Retailleau : « Construire un islam de France en déconstruisant 1905 serait un reniement »
Le sénateur LR et ex-lieutenant de Fillon répond à la volonté de l’exécutif, affichée par Christophe Castaner dans « Le Point », de modifier la loi de 1905.
Dans son interview au « Point », le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner a affirmé que « renforcer la loi de 1905 pour la conforter dans ces principes » n’était pas « un tabou ». Rappelant qu’elle avait été modifiée 17 fois, celui qui est aussi ministre des Cultes a assuré que son objectif était « que les Français de confession musulmane puissent vivre paisiblement leur foi » tout en « menant ce combat essentiel pour construire un islam qui ait toute sa place en France ».
Le chef de file des sénateurs LR Bruno Retailleau lui répond. Engagé aux côtés de François Fillon pendant la campagne présidentielle, le sénateur de Vendée pointe du doigt « la politique de confusion d’Emmanuel Macron ». Selon lui, avec ce projet, « la République interviendrait dans l’organisation et la gestion du culte musulman ».
En réaffirmant dans un entretien au Point la volonté de la majorité présidentielle de revoir la loi de 1905 sur la séparation de l’Église et de l’État, Christophe Castaner confirme l’illusion dangereuse que dessine le projet d’islam de France d’Emmanuel Macron. Illusion d’abord parce que nous avons sous les yeux une quinzaine d’années de vaines tentatives. En quoi le Conseil français du culte musulman (CFCM), lancé avec cette même volonté d’encadrer et de donner un visage à « l’islam de France », est-il parvenu à lutter contre l’islamisme ? A-t-il permis d’endiguer la montée de l’idéologie fréro-salafiste, d’empêcher les attentats djihadistes ? Le paysage de l’islam dans notre pays est extrêmement morcelé, du fait d’influences extérieures et de conflits étrangers qui s’invitent dans le cadre national. Penser qu’il suffirait que les personnes de bonne volonté s’associent pour dépasser ces tiraillements relève d’une vision irénique. À supposer qu’une nouvelle institution voie le jour, elle n’aura jamais prise sur les groupes les plus radicaux. Ou pire encore, ces groupes particulièrement actifs chercheront à s’emparer de cette nouvelle représentation.
Dangereuse ensuite, car modifier le pacte de 1905, c’est laisser penser que ce qui poserait problème, ce serait la laïcité et non l’islam radical. Par ailleurs, il y a une forme d’injustice à changer la règle commune pour un culte alors que toutes les autres religions l’ont accepté et assimilé, non sans douleurs. Il aura fallu plusieurs siècles à la France pour mettre fin aux querelles religieuses. Ne les réveillons pas en revenant sur le compromis civique de 1905, en établissant une sorte de traitement particulier pour l’islam. Que penserait-on d’un projet de loi qui viserait à aider les catholiques, les protestants ou toute autre communauté religieuse à mieux s’organiser ? Il ne peut y avoir de laïcité à géométrie variable. Construire un islam de France en déconstruisant 1905, ce serait un reniement ; croire que l’on neutralisera l’islamisme en revenant sur la neutralité de l’État, un renoncement à ce qu’est la France.
Au contraire, face à cet islam d’affirmation qui fait le lit du communautarisme, nous devons réaffirmer qui nous sommes. Une République laïque tout d’abord. L’urgence aujourd’hui, c’est de renforcer la laïcité, pas de l’affaiblir. Je propose par exemple l’interdiction du voile islamique à l’université publique, la transformation du port de la burqa en délit avec suppression des allocations familiales pour les récidivistes, mais également d’inscrire dans la Constitution que nul ne peut se revendiquer de ses convictions religieuses pour se soustraire à la règle commune. Nous sommes un État de droit également, ce qui doit être une force, pas une faiblesse : expulsons les individus les plus dangereux, appliquons au salafisme les mesures pénales sur les dérives sectaires, renforçons notre arsenal juridique pour fermer les mosquées islamistes hors état d’urgence. Sur les financements, le gouvernement pourrait subordonner l’autorisation de financement étranger dans le domaine cultuel à une série d’exigences en termes de respect des principes et des valeurs que nous considérons comme fondamentales, par exemple le respect de la liberté religieuse et notamment la liberté de changer de religion. Combien de temps encore allons-nous accepter, au nom de la liberté, des financements venant d’organisations qui, chez elles, dans leurs pays, la piétinent allègrement ? Enfin, nous sommes une nation civique et les enjeux de citoyenneté que pose le communautarisme islamique ne pourront être résolus sans traiter en profondeur les questions d’immigration, et sans renouer avec une conception généreuse mais exigeante de la citoyenneté française à travers l’assimilation. Car on n’intègre pas des valeurs comme la liberté de croire ou de ne pas croire, l’égalité entre les hommes et les femmes, la fraternité civique : on les assimile. L’assimilation est, certes, une contrainte mais elle comporte la promesse de devenir pleinement français, contrairement à cette intégration réduite à la seule insertion socioprofessionnelle.
À la vérité, l’approche privilégiée par Emmanuel Macron a sa cohérence. Car pour celui qui fit l’éloge du multiculturalisme devant le Congrès américain, ce projet fait sens : si la société française a vocation à devenir multiculturelle, si elle n’est plus qu’un agrégat de communautés, alors, oui, effectivement, la République n’a plus à exiger la laïcité, mais à satisfaire les différentes exigences communautaires, quitte à tordre le pacte de 1905. Je crois qu’en faisant cela, Emmanuel Macron passe complètement à côté du sujet.
Là où il faudrait une politique de séparation pour garantir vraiment la laïcité, Emmanuel Macron semble choisir une politique de confusion puisque avec ce projet d’islam de France qui se dessine, la République interviendrait dans l’organisation et la gestion du culte musulman. De même, là où il faudrait une politique de protection pour assurer la sécurité des citoyens, le pouvoir cède à une politique de démission en ne dotant pas l’État des moyens régaliens dont il pourrait disposer en matière sécuritaire ou judiciaire. Enfin, là où il faudrait une politique d’assimilation pour combler le vide dans lequel se glisse le « tout » du totalitarisme islamique, le président de la République se contente d’une politique des bonnes intentions, dans le prolongement des discours lancinants sur le « vivre ensemble ». Les questions civiques et culturelles constituent le point aveugle du macronisme, puisse Emmanuel Macron ne pas nous entraîner vers un point de rupture, en déconstruisant notre pacte commun.
Par Bruno Retailleau