Il y a fort longtemps qu’un vaste panel d’analystes se penche sur les violentes distorsions que pratiquent les médias européens à l’encontre d’Israël. Le rédacteur en chef du Jerusalem Post David Bar-Illan a été l’un des premiers à le faire. Il a apporté de nombreux exemples de préjugés médiatiques dans son livre : Eye on the Media,[1] Un oeil sur les Médias, déjà publié en 1983 et fondé sur ses éditoriaux dans ce quotidien.

Dans un livre de 1985, le diplomate israélien Sergio Minerbi a analysé six documentaires de la chaîne francophone de TV belge  RTBF. Focalisés sur le Moyen-Orient, ils contenaient des déformations Lourdes de sens à l’encontre d’Israël[2]. Henry Weinberg a consacré un chaîtyre entier de son livre de 1987 : The Myth of the Jew in France, Le Mythe des Juifs de France aux préjugés très répandus véhiculé par le journal de “référence” de la gauche française : Le Monde.[3]

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Au cours d’une interview, quelques dix ans après la publication de son livre, Bar-Ilan m’a dit que la BBC était, de loin, “la plus diffamatoire des organes de presse lorsqu’il s’agit d’Israël”. Il a dit qu’on relevait des centaines d’exemples des malveillances de la BBC au sein de la sphère politique. Bar-Illan a pris l’exemple d’un incident au cours duquel un café-bar arabe de l’Est de Jérusalem s’est effondré du fait de problèmes structurels. Les Juifs et les Arabes ont travaillé ensemble afin de sauver des vies humaines. La BBC n’a pas dit un mot de cette chaîne humaine ; tout ce qu’elle a rapporté, c’est à propos de la souffrance des Arabes, alors qu’ils répétaient sans cesse l’accusation diffamatrice disant qu’une bombe aurait été déposée à l’intérieur du café-bar[4].

La France est le pays où l’explosion énorme d’antisémitisme européen qui a surgi au cours des quinze dernières années a été la plus violente. Les préjugés de la presse française contre Israël ont été largement couvert, en 2002, dans un recueil de dix essais par l’Organisation de l’Observatoire du Monde Juif, dirigée par Shmuel Trigano[5]. Deux essais ont été consacrés aux déformations présentes dans Le Monde, et un essai de Clément Weill-Raynal a analysé la désinformation réalisée par l’Agence France Presse[6].

Dans une interview de 2004, Trigano m’a dit que le pouvoir surdimensionné des medias constitue un danger majeur pour la démocratie occidentale. “Leur attitude envers Israël et les Juifs, au cours de ces quelques dernières années a démontré qu’ils ont le pouvoir de pervertir l’analyse, le débat et l’esprit critique. Nous sommes dépendants d’une classe de journalistes qui partagent des points de vue politiques consensuels. Ils se lisent les uns les autres et cooptent l’opinion de chacun d’entre eux, sans rendre de compte à qui que ce soit. La liberté et la démocratie, cependant, ne peuvent coexister si la vérité et les faits sont voilés[7]”.

En 2005, j’ai publié un recueil d’interviews sur les relations israélo-européennes, dans un livre intitulé Europe and Israel an Expanding Abyss.  Europe-Israël, le fossé se creuse. L’une de mes interlocutrices, la députée chrétienne-démocrate allemande Hildegard Müller affirmait que les médias sont partiellement responsables du ternissement de l’image d’Israël, devenue problématique. Elle mentionnait qu’ils relaient souvent des articles d’actualité sans confirmation de leur véracité. Müller attirait notre attention sur l’usage répété d’images particulières qu’elle appelle “les actualités en conserve”. Elle faisait aussi remarquer que de nombreux journaux obtiennent leurs articles d’actualité de la part d’agences de presse, comme l’Agence France Presse, qui ensuite débouchent sur des reportages répétés à l’identique dans de nombreux médias[8].

Un autre interlocuteur, Robert Wistrich, l’universitaire dominant en matière d’antisémitisme, déclarait que les medias, avec les hommes politiques et la société en général, “fustigent, adressent des reproches, critiquent lourdement et même diabolisent Israël. Ils décrivent un tableau négatif et stéréotypique de l’Etat juif, particulièrement à la télévision et dans la presse[9]”.

L’ancien ambassadeur israélien au Royaume-Uni, Tzvi Shtauber, racontait au cours de son interview qu’une fois, cinq membres du Bureau de l’association britannique des journalistes lui ont rendu visite. Un journaliste prédominant a fait une requête à Shtauber, qui reflétait bien à quel point Israël est diabolisé : “Nous voulons obtenir votre assurance, M. l’ambassadeur, que cela ne correspond pas à la politique officielle de l’Etat d’Israël que de tirer délibérément sur les journalistes”.

Shtauber désignait la BBC comme constituant un problème en soi : “Au fil des années, j’ai entretenu des conversations sans fin avec eux. Tout spectateur qui parcourt durant une période importante l’information diffusée par la BBC n’obtient qu’une image déformée de la réalité… cela découle des méthodes-mêmes de programmation des émissions de la BBC[10]”.

Trevor Asserson, un avocat britannique spécialiste des litiges –qui a ensuite immigré en Israël-, a entrepris une analyse quantitative de l’expression des préjugés de la BBC contre Israël. Entre 2001 et 2004, il a mené quatre études bien documentées, détaillant les distorsions systématiques de la BBC à l’encontre d’Israël. Asserson rappelait que la BBC jouit d’un monopole découlant d’un contrat le liant légalement au gouvernement britannique.

Asserson a souligné, dans son analyse, les obligations juridiques de la BBC comme délimitées dans sa charte, dont il a tiré quinze lignes de conduite clairement identifiées. Elles comprennent l’obligation pour la BBC d’assurer que les points de vue opposés soient bien représentés et l’obligation de ne pas permettre que l’auditoire soit entraîné à se conformer au point de vue personnel des journalistes. Asserson a identifié de nombreux cas où la BBC enfreint plusieurs de ses lignes de conduite et ajouté qu’en certaines occasions, elle en outrepassait la plupart.

Dans le but de déterminer la portée de ces déformations, Asserson a mené une véritable analyse medico-légale de la BBC. Il en a conclu que “les reportages d’actualité de la BBC au sujet d’Israël sont déformés par omission, par insertion (d’éléments inexistants), en n’apportant que des faits partiels, en sélectionnant ceux qu’elle interviewe, et par le contexte de l’information ou l’absence de présentation du contexte”.

Depuis lors, un grande diversité de médias européens ont fait l’objet d’analyses de leurs distorsions à l’encontre d’Israël. Une étude récente de Joël Kotek, par exemple, démontre comment Israël est décrit de façon gravement déformée dans les médias belges francophones, au cours de l’opération Bordure Protectrice de 2014 contre le Hamas[11].

J’ai aussi interviewé Johannes Gerster pour mon livre de 2005. Cet ancien député allemand était à la tête de la Fondation Konrad Adenauer en Israël. Gerster expliquait avoir tenté en vain de convaincre les principaux responsables israéliens que la propagande était un facteur central de la guerre. Il remarquait qu’ils ne voulaient pas l’écouter[12].

Nous sommes, à présent, dix ans plus tard sur la même route, mais la situation n’a pas changé. Le problème des distorsions médiatiques au détriment d’Israël a été traité de façon répétée, au cours des décennies précédentes et la méthodologie analytique nécessaire pour évaluer ces préjugés défavorables est disponible depuis des années. Cela soulève une question fondamentale sur la politique d’Israël : qu’est-ce que le gouvernement israélien a fait pour endiguer cette marée noire de l’incitation contre Israël, qui résulte de reportages aussi préjudiciables?

Pourquoi le gouvernement israélien ne suit pas et n’analyse pas –si nécessaire, par l’entremise d’un contractant extérieur – ces distorsions de la réalité israélienne d’un grand nombre de médias, au fil des années? Aurait-il été si difficile de concevoir un mode d’action contre ces médias qui sont, dans une large mesure, des propagandistes directs ou indirects en faveur des pires ennemis d’Israël.

La réponse ne peut être que l’action du gouvernement israélien se résume à presque rien, dans ce domaine. On peut simplement se demander pourquoi il n’y a pas d’homme politique ou de partis politiques qui sentent que cela vaut la peine de soulever ce problème et de le prendre en charge dans l’intérêt du public.

Par Manfred Gerstenfeld

 

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Le Dr. Manfred Gerstenfeld a présidé pendant 12 ans le Conseil d’Administration du Centre des Affaires Publiques de Jérusalem (2000-2012). Il a publié plus de 20 ouvrages. Plusieurs d’entre eux traitent d’anti-israélisme et d’antisémitisme.

Adaptation : Marc Brzustowski.

 

[1] David Bar-Illan, Eye on the Media (Jerusalem: Gefen, 1993).

[2] Sergio I. Minerbi, Mentir Avec Les Images (Brussels: Louis Musin, 1985). (French)

[3] Henry H. Weinberg, The Myth of the Jew in France 1967-1982 (Oakville, ON: Mosaic Press, 1987).

[4] Manfred Gerstenfeld, interview with David Bar-Illan, “The Loaded Dice of the Foreign Media Are There to Stay,” in Israel’s New Future: Interviews (Jerusalem: Jerusalem Center for Public Affairs, Rubin Mass, 1994), 109-119.

[5] “Le conflit israélo-palestinian:  Les médias français sont-il objectifs?,” Observatoire du monde juif, June 2002.

[6] Clément Weill Raynal, “L’Agence France Presse:  le récit contre les faits,” in “Le conflit israélo-palestinian:  Les médias français sont-il objectifs?,” Observatoire du monde juif, June 2002, pp. 51-68.

[7] Manfred Gerstenfeld, interview with Shmuel Trigano, “French Anti-Semitism: A Barometer for Gauging Society’s Perverseness,” Post-Holocaust and Anti-Semitism, 26, 1 November 2004.

 

[8] Manfred Gerstenfeld, interview with Hildegard Müller, “Israel and Europe: The Positive and the Negative,” in Israel and Europe: An Expanding Abyss? (Jerusalem: Jerusalem Center for Public Affairs, Adenauer Foundation, 2005),  pp. 40-48.

[9] Manfred Gerstenfeld, interview with Robert Wistrich, “Something is Rotten in the State of Europe:  Anti-Semitism as a Civilizational Pathology,” in Israel and Europe: An Expanding Abyss?, pp. 95-109.

[10] Manfred Gerstenfeld, interview with Zvi Shtauber, “British Attitudes toward Israel and the Jews,” in Israel and Europe: An Expanding Abyss?, pp. 183-192

[11] Joël Kotek, “Israël et les médias belges francophones,” Comité de Coordination des Organisations Juives de Belgique (CCOJB,) Brussels, March 2015.

[12] Manfred Gerstenfeld, interview with Johannes Gerster, “Confronting European-Israeli Misunderstandings,” in Israel and Europe: An Expanding Abyss?, pp. 67-79.

 

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