Michel Onfray et Michaël Azoulay, Dieu ? Le philosophe et le rabbin. (2)  Éditions Bouquins.

Dieu ? Le philosophe et le rabbin (II)

Dieu ? Le philosophe et le rabbin - broché - Michel Onfray, Michael Azoulay - Achat Livre ou ebook | fnac

Aux pages 84- 85 M.O. marque un point important sur lequel je n’insisterai pas, par charité chrétienne mais qui révèle une nouvelle fois une immaturité… Par contre, je reviendrai sur ce que dit M.O. au sujet de la haine de soi française qui conduit une large part de la population de notre pays à s’auto flageller. Je renvoie le lecteur à ce livre éponyme de Théodore Lessing (ob. 1933) que j’ai traduit il y déjà quelques années. Et ses nombreuses rééditions continuent de me fasciner, en raison de la passion d’un certain public pour cette haie de soi juive.

Parfois, on se défend mal de l’impression (juste ou erronée) que les juifs sont prisonniers ou otages de leur propre histoire. Du coup, ils la rejettent ou l’évacuent comme le fit Freud dans L’homme Moïse et le monothéisme. Dans ce contexte, je vous conseille la lecture attentive de la réponse du grand historien américain Yossef Hayyim Yérsoushlmi uui apporte un nouvel éclairage de la question. S’agit-il d’une identité imposée ou méritée ? C’est toute la question car on y parle de deux judaïsmes : l’un terminable et l’autre interminable… Quant à l’historien israélien Shlomo Sand, j’ai déjà dit ce que j’en pensais dans la revue Le Débat de Pierre Nora…

Je ne puis évidemment pas m’attarder sur tous les sujets abordés, notamment l’essence de la laïcité et l’attitude des guides de la nation juive dans le débat autour de l’universalisme. On parle des sept lois des Noachides (les fils de Noé) qui ne sont pas des laissés pour compte de la tradition juive qui leur impose un corpus juri leur permettant de respecter le règne de l’humain et même de l’animal puisque ce code interdit la consommation d’un membre d’un animal encore vivant, lui infligeant des douleurs atroces …

Lors de cet échange il a été question des conversions au judaïsme, il y eut aussi des abjurations, des cas d’apostasie. Mais étrangement, les rabbins se sont parfois montré très tolérants en cas de conversion, même volontaire. Un grand historien israélien d’origine hongroise, nommé Jacob Katz et qui avait cette spécificité d’être à la fois un savant historien et un homme de foi profonde, avait publié un article en hébreu dont le titre est tout un programme : Même si un juif commet une faute (et existe-il faute plus grave l’apostasie ?), il n’en demeure pas moins partie intégrante du judaïsme : af al pi shé hata, Israël hou…

Dans cette étude écrasante d’érudition et très bien documentée, Katz relate un cas frappant : un homme juif avait séduit une femme mariée avec laquelle il prit la fuite pour échapper aux foudres du tribunal rabbinique local ajoutant au péché d’adultère le péché d’apostasie afin de recueillir la protection des autorités chrétienne du lieu où le couple s’tait réfugié. Mais les difficultés d’adaptation forcèrent le couple à s’en retourner dans la la communauté juive qu’ils avaient fuie… J’ajoute que le mari trompé était mort de chagrin. Lorsque le frère de ce mari apprit que le couple maudit était revenu à sa place d’avant et demandait sa réintégration dans la communauté juive, il s’y opposa fermement. Le plus étonnant est à venir : on lui témoigna alors bien des égards tout en décidant que sa requête était irrecevable car le couple en question s’était repenti de son inconduite grave… On se serait attendu à plus de rigueur, preuve que l’on ne peut pas tirer de conclusions généralisées. En d’autres circonstances, le couple aurait dû subir de durs châtiments.

Bien auparavant, le cas de marranes avait soulevé tant d’ interrogations et il fallut arbitrer entre des rabbins inflexibles et d’autres plus accommodants lorsque les conversos purent se réfugier à Amsterdam et reprendre leur ancienne religion : le rabbin le plus conciliant leur pardonna leurs années passées dans le giron de l’église tandis que l’autre décréta leur condamnation aux châtiments éternels car ils avaient selon lui, sombré dans l’idolâtrie …

Un mot sur la pratique endogamique chez les juifs et que d’aucuns confondent allègrement avec des tendances racistes. Les juifs, c’est indéniable, sont condamnés à rester entre eux et, comble de l’ironie, l’histoire universelle les a condamnés à être d’incorrigibles globe-trotters… Ce n’étaient pas des touristes mais des gens expulsés à la demande des autorités ecclésiastiques ou d’autres potentats locaux. Ces vaincus de l’histoire mondiale ont dû restreinte l’accès à leur ethnie par une législation rigoureuse mais ils n’ont jamais prétendu être d’une ascendance plus noble que les autres êtres humains. Et s’ils n’avaient pas agi de la sorte, ils auraient tout bonnement disparu, d’un pur point de vue biologique.

Commentant les premiers versets du livre de la Genèse, les docteurs des Écritures se demandent pour quelle raison Dieu n’a créé qu’une seul ADAM, un seul, alors que sa toute-puissance divine lui permettait d’en créer des milliers. La réponse des sages est univoque au plan éthique : si Dieu en avait créé plus d’un, les uns auraient pu dire aux autres : nous descendons du Adam numéro 1 et vous autres du Adam numéro 124, etc… Cette réponse soupe l’herbe sous les pieds de toute théorie raciste et récuse toute hiérarchisation du genre humain. Le Talmud use aussi d’une métaphore faisant référence à la couleur du sang humain. Pour dire que nous ne sommes pas supérieurs aux autres, il dit : ton sang n’est pas plus rouge que le leur… Partant, le fait d’épouser un partenaire juif n’a rien à voir avec une pratique raciste. Il s’agit d’une simple donnée objective de la sociologie religieuse…

Tout échange de ce niveau, même assez déséquilibré, impose le traitement d’une question fondamentale, la liberté humaine, l’étendue du libre arbitre, et par voie de conséquence, celle de la responsabilité. Le sujet est trop vaste et il convient de le limiter sévèrement. L’ancienne théologie rabbinique qui s’exprime dans la littérature talmudique a posé les jalons d’une véritable théorisation de la question. Je crois que le passage le plus expressif apparaît dans les Principes des pères (Pirké avot) selon lequel tout dépend du Ciel, excepté la crainte du Ciel, ce qui préserve à la fois, en même temps (sic) la toute-puissance divine et la liberté, le vouloir de la créature… Il faut cette double affirmation, faute de quoi tout le système du devoir religieux s’effondre pour tomber dans un fatalisme de mauvais aloi. Cela me permet de parler d’un Traité su libre arbitre, écrit en 1362 et conservé dans un manuscrit unique, au département des manuscrits orientaux de la Bibliothèque Nationale de Paris. Connu sous le titre hébreu Maamar ba-behiral Le texte, assez court mais très dense fut écrit par Moïse de Narbonne, quelques trois mois avant sa disparition à Soria en 1362. Mais cette chronologie n’est ps certaine. C’est le copiste qui l’a placée en tête de son manuscrit.

Voici de quoi il s’agit : un sage juif de cette époque, Avner de Burgos décide de se convertir au christianisme tout en indiquant qu’il n’avait fait qu’obéir à la nécessité imposée d’un déterminisme astral absolu. C’était au-dessus de ses forces. Le Ciel en avait décrété ainsi et qui peut défier un décret divin? Après sa conversion, il porta le nom de Alfonso de Valladolid et on le nomma sacristain de l’église locale. Ce manuscrit a été édité en hébreu, accompagné d’une introduction et d’une traduction française annotée, parue dans la Revue des Études Juives. Moï se de Narbonne se sert d’argumentes philosophiques pour dire que le déterminisme existe, certes, mais qu’il est relatif et non absolu, faute de quoi on évoluerait dans un univers où le rapport devoir / sanction disparaîtrait. Ce serait une atteinte au monothéisme éthique. Je crois que la position de ce grand commentateur juif d’Averroès et de Maimonide au XIVe siècle était la bonne. Reste le terrible constat de Freud sur le je qui n’est pas maître chez soi. Qui parle vraiment quand vous dites je ?.

On connait le grand débat (1524) entre Luther et Érasme sur le serf arbitre et le libre arbitre ; mon esprit penche vers Érasme mais mon cœur est impressionné par les arguments du grand Réformateur… Je trouve aussi, par ailleurs, qu’on néglige souvent un grand penseur danois, grand adversaire de la philosophie hégélienne, Sören Kierkegaard (1813-. 1855) qui se voulait le chevalier de la foi et optait pour une suspension de l’éthique : Dieu peut donner des ordres immoraux à des êtres d’exception, comme à Abraham d’immoler son propre fils, afin de prouver son amour absolu de Dieu… Pour le Danois, la révélation n’est pas une étape intermédiaire dans la quête de la Vérité, c’est le terminus. Au-delà, il n’y a plus rien. Cette attitude a impressionné quelques penseurs comme Nietzsche ou Rosenzweig, dans les premières pages de l’Etoile de la rédemption…  ( A suivre)

Maurice-Ruben HAYOUN
Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève.  Son dernier ouvrage: La pratique religieuse juive, Éditions Geuthner, Paris / Beyrouth 2020 Regard de la tradition juive sur le monde. Genève, Slatkine, 2020

Reprise des conférences du professeur Maurice-Ruben HAYOUN à la mairie du XVIe arrondissement, 71 avenue Henri Martin 75116, salle des mariages :

Le jeudi 19 janvier 2023 à 19 heures
Le jeudi 23 mars à 19 heures 

Contactez: Raymonde au 0611342874

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Photini Mitrou

« … un grand penseur danois, grand adversaire de la philosophie hégélienne, Sören Kierkegaard (1813-. 1855) qui se voulait le chevalier de la foi et optait pour une suspension de l’éthique : Dieu peut donner des ordres immoraux à des êtres d’exception, comme à Abraham d’immoler son propre fils, afin de prouver son amour absolu de Dieu… » Une tante, qui n’a pas lu Kierkegaard et n’en a jamais entendu parlé, m’avait fait à peu près cette réponse. Très croyante, et sincèrement croyante et tolérante avec moi, elle avait connu un tas de malheurs: mère hémiplégique pendant 15 ans (qu’elle a gardé près d’elle), puis mari malade pendant deux ans et, en l’espace d’un an, disparition de son frère, beau-frère et de sa sœur! Je ne l’ai jamais entendu se plaindre. Elle était toujours joyeuse, aimait à rire et j’ai beaucoup ri avec elle. Dieu est plus sympa avec moi, qui ne croit pas, qu’avec toi qui est dans la foi et la prière. Dieu teste ma foi, m’avait-elle répondu. J’ai évité de lui dire que si Dieu doit passer par toutes ces épreuves pour savoir qui ont est, c’est qu’il ne voit rien et ne sais rien de nous. Dans un sens, c’est rassurant.
J’ai beaucoup aimé l’histoire du Adam numéro 1 et du Adam numéro 124 qui m’a bien fait rire! 1) ça ne démontre rien, 2) ça confirme le goût des juifs pour la spéculation tarabiscotée (c’est peut-être pour ça qu’intellectuellement ils sont forts) 3) ils ont un sens inné pour l’humour et l’humour c’est le sel de la vie.