Les Bnei Israël sont à présent tout près de franchir le Jourdain pour investir la terre occupée par les Cananéens et la restituer à sa vocation abrahamique originelle.

La Traversée du désert a duré pas moins de quatre décennies, quarante années éprouvantes, tumultueuses mais aussi profondément révélatrices des dispositions intimes de ce peuple voué au sacerdoce de l’Humain.

 

Moïse demeure l’unique survivant de la fratrie libératrice. Il sent la mort s’approcher et, comme tout homme, il doit faire la balance entre ce qu’il a su accomplir et ce qui lui aura échappé: il n’entrera pas en terre de Canaan pour la transformer en Erets Israël.

Ses injonctions se font plus dures, ses ordres se veulent sans répliques. Son irascibilité est celle des agonisants. Certes Josué a été institué comme son légitime successeur.

Moïse lui a dévolu non pas une part mais deux parts de l’Esprit qui l’invigorait depuis le Buisson ardent.

Mais l’idée même de succession est ressentie comme un avant- goût de la mort. Comment se défaire d’une vie, si remplie, tellement que la Présence divine ne s’y est pas refusée ?

En poursuivant son enseignement. De ce moment jusqu’à celui du grand départ, de la vie encore s’écoulera. De la vraie vie qu’il faut savoir féconder, jusqu’à l’instant ultime.

Et sur quoi porteront son enseignement et la transmission infatigable de la Loi divine ? Sur le respect des vœux que l’on a cru devoir prononcer.

La loi juive n’encourage pas ces serments qui lient celui ou celle qui les prononce pour un avenir qui, de ce fait même, n’en est plus complètement un puisqu’il se trouve préempté par les obligations issues de pareils engagements.

De même, elle encadre fortement les pratiques du « naziréat » qui tendent à s’imposer des restrictions supplémentaires, des interdits surnuméraires relativement à ceux que la Loi a prévus.

Le Deutéronome le précisera: cette Loi-là, il ne faut rien y ajouter, et n’en retrancher rien.

Interdits et permissions s’équilibrent par leur nombre et leur valence spécifiques, comparables en cela aux deux plateaux d’une balance.

Cependant, dans le cas où l’on a cru bon de se lier pour l’avenir par un serment, à prononcer des vœux afin de s’obliger à accomplir une action en surnombre, à s’interdire ce qui ne se décompte pas dans les 365 prohibitions de la Thora, il faut respecter ce que l’on a proféré.

Les mots qui sortent d’une bouche humaine ne sont pas assimilables aux sons qui sortent de la gueule d’une bête. Ils engagent celui qui les prononce. Aucun mot ne saurait être prononcé à la légère.

On peut trouver cette prescription exagérée, et de nature à induire des comportements obsessionnels puisque selon le traité Nédarim du Talmud il n’est jusqu’aux onomatopées qui ne recèlent un sens et celui-ci engage bel et bien la personne qui les expectore.

Cette prescription se comprendra mieux lorsque l’on aura rappelé que le peuple qui va franchir le Jourdain est constitué d’anciens esclaves.

Durant un temps innombrable de servitude il leur a été interdit de parler, de s’exprimer. L’accès à la parole enfin libre devait alors être régulé comme le serait l’absorption d’une boisson enivrante. Depuis l’histoire de Noé nul n’en ignore les suites.

L’usage de la parole ne saurait être pulsionnel, assimilable à un de ces « keri » qui suscite la pollution séminale, qui marque la prévalence du désir inconscient sur la faculté de jugement.

La réflexion doit précéder l’usage de la parole non pour l’écrêter ou pour l’affadir mais afin qu’elle demeure interhumaine et par suite susceptible d’engager le dialogue avec le Créateur.

L’usage de la parole reste ainsi assujetti à la conciliation de ces deux facultés constituantes et incessible de la conscience humaine : la liberté et la responsabilité, de sorte que la responsabilité soit assumée en pleine liberté et que, simultanément, la liberté vécue soit une liberté responsable.

Il importait de le souligner précisément à ce moment-là : juste avant de quitter le désert. N’est-ce pas par une parole satisfaisant à ces deux critères que la notion de Berith, d’Alliance trouve sa réelle signification ? L’Alliance du Sinaï n’a-t-elle pas déjà pris la forme, au sens juridique et indissociablement éthique, d’un serment, culminant dans le «Nous ferons et nous écouterons»? Au futur.

L’Alliance paradigmatique passée au Sinaï avec le Créateur devient effective lors des engagements ordinaires de la vie quotidienne et qui en assurent la continuité. Sinon, elle resterait un schéma abstrait, ineffectif, le nichmâ sans le naâssé.

Dans ces conditions comment comprendre ce qui semble être une différence flagrante de traitement entre les vœux prononcés par les hommes et ceux prononcés par les jeunes filles, encore dans le ressort paternel, ou par les femmes mariées: deux versets pour les premiers, pas moins de quinze pour les autres ? Serait-ce une forme «légale» de discrimination? Il ne le semble pas. Le statut de la fille et de la femme durant cette période se justifie par la nécessité de leur sécurité.

Il faut se souvenir du rapt de Saraï, de l’enlèvement de Rébecca, du viol de Dinah. Encore fallait-il en concilier les exigences avec celles précitées de la liberté des femmes comme des hommes d’Israël. N’ont-ils pas accueilli ensemble la révélation du Décalogue ?

L’hypothèse qui se forme pourrait se formuler ainsi : certes la fille comme la femme se trouvent engagées par les dits statuts. Cependant les clauses de ceux-ci ne sauraient les empêcher de former librement à leur tour des engagements licites et conformes à la dignité de l’Humain.

Lorsqu’il s’avère que dans l’exercice de leur liberté le serment formulé ou le vœu décidé n’y satisfait pas, il convient de les en délier de sorte, une fois de plus, à respecter ces deux « standards », comme dirait les juristes.

La signification d’une disposition juridique et la nature d’une institution ne sont pas complètement réductibles aux conditions matérielles d’une époque.

Elles en rendent compte néanmoins. Et s’il faut juger les institutions d’Israël, en ce temps-là, dans ces paysages physiques et mentaux, il faut le faire selon toutes les obligations que le peuple devait assumer.

Et cela reste son indéfectible mérite de n’avoir pas sacrifié les unes au nom des autres. Qui peut en dire autant ?

 Raphaël Draï zal, 17 Juillet 2013

raphaeldrai.wordpress.com

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