Olivier Boulnois, Saint Paul et la philosophie. Une introduction à l’essence du christianisme. PUF
Nous avons affaire à une série de conférences sur le sujet annoncé dans le sous- titre. J’ai saisi la balle au bond en voyant que le sous-titre traitant de l’essence du christianisme… J’ai pensé à la fameuse controverse entre le professeur Adolf von Harnack (Das Wesen des Christentum, 1900s) et le rabbin Léo Baeck (ob. 1956) (Das Wesen des Judentums, 1905, 1922 et en français 1993). Cette joute oratoire est presque totalement oubliée mais la question autour des essences, demeure : (en français, on dirait plutôt : qu’est ce qu’être juif ou qu’est-ce qu’être chrétien ?)
Dans ces conférences qui se trouvent réunies dans un même volume, on lit des développements plus élaborés que ce que fut l’état de la question au début du XXe siècle.
J’ai aussi pensé à Renan en reposant ce recueil après une lecture attentive de son contenu : le personnage de Paul (Saül de Tarse, disciple de Rabban Gamliel, l’Ancien) reste la figure la plus énigmatique et la plus charismatique dans les origines du christianisme. L’auteur a raison de dire que notre homme ne fut, au début, ni un juif ni un chrétien puisqu’il précède ces faits historiques d’une certaine manière ; la réponse de O.B. est que l’homme fut un judéen messianiste. J’accepte cette formulation car elle ne prétend pas tout expliquer ni tout résoudre. Je rappelle que Renan, dans son Histoire des origines du christianisme lui consacre deux tomes, pleins de détails et de faits, au point de faire dire à Sainte-Beuve que Renan donne l’impression d’avoir pris le thé avec son personnage.
A ce jour, on s’interroge encore sur les circonstances qui ont permis l’éclosion du christianisme, son développement doctrinal et sa propagation géographique à l’échelle mondiale. Je me souviens d’une définition du professeur André Caquot : le christianisme est une secte judéenne qui a réussi…
La question de l’essence porte sur ce qu’est le noyau insécable de l’une ou de l’autre religion. Et il est significatif que cette problématique se noue autour d’un nom, même si ce n’est pas le seul, historiquement, Saül-Paul. Certes, il avait bénéficié des enseignements de grands maîtres, et en matière de philosophie grecque, ce n’était pas non plus un débutant. Mais dans ces deux cultures, il a su se frayer un chemin bien au-delà. Son horizon n’était pas limité par sa culture judéo-hellénique, lui qui disait que les Grecs recherchent la sagesse… Son idée majeure est sa conception du temps qui se focalise sur la notion de salut. L’humanité a besoin d’un Sauveur, d’un être qui incarne sa rédemption en son sein et même au-delà.
On a connu plusieurs modes de lecture des idées pauliniennes ; l’auteur cite longuement l’interprétation luthérienne, revue et corrigée par Heidegger, au sujet du logos de la gloire et du logos de la Croix. D’où il ressort qu’une philosophie chrétienne est chose impossible, un cercle carré. On voit combien l’interprétation des versets pauliniens a eu des répercussions profondes sur la philosophie occidentale puisque l’auteur de Être et Temps y consacre maintes séances de son séminaire.
Il ne suffit pas de connaître Dieu par les livres, par les ressources de la théologie rationnelle, ce qu’il faut, c’est vivre les choses ; il en est de même du christianisme qu’il convient de vivre, selon l’auteur, avant de le justifier ou de le traduire en concepts rationnels. Ici, c’est une stricte lecture luthérienne qui s’impose. En dépit de formation conséquente en culture grecque, on perçoit chez Paul une certaine opposition à la spéculation philosophique de la même origine. Et Paul souligne la différence entre ce qu’il nomme le logos de la Croix et le logos de la Croix. Paul oppose clairement la sagesse divine à la sagesse humaine, qualifiée de sottise. Mais la question qui semblait préoccuper l’Apôtre était de savoir si l’expérience religieuse se laisse dire, contrairement à ce que pouvaient penser d’autres personnes.
Mais j’ai bien aimé la petite digression sur la sagesse dont parle le livre des Proverbes ainsi que la référence au livre de Martin Buber sur les deux types de foie, juive et chrétienne. Mais j’avoue aussi ne pas comprendre comment un sujet comme Paul, élevé dans la tradition judéenne (non encore rabbinique au sens plein du terme), a pu mettre en avant de telles pensées : comment un esprit authentiquement juif ou proto-rabbinique a pu déserter le rivage pour s’engager en haute mer ? Ce rapprochement entre le messianisme d’Israël et la crucifixion était absolument imprévisible, selon moi. Et pourtant, il s’est produit et eut de très beaux jours devant lui, même s’il n’a pas pu vider le néo-judaïsme, celui des disciples des sages (Talmidé hakhamim), de ses contenus juridico-légaux…
Mais c’est une autre histoire où Paul a joué un rôle crucial. Et fonder un nouveau crédo avec en son centre le thème du Messie crucifié ?
Maurice-Ruben HAYOUN
Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à l’université de Genève. Son dernier ouvrage: La pratique religieuse juive, Éditions Geuthner, Paris / Beyrouth 2020 Regard de la tradition juive sur le monde. Genève, Slatkine, 2020
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Petite rectification cher Monsieur Hayoun; Paul était bien Juif, issu de la tribu de Benjamin et même après sa conversion, il gardera cette identité mais c’est un Juif qui a fait une rencontre, une rencontre avec son Sauveur. Pour que Paul passe du statut de persécuteur à celui d’Apôtre, alors il s’est forcément passé quelque chose et comme je l’ai dit un peu plus haut, une rencontre: » Il tomba par terre, et il entendit une voix qui lui disait: Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ? Il répondit: Qui es-tu Seigneur ? Et le Seigneur dit: Je suis Jésus que tu persécutes… » Actes 9.4-5
D’ailleurs, n’est-il pas aussi écrit: » Alors je répandrai sur la maison de David et sur les habitants de Jérusalem un esprit de grâce et de supplication, et ils tourneront les regards vers moi, celui qu’ils ont percé… » Zac 12.10