Abdullah Qardash, un ancien officier de l’armée de Saddam Hussein qui a gravi les échelons de l’État islamique, serait le successeur du dirigeant éliminé, Abu Bakr al-Baghdadi. Ces derniers mois, c’était peut-être la première fois qu’on mentionne le nom d’un successeur du leader extrémiste le plus solitaire du monde. Cette mention reflète la lutte menée par Daesh pour se réaffirmer en tant que mouvement mondial.

Par Remy Mahzam *

AMAQ, une agence de presse affiliée à l’État islamique (Daesh), avait annoncé le 7 août 2019 que le chef du groupe, Abu Bakr al-Baghdadi, avait nommé Abdullah Qardash comme son successeur. Cette nomination a eu lieu à un moment où les spéculations concernant la détérioration de l’état de santé d’al-Baghdadi, après la blessure subie par celui-ci au cours d’une bataille à Hajin, contre les FDS Arabo-Kurdes, l’année dernière, se sont généralisées (étendues). La promotion de Qardash en tant que successeur d’Al-Baghdadi peut être considérée comme une tentative, non seulement, de rétablir la confiance entre ses membres, mais également de revigorer une nouvelle série d’attaques et une possible renaissance de la franchise terroriste de l’EI.

Al-Baghdadi est littéralement le dernier homme parmi les membres fondateurs du groupe. On l’a aperçu pour la dernière fois, avant son élimination, le 27 octobre, dans un message vidéo de 18 minutes le 29 avril 2019, rassemblant ses partisans, tout en reconnaissant la défaite du groupe face aux forces kurdes dirigées par les États-Unis. De nombreux hauts dirigeants de l’EI ont été tués lors du siège à l’est de la Syrie et les combattants restants se sont dispersés et ont repris la guérilla ailleurs.

Qui est Abdullah Qardash?

Abdullah Qardash vient de Tal Afar, une ville à majorité sunnite du nord-ouest de l’Irak. Il est diplômé d’un collège de sciences islamiques à Mossoul et avait servi comme officier de l’armée sous le régime de Saddam Hussein. Proche de l’adjoint d’al-Baghdadi, Abu Ala al-Afri, tué en 2016, Qardash a été surnommé le « Professeur » et le « Destructeur » et est reconnu comme un décideur brutal du groupe. Décrit par certains analystes de la sécurité comme étant cruel et autoritaire, populaire et respecté parmi les autres membres de l’EI, Qardash était responsable de l’élimination de ceux qui s’opposaient au style de leadership d’al-Baghdadi.

Qardash partage une histoire vécue avec al-Baghdadi. Les deux hommes ont été emprisonnés ensemble au centre de détention de Camp Bucca à Basra par les forces américaines pour leurs liens avec Al-Qaïda en 2003. Al-Baghdad s’est allié étroitement à d’autres détenus tout en affinant sa vision du soi-disant Califat. Qardash avait été commissaire religieux et juge général chargé de la charia pour Al-Qaïda avant de prêter serment d’allégeance à l’EI.

En choisissant son héritier, al-Baghdadi aurait tenu compte du contexte historique de son candidat potentiel et de sa légitimité religieuse, selon les convictions de l’EI. Qardash est supposé appartenir à la tribu des Quraysh et donc à la famille du prophète (également connu sous le nom de Ahl al-Bayt), ce qui en fait un candidat apparemment éligible en tant que futur calife. Ancien officier irakien sous le régime de Saddam et ayant étudié dans un collège religieux, Qardash aurait également une connaissance approfondie de la jurisprudence et de l’histoire de l’islam.

Les analystes de la sécurité ont toutefois noté que Qardash n’était pas le seul successeur potentiel d’Al-Baghdadi. Par exemple, il y a trois autres anciens membres supérieurs de Daesh : Amir Muhammad Saïd Abdal-Rahman Al Mawla, Sami Jasim Muhammad Al Jaburi et Mu’taz Numan, dit « Abd Nayif Najm Al Jaburi », qui ont été répertoriés par les avis de recherche du Département d’Etat américain pour la justice. Certains rapports ont également émergé, émettant des doutes sur la véracité des annonces faites par Amaq sur l’onction de Qardash en tant que successeur de Baghdadi (pour brouiller les pistes, protéger un tiers?).

Daesh après Al-Baghdadi

Une source du ministère irakien de l’Intérieur a déclaré qu’Al-Baghdadi était toujours en Syrie et qu’il souffrait d’une paralysie des membres après avoir été blessé lors d’une attaque à Deir ez-Zor en 2018. Bien qu’il ne compterait qu’un cercle restreint d’adeptes l’accompagnant et qu’on croit également qu’il souffre de diabète et d’hypertension artérielle, le dirigeant de Daesh continue d’avoir une forte influence et de l’autorité parmi ses disciples arabes et étrangers.

En supposant que Qardash soit le véritable successeur, son rôle pourrait se limiter à la logistique et à l’administration. Qardash pourrait ne pas avoir la même vigueur, le même influence spirituelle et la même capacité à être le leader auto-proclamé de tous les musulmans, position que Al-Baghdadi avait adoptée en 2014. La déclaration du califat d’Al-Baghdadi en 2014 a été vivement critiquée par les érudits islamiques du monde entier. il ne répond pas aux exigences et aux qualifications requises en tant que calife. Qardash pourrait faire face à des défis similaires s’il devenait le prochain calife.

Depuis la chute de Baghouz, dernier fief urbain de Daesh en mars de cette année, le groupe s’est réduit à des poches de résistance. Même si Qardash réussit à prendre le contrôle du mouvement, à la suite d’Al Baghdadi, il devra faire face à un leadership divisé au sein de la hiérarchie de Daesh, dont les membres sont dispersés par cellules à travers l’Irak et la Syrie. Les différentes factions qui se sont formées parmi les dirigeants tunisiens, saoudiens et irakiens pourraient même amener certaines personnes à rejeter la vision et la stratégie de Qardash en tant que dirigeant.

Malgré sa défaite territoriale, l’EI n’a pas été battu en tant qu’organisation terroriste. Dans la dernière série de vidéos de Daesh, intitulée  » Le meilleur résultat est pour les pieux « , publiée en juillet, des bai’ah (promesses d’allégeance) ont été renouvelés à al-Baghdadi par des djihadistes dans 12 pays. Les vidéos prouvent que les militants de l’EI dans plusieurs régions du monde restent toujours fidèles à leur chef. Qu’il s’agisse de Qardash ou d’autres, le successeur d’Al-Baghdadi rencontrera des militants convaincus et engagé à le soutenir (Al Baghdadi) à court et à moyen terme.

* Remy Mahzam est chercheur associé au Centre international de recherche sur la violence politique et le terrorisme (ICPVTR) de l’École d’études internationales S. Rajaratnam (RSIS) de la Nanyang Technological University (RSIS) de Singapour.