Nous continuerons, Professeur…

Maurice-Ruben HAYOUN le 23.10.2020

Mis qu’est ce que l’islam ? Est ce une religion comme les autres ? Une chose est sûre et certaine: Non, le salafisme n’est pas l’islam, il en est le dévoiement le plus souvent sanglant puisqu’il tente par tous les moyens, y compris la promulgation de fatwa, de museler même ceux des musulmans qui pensent autrement tout en étant des adeptes sincères de leur religion.

Reprendre ce sujet si commenté depuis des lustres n’aura pas empêché ce meurtre odieux d’un jeune professeur français d’histoire-géographie. Ceux qui ont organisé ce crime affreux ne soupçonnaient guère le retentissent d’un tel forfait.

Ils ont réussi à regrouper face à eux, même ceux qui, croyants ou incroyants, pensaient pouvoir aboutir à un consensus, tel que le conçoit la théologie musulmane (Idhma’).

Le débat qui s’amorce va tourner autour de la question suivante, question cruciale s’il en est : L’identité musulmane ou islamique est elle compatible avec la culture européenne ? laquelle, si on met de côté un instant Athènes et Rome, est essentiellement d’essence judéo-chrétienne.

Car le christianisme, héritier du judaïsme antique, n’est plus une simple religion comme on l’entend généralement, il est le pilier culturel de toute notre civilisation. C’est une vieille tradition chrétienne qui a fait la France dont l’histoire ne commence pas avec 1789.

Ce qui veut dire, que nombre de fêtes ou des pratiques originellement chrétiennes se sont assimilées à une culture laïcisée ou sécularise.

Le philosophe allemand Carl Schmitt , compagnons de route occasionnel des Nazis l’avait bien expliqué dans son recueil de quatre conférences qu’il intitula Théologie politique (1904).

Ce titre ressemble à un oxymore, pourtant la quasi totalité des valeurs sociales en Occident sont tes théologoumènes vidés de leur conteste religieux et recyclés dans un sens politique : le repos dominical, la solidarité entre les générations, l’assurance-maladie, l’assurance-chômage, pour ne citer que les fonctions les plus emblématiques de notre législation sociale. Il existe donc une passerelle historique entre nos régimes politiques et la culture chrétienne.

L’Occident a donc fait un pas que l’islam, surtout dans les pays d’origine, n’a pas encore amorcé, ce qui explique, en partie, le décalage qui existe entre nos valeurs, issues d’une longue confrontation entre philosophie et religion, et les pratiques islamiques d’imprégnation salafiste.

Le débat qui se déclare dans nos journaux et nos organes de presse audiovisuels ou télévisuels, est le suivant: l’Europe reçoit de plus en plus de musulmans sur son sol, pour différentes raisons. Soit d’ordre économique ou d’ordre politique, avec le droit d’asile.

Mais les nouveaux-venus que sont ces arabo-musulmans doivent nécessairement s’adapter aux réalités des pays où ils émigrent et ne pas tenter de réinstaller en Europe les pratiques qu’ils ont fuies et qui les ont contraints à quitter leurs lieux de naissance.

Il faut donc une adaptation pour vivre ici en Europe comme des Européens. Comment reprocher aux Européens de boire du vin et de manger de la viande de porc ? Ce sont là des ingrédients de base de leur alimentation. Mais ils ne forcent personne à les imiter.

Il existe un triptyque qui constitue l’épine dorsale de la culture européenne . Pour vivre au sein d’une certaine communauté, il faut en respecter les fondements culturels.

Et d’ailleurs, si les nouveaux arrivants avaient eux-mêmes précédé l’appel et s’étaient imposés cette triple réforme, nous n’en serions pas là …

Les trois points de ce triptyque  : a) une égalité stricte entre l’homme et la femme ; b) le rejet de l’exclusivisme religieux, c) la critique textuelle du Coran qui peut, dans certains cas, être un objet d’étude avec un recours à une mentalité absolument historienne.

Ce travail universitaire avait été largement effectué au XIXe siècle, notamment en Allemagne où l’on s’est fortement occupé de ces disciplines orientalistes.

Les islamologues modernes ont fait leur profit de ces œuvres, partout où le glaive des gouvernements n’était pas brandi au-dessus de leur tête. Mais c’est là que le bat blesse.

L’écart s’est creusé entre cette religion , la plus jeune des trois monothéismes, et les deux autres, qui l’ont précédée, le judaïsme et le christianisme.

A ses débuts, la critique biblique fut honnie en France et même l’oratorien Richard Simon en a souffert lorsque Bossuet, l’évêque de Meaux, a mandaté le lieutenant de police de la Reynerie pour saisir tous les exemplaires du livre du savant moine, Histoire critique du vieux Testament.

Par bonheur, on épargna un exemplaire qui servit de reproduction anastatique à l’édition de Rotterdam. Et la France a fini par rattraper ce retard.

Ce qui ne fut pas le cas de l’islam qui ne marcha pas sur les traces d’Averroès il a obéi à d’autres lois qui conçoit différemment le rôle et la place de la religion dans la société, ce qui aurait tendance à l’éloigner e d’une religion éclairée.

Or, la religion ne peut être éclairée que par la philosophie et la philologie. Chose que le grand commentateur d’Aristote, Averroès, avait fort bien compris et assimilé.

Ce qui signifie, en clair, qu’à cette époque là, la religion islamique était largement en avance sur son temps puisque son penseur le plus profond avait mis sur pied une théorie des relations entre la foi et la raison.

Hormis les érudits qui le savent, ce travail de recherche, historique et philologique, a été entamé au beau milieu du XIXe siècle par des savants européens, juifs pour la plupart : Brockelmann, Goldziher, Josef Müller Moritz Steinschneider et tant d’autres.

Je dirai quelques mots d’un autre savant, mort à Berlin en 1874, Abraham Geiger. Cet élève-rabbin soutint sa thèse de doctorat à l’université de Bonn en 1822 sur le thème, Ô combien sensible, suivant : Was hat Muhammad aus dem Judenthume aufgenomment ? Qu’a emprunté Mahomet au judaïsme ? Et cette thèse universitaire a obtenu un prix pour l’excellence de ses recherches et de sa documentation.

Notre jeune savant a pris une à une toutes les sourates du Coran et en a explicité l’origine contextuelle, ce qui permet d’introduire dans la recherche l’idée d’évolution historique. Ceci est indispensable dans la science des religions comparées.

Mais voilà,, pour des raisons extrascientifiques, disons politiques, on ne suivit pas cette voie mais on cultiva au contraire la pratique de l’exclusivisme religieux, dogmatique, plaçant ce texte sacré au-dessus de l’intelligence humaine.

D’où les graves troubles actuels. Or, l’Europe, et principalement la France auraient pu être une chance pour l’islam. Il faut saisir la perche qui est tendue. Mais je ne vois pas qu’on en prenne le chemin.

Cette excessive sacralisation de certains dogmes est incompatible avec la mentalité européenne qui voit dans la religion une affaire privée et où les textes religieux des sources à étudier.

Ernest Renan a eu cette phrase savoureuse qu’on devrait méditer aujourd’hui, dans certains milieux : Et d’ailleurs, on lit très mal à genoux…

Et comment pourrait il en être autrement dans le pays de Voltaire et de la caricature en tout genre…

Maurice-Ruben HAYOUN
Professeur à l’Uni de Genève
Dernier livre paru : La pratique religieuse dans le judaïsme, Paris, Geuthner, 2020.

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Patrick CHEMLA

Vous dites que la religion musulmane est la plus jeune des religions mono-théistes.
Je me demande si elle n’est pas plutôt bi-théiste car il y a un D. de l’amour, de la fraternité comme toutes les religions et un D. de la mort, de la contrainte et de la domination vers lequel certains musulmans se tournent à un moment donné de leur vie.
Certains pourront dire que chez nous, il y a un D. d’amour et un D. de justice, mais dans tous les cas, il s’agit d’un D. de la vie et de la liberté, bref un D. républicain.