Les preuves s’accumulent. La Russie vise délibérement des civils en Syrie, avec des bombes à fragmentation et des armes anti-personnel. Ce qui a été d’abord été une question en suspens dans la politique étrangère à Washington, est devenu une réelle urgence. Pourquoi le gouvernement américain ne fait-il aucun commentaire pour confirmer ou réfuter ces allégations de crimes de guerre ?
Un rapport de Human Rights Watch (HRW) paru jeudi dernier, raconte comment des avions russes ont largué des bombes à fragmentation sur un marché sauvage de carburant, aux portes de Termamnin, un village de la province d’Idlib, le 11 juillet dernier, tuant 10 personnes et en blessant plus de 30 autres. Les victimes, dont deux sauveteurs, sont toutes des civils.
Selon HRW, trois chasseurs, dont deux SU-34 utilisés uniquement par la Russie, et un SU-24 (utilisé à la fois par les Russes et les Syriens) ont lancé huit attaques : les deux premières en utilisant des bombes à fragmentation, des cylindres remplis de douzaines de petites bombes qui se dispersent dans l’air et au sol. Certaines n’explosent pas immédiatement mais peuvent le faire des dégâts des jours, des mois voire même des années après.
HRW souligne que les bombes à fragmentation sont « non sélectives, et continuent à frapper leurs cibles même lorsque les premiers secours sont arrivés sur place, ce qui est interdit. »
La Russie n’a pas signé de traité international interdisant les bombes à fragmentation, mais elle a signé la Convention de Genève de 1949 qui recense les attaques non sélectives comme une faute grave. Il existe des vidéos tournées au moment de l’attaque, et des sites russes disent eux-mêmes que ce sont des avions russes qui ont frappé.
Ces preuves posent question. Le gouvernement américain, qui a des moyens d’observation aérienne sophistiqués dans la région, est-il au courant du rôle de la Russie dans ces bombardements ? Et si oui, pourquoi ne pas les condamner ?
La veille de la publication du rapport d’HRW, le Daily Beast a demandé au département d’Etat ce qu’il savait du rôle de la Russie dans ces frappes.
Y-a-t-il eu des bombardemenets aériens ce jour-là dans cette région ? Ont-ils largué à cet endroit ou ailleurs des bombes à fragmentation ? Un représentant américain au sein du forum russo-américain qui a pour mission de surveiller l’application du cessez-le-feu, a-t-il évoqué cet « incident », et si oui, quelle réponse lui fut donnée ? Combien d’autres incidents Russes du même genre les Américains ont-ils passé sous silence ?
24 heures plus tard, aucune réponse n’était arrivée.
Anticipant cette non-réponse, le Daily Beast a demandé au département d’Etat comment les USA espéraient contraindre la Russie à respecter les conventions qui interdisent ce genre d’attaque, s’ils ne rendent pas publiques ces informations.
Pas de réponse.
Une des raisons du silence américain sur ces violations russes de la Convention est que l’administration Obama a classifié ce genre de renseignements afin de protéger aussi bien les « sources que les méthodes pour les obtenir ». Rendre publiques ces informations « créerait aussi un précédent. Les Etats-Unis évoqueraient les activités militaires d’un autre pays » nous avait expliqué un officiel de l’administration, en début d’année. « Où fixer la limite ? »
Mais cela laisse ouverte la question : le gouvernement américain a-t-il abordé ce sujet avec la Russie, et comment cette dernière a-t-elle répondu ? Et au delà de ça, cela interroge sur le fait qu’une grande puissance respecte ou non (et impunément), une loi internationale née de la Deuxième Guerre mondiale, sans que les Etats-Unis réagissent publiquement.
Depuis que la Russie a commencé sa campagne de bombardements le 30 septembre dernier, la réponse des Etats-Unis été en général « Pas touche ».
En dépit des appels publics de l’opposition syrienne modérée et d’interventions en privé de pays comme la Turquie, les Etats-Unis n’ont pas levé le petit doigt pour aider les forces rebelles qui reçoivent pourtant un soutien militaire américain. La menace de l’usage de la force n’a pas été non plus brandie pour rendre le prix de l’intervention russe plus élevé.
L’administration américaine a plutôt joué la carte du cessez-le-feu par des moyens diplomatiques, en espérant que cela conduirait à un réglement négocié du conflit syrien.
Le secrétaire d’Etat, John Kerry, n’a jamais cessé de négocier avec les Russes dans l’espoir qu’ils pourraient ensemble mettre fin aux hostilités et obtenir la reprise des négociations dès le 1er août.
Mais la Russie et la Syrie ont, au cours du mois écoulé, commis des massacres à Alep, la plus grande ville syrienne, et l’agenda des négociations semble avoir été repoussé à la fin du mois d’août.
Les forces syriennes, soutenues par des troupes iraniennes au sol, la milice libanaise du Hezbollah, et l’appui aérien russe, ont coupé la dernière route tenue par les rebelles pour ravitailler cette enclave, le 10 juillet. Outre l’encerclement de la partie Est d’Alep, où vit une population d’au moins 300 000 personnes, les forces du régime ont détruit quatre des huit hôpitaux, ainsi que la seule banque du sang, et l’unique laboratoire d’analyses. Ils ont aussi largué des bombes-barils et d’autres explosifs sur des zones résidentielles.
L’administration Obama ferme les yeux sur le plus grand siège militaire connu depuis que les forces serbes ont encerclé Sarajevo entre 1992 et 1995.
Pendant l’intervention russe, l’administration a refusé de dire si la Russie ou la Syrie sont responsables ou non, de la destruction d’hôpitaux, d’écoles, de mosquées, et autres infrastructures normalement protégées par les lois internationales.
Début mai, après des raids aériens qui ont détruit un camp de personnes déplacées au Nord de la province d’Idlib, la Russie a nié toute responsabilité. Après des bombardements de plusieurs hôpitaux dans la partie d’Alep tenue par les rebelles, un hôpital tenu par le régime a aussi été frappé. Le gouvernement a mis en cause les rebelles, mais ceux-ci ont répondu qu’ils n’avaient pas d’armes capables d’atteindre cette cible, et accusé le gouvernement de vouloir leur imputer sa propre attaque.
Le département d’Etat a continué à ignorer toutes les questions posées sur les réels responsables de ces attaques.
Vu les capacités américaines de renseignement dans cette région, particulièrement quand des drones sont impliqués, Washington sait parfaitement qui fait quoi dans le ciel. Mais il n’y a pas pire sourd que celui qui ne veut pas entendre, et les refus officiels de reconnaître des responsabilités sapent les efforts des organisations et des journalistes qui tentent de connaitre la vérité.
Début juin, après des demandes répétées, un officiel du State Department a envoyé une réponse officielle. « J’ai regardé avec notre équipe en Syrie, mais, pour l’instant nous n’avons pas abouti à des conclusions concernant ces incidents. »
C’est tout. Et nous n’avons eu aucun commentaire quant à ces conclusions.
Il apparait clairement que l’administration a tiré un trait sur Alep, et sur sa population rebelle face à l’homme fort de la Syrie. Quelles qu’aient été les critiques émises par les Etats-Unis au début de l’intervention russe, les officiels la considèrent désormais la Russie comme un allié de longue date.
En mars, un officiel américain a dit que la Russie intervenait parce que les rebelles avancaient trop vite, et qu’ils menaçaient la survie du régime. La Russie s’inquiétait des conséquences éventuelles, si Assad et les institutions syriennes s’effondraient.
La Russie a ramené la Syrie dans l’impasse, selon cet officiel.
Jeudi, le département d’Etat américain a à nouveau replacé l’intervention russe dans le contexte de l’alliance avec Damas.
La Russie a « un accord de défense historique avec la Syrie qui va bien au delà du conflit actuel », a déclaré John Kirby, le porte-parole du department d’Etat aux journalistes. « Elle avait des bases et des troupes sur place. Donc personne chez nous n’a été surpris qu’ils s’intéressent à la situation quand la guerre civile s’est étendue en Syrie. » a-t-il ajouté.
Mais pour le moment, la question reste posée : pourquoi Washington semble ne pas s’intéresser aux crimes de guerre commis par la Russie alors qu’elle « s’intéresse à la situation »…?
Roy Gutman est un journaliste indépendant basé à Istanbul, ancien directeur du bureau moyen-oriental du groupe de presse McClatchy.


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