, pour me vouer à une telle débauche de mauvais goût…

Considérez-vous aujourd’hui que vous étiez antisémite à l’époque ?

Non. Je souhaitais simplement, par le choix de sujets tabous, comme la Shoah, les myopathes, l’abbé Pierre ou la faim dans le monde, choquer les gens qui me liraient. Je me fichais alors du sujet. Le conflit israélo-palestinien ne m’intéressait pas. La « question juive » non plus. Depuis, j’ai énormément évolué à ce sujet, comme vous le savez sans doute : depuis quinze ans, je me passionne pour le sujet. J’ai appris l’hébreu, étudié le Talmud. J’y consacre une partie de ma vie et de mes écrits, publiés ou non (mon éditeur a encore un imposant essai inédit de moi sur le judaïsme à faire paraître). Les antisémites notoires tentent tantôt de me faire passer pour juif, tantôt pour antisémite. Désolé, je ne suis ni l’un ni l’autre.

Vous n’avez jamais évoqué publiquement cet épisode. Pourquoi ?

La première raison est que ces pages sont abjectes et n’honorent pas leurs auteurs. La seconde est qu’elles étaient situées dans un espace-temps borné : géographiquement, dans une école de commerce en province ; temporellement, dans une durée de trois mois, en 1989-90. Elles n’étaient pas vouées à être connues du grand public. Ce sont des dessins ratés, parce qu’ils sont méchants sans être drôles. Et que je pense être gentil et avoir de l’humour. J’aurais pu dessiner de belles choses, avoir de l’ambition. Mais à l’époque, je broyais du noir. Je me suis fourvoyé dans un humour gras, inadmissible, que je condamne fermement aujourd’hui. L’humour pas drôle peut blesser.

Une autre raison est que je savais que mon frère, qui me menace depuis des années avec ce « trésor de guerre », comme il l’appelle, finirait par contacter des journalistes pour leur refiler ces pages (1). Il a tenté à cet effet de contacter Bernard-Henri Lévy à quelques reprises. Mon frère a toujours été une balance. Mon père me frappait à coups de poing et de fil électrique sur une seule remarque, un seul caprice, une seule plainte émanant de lui. Il a toujours tout raté, a toujours souhaité être moi. Il recopiait mes dissertations, tapissait sa chambre des mêmes affiches que moi, a fait un film intitulé Ultimatumsur les sosies après que j’ai fait Podium, a créé des sites internet pour me nuire, s’est fait passer pour des femmes pour me parler sur internet. Aujourd’hui, il tente même de me voler mes raclées ! Il n’a jamais réussi à trouver sa voie. Ce qui le rend aigri et méchant. Avec ces dessins qui sortent aujourd’hui, il tire son ultime cartouche. Cet aveu d’échec est d’une grande tristesse.

Qui était au courant de ces publications autour de vous ?

Bernard-Henri Lévy, tout comme le patron de Grasset, Olivier Nora, qui se trouve être mon éditeur, étaient tous deux au courant, depuis longtemps, de l’existence de ces dessins. J’ai même pris soin de les montrer à Olivier Nora jadis, en le prévenant que cela serait un jour utilisé contre moi, et lui ai demandé s’il me renouvelait sa confiance. Aucun de ces deux hommes, que leurs origines et leur arrière-monde culturel auraient prédisposé à être particulièrement sensibles à ce sujet, ne m’a jamais lâché. Ils savent que la littérature, chez moi, est tout et que, parfois, je suis encore capable de provoquer bêtement. C’est mon défaut. J’ai tenté de le calmer. Mais à vingt ans, ce défaut envahissait toute ma personnalité. Je n’en suis pas fier. En repensant à ces pages vieilles de plus de trente ans qui sont exhumées aujourd’hui, j’ai non seulement envie de vomir, mais de vomir le jeune homme de vingt ans que j’étais. Et que je déteste.

(1) L’Express laisse évidemment à Yann Moix la responsabilité de ces propos.

Par Jérôme Dupuis,

lexpress.fr

La rédaction de JForum, retirera d'office tout commentaire antisémite, raciste, diffamatoire ou injurieux, ou qui contrevient à la morale juive.

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reza pahlavi2

vive yann moix !! écoutez , il regrette ça suffit !!

Photini Mitrou

Moix est un homme brillant, un maître dans la dialectique. Sincère, pas sincère ce n’est pas mon problème. La seule chose qui m’intéresse c’est pourquoi a-t-il attendu 30 ans et attendu que d’autres fassent ces révélations. Il nous dit qu’il savait que son frère allait un jour sortir cette histoire. Un frère qui attend 30 ans pour nuire à son frère n’est peut-être pas si haineux que cela. Si Moix déteste l’homme qu’il était à 21 ans, pourquoi n’a-t-il pas écrit un livre il y a vingt ans pour se laver de cela en se dénonçant lui-même qui, entre temps serait devenu philosémite. Il aurait été libéré et sa vie, ces trente dernières années auraient été plus calmes. Il y a quand même quelque chose qui échappe à la raison dans cette histoire et on ne peut pas dire que Moix en soit dépourvu, de raison. Il a une telle facilité pour jouer avec les mots…

reza pahlavi2

va quand même pas crier sur les toits ses erreurs de jeunesse !! l’occasion est enfin arrivé , il reconnait et s’excuse !! voilà .

cmoi

SINCERE ?
je n’en crois pas un mot.

Bonaparte

Qu’il ne s’inquiète pas , nous serons à ses côtés .

Je l’ai toujours vu nous défendre avec courage sur tous les plateaux de TV et souvent seul contre tous .

Bien de nos coreligionnaires devraient le prendre comme exemple , je ne parle même pas des renégats .

Serge BENAMOU

La  » Techouva  » repose sur trois critères : reconnaître sa faute, regretter ses erreurs et ne plus recommencer. Yann Moix assume en reconnaissant sans équivoque sa responsabilité, il se repent en affirmant détester cet épisode de sa vie et enfin il a complètement changé de comportement. Il l’a prouvé car il est devenu un grand philo-sémite alors que ce n’est pas du tout dans l’air du temps. Il a fait preuve d’une grande force de caractère pour résister à toute cette médisance et s’expliquer en révélant ses fêlures. Je le crois profondément sincère : les détails fournis par Yann Moix sur sa famille permettent de comprendre sa souffrance et d’appréhender le contexte humain. Je pense qu’il a suffisamment honte de ses erreurs de jeunesse, alors laissons le tranquille. Souhaitons lui plutôt que tout cela s’arrête tout de suite et maintenant.

Bonaparte

Compte tenu de ce qu’il est aujourd’hui je lui pardonne ses  » erreurs de jeunesse  » .

Franck

il va passer bientôt chez Ruquier (où il a été chroniqueur)je pense qu’il s’expliquera sur tout cela et sa parole actuelle très pro juive est quand même assez importante à entendre dans cette émission de grande écoute.il a été l’ami d’un des mes amis (malheureusement disparu) qui n’a jamais mis en doute son philosémitisme (il lui offrait d’ailleurs tous ses livres dès leur parution)

alexandra

Pour ma part, je le crois sincèrement repenti de ces erreurs de jeunesse et je trouve assez sordide de lui ressortir ça maintenant. Vengeance de la famille ?

gigi

On le dit repenti et devenu philo-sémite.

Je n’en crois rien. Non pas qu’il ne puisse pas exister d’antisémites repentis, mais lui je n’y crois pas. Je ne saurais dire pourquoi exactement, mais je n’y crois pas.

Mais est-ce bien important ? A vrai dire je me moque de ce que peut penser cet homme.

br1spina

Ce n’est pas le premier penseur qui s’est fourvoyé dans sa jeunesse .Si on pense que même Karl Popper a été comuniste dans son enfance, on comprends que l’on peut changer radicalement et même devenir un philosophe liberal majeur. Moi je n’aime pas ceux qui deviennent antisémites comme Vargas Llosa mais j’aime ceux qui deviennent Philosémite comme Yann Moix! Penser mal par moment et nous en rendre compte nous permet d’apprécier avec beaucoup plus de subtilités les choses: au moins on sait pourquoi !

davidex

Bien dit br1spina.

Calimero

Il faut être juste avec vous-même; d’un côté le judaïsme dit que « la Tchouva, le repentit sincère est supérieur au Juste », alors acceptons de bon coeur le repentit de Yann Moix.

Irène BENHAMOU

Je suis complètement de votre avis. Je suis sure que Yann Mois est sincère. A plusieurs reprises il a défendu Israël les juifs. Il participe souvent aux quelques manifestations pour Israël. En Israël, des allemands non juifs dont les parents étaient nazis ont décidés de s’installer en Eretz après la guerre. Leurs enfants nés en Israël se sont convertis. Ils ont été acceptés sans problème alors ne peut on pas aujourd’hui accepter que Yann Moix fasse Techouva après toutes ses erreurs qu’il reconnait.

Franck

On peut changer à 180 degrés; Yann Moix est devenu un sincère philosémite qui a même envisagé de se convertir au judaïsme.donc il ne faut peut être pas l’accabler pour cette erreur de jeunesse. Je me souviens d’Alain Madelin ancien du GUD devenu plus tard très pro israélien

davidex

100% d’accord avec vous Frank et Calimero.

hocdin

Un loup déguisé en agneau, à éviter !

Rosa SAHSAN

Ah oui! lui aussi c’est erreur de jeunesse?
TROP FACILE
ROSA