Mais qui était donc François Mitterrand? Un homme aux si multiples facettes…

C’est bien là l’impression que l’on retire de la lecture attentive de ce beau livre (François Mitterrand, Gallimard, Folio) de Michel Winock, commentateur connu et reconnu de la vie politique française depuis de nombreuses années.

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Les lecteurs les plus âgés se souviennent de ses profondes tribunes libres publiées régulièrement par la grande presse nationale… Dans ce livre, sobrement intitulé François Mitterrand, l’auteur se défend d’écrire une biographie selon les règles mais plutôt une évocation raisonnée et réfléchie de cet homme, exceptionnel à bien des égards.

Et c’est bien vrai, car la trajectoire de Mitterrand qui l’a mené, après tant de vicissitudes, à la magistrature suprême, ne laisse pas d’étonner. Et surtout en tant que meneur d’une gauche plurielle qu’il a su unifier et parfois même réunifier, instrumentalisant un Parti Communiste qui scrutait pourtant son action depuis les premières années de l’après-guerre. Et qui donc savait à quoi s’en tenir sur son compte, tant au plan politique que personnel.

Ce qui m’a le plus frappé dans ce livre, outre le style élégant et sobre, bien maitrisé sans jamais tomber dans l’artifice, c’est l’analyse très juste de l’humanité-kaléidoscope de cet homme qui a su épouser les méandres, et elles furent très nombreuses, de la vie politique nationale.

Mais une chose que j’ignorais, m’a vraiment frappé, d’où la longueur de ce qui pourrait passer pour un excursus.

C’est la sensibilité de cet homme que tous, adversaires et amis, se plaisaient à brocarder, stigmatisant l’absence totale de sentiments en lui-même, en somme une machine à gagner, peu importe avec quels moyens : or, Michel Winock brosse le portrait d’un tout jeune homme, issu d’un milieu catholique de droite, mais sans jamais être vraiment antisémite, attaché à la glèbe, conservant ses racines provinciales, même après avoir conquis la magistrature suprême… Il continuera à se rendre à Latché pour Noël et le jour de l’an alors que d’autres parmi ses successeurs profiteront largement des moyens de l’Etat dans les palais nationaux, en ces mêmes occasions… Certes, il y eut le cas de Mazarine et de sa mère…

Il canonisera l’ascension de la roche de Solutré, il dormira toujours dans la même auberge de Château-Chinon, dînera dans le même modeste restaurant, etc…

Et parallèlement à cela, il continuera à se conduire comme un empereur romain, passant les troupes en revue le visage de marbre, intransigeant sur le protocole, ne cédant pas un seul centimètre sur tous les honneurs qui lui sont dus et qui devaient lui être rendus. Un exemple bien symptomatique : le tutoiement qu’il refusait obstinément (et il avait bien raison) alors que d’autres hommes politiques d’envergure, sont à tu et à toi avec leurs collègues, leurs collaborateurs, les journalistes, etc…

Aujourd’hui, lorsqu’un homme politique se conduit de manière paradoxale, on dit qu’il a une personnalité complexe, voire riche. Traduisez qu’il nous surprend. Et ce fut le cas de François Mitterrand à la puissance dix.

Un détail que j’aurais dû connaître m’a attendri et a émoussé les pointes que je comptais distiller dans cet article : l’amour de collégien dont le jeune homme, à peine sorti de l’adolescence, s’est entiché. Lors d’une surprise-party comme on disait à l’époque, il est littéralement sidéré par la beauté d’une jeune fille de seize ans qu’il invite à danser, qu’il assiège d’une cour assidue, tente de lui arracher son nom qu’elle se refuse obstinément à lui donner…

Il finit par découvrir son adresse, s’impose à ses parents, finit par les convaincre d’accepter des fiançailles, offre une bague, écrit des lettres quotidiennes et lorsqu’il est détenu en Allemagne après la défaite de la France contre les Nazis, des événements extérieurs et peu connus refroidissent non pas la passion du jeune homme mais celle de la jeune fille… Le jeune Mitterrand va goûter l’amertume des amours mortes.

La jeune fille, qui n’est autre que la belle et inoubliable Catherine Langeais, future célèbre speakerine de la télévision française, lui rend sa bague lors d’une triste entrevue à Parus… Le jeune homme, bouleversé, jette dans la Seine le symbole de sa défunte passion.

Triste anniversaire, triste fin d’un amour fou qui laissera des traces. Certes, il se consolera assez vite avec celle qui va devenir sa femme légitime et la mère de ses fils. Mais sa relation à l’amour et aux femmes va changer du tout au tout. Ce fut une fêlure de l’adolescence, une blessure d’amour propre…

Est-ce la raison pour laquelle, l’homme d’âge mûr Mitterrand se muera en un terrible séducteur de la gent féminine, collectionnant les aventures avec toutes sortes de partenaires ? Est-ce la vengeance qu’il entretient au fond de lui-même à l‘égard de la jeune fille de ses rêves et qui l’a froidement, cruellement rejeté, le ramenant à la dure réalité de la vie ? Je crois qu’) cet âge là on est encore trop jeune pour se dire que l’échec fait aussi partie de la vie.

Je crois que cette déception amoureuse a profondément marqué cet homme, encore jeune, assassinant toute tendresse dans son cœur.

Il est incontestable que cela a influencé sa vie politique, sa relation aux hommes, aux femmes et à l’amour. Il y a une nature humaine dont il faut tenir compte et qui n’a rien à voir ni avec la recherche du vrai ni avec celle de l’amour que l’on peut éprouver en soi.

La confrontation avec le réel armera et blindera  Mitterrand dans sa conquête du pouvoir. Il comprendra que les règles de j’humanité sont des lois d’airain, qu’il faut s’y plier mais aussi les instrumentaliser si l’on veut réussir et jouir du pouvoir.

L’homme a utilisé tous les atouts à sa disposition. Alors qu’il était plutôt de droite, alors qu’il accepta la francisque du régime pétainiste, qu’il ne rallia la Résistance que tardivement, qu’il se laissa empêtrer dans l’affaire des fuites du conseil de défense et plus tard dans l’attentat de l’Observatoire (qui porte la marque bien visible des barbouzes d’un parti bien connu pour son recours à ce genre de polices parallèles), il réussit ce coup de maître : être le chef de file d’une gauche rassemblée alors que tout séparait le PS du PC, accéder à la magistrature suprême tout en affaiblissant ces alliés communistes, bref réussir sur tous les tableaux.

Pourtant, quand on suit pas à pas sa trajectoire politique, et les communistes le connaissaient bien puisqu’ils l’observaient depuis les premières années d’après-guerre, on relève qu’ils auraient dû se méfier de ce Florentin. On se souvient des remarques amères du professeur Raymond Barre, compétent mais naïf, intelligent mais pas assez  rusé, comparé à l’homme de Château-Chinon..

Souvenez vous de la façon dont il a pris le PS au congrès d’Epinay en 1971, comment il a neutralisé Savary, Poperen et Chevènement, et tant d’autres ; il a su sortir du parti-laboratoire, sectaire, contestataire pour en faire un vrai parti de gouvernement.

Cet homme ne fut pas seulement un homme de la double sincérité, il fut aussi celui de la double vérité, si injustement accolée à Averroès par Ernest Renan dans son Averroès et l’averroïsme (1850 ; voir aussi notre Que sais-je ? du même titre aux PUF).

Mais cet homme a triomphé de tout, sauf du temps et de la maladie. Comme tous les dirigeants politiques de notre monde, il se retrouve aujourd’hui dans le creuset de la critique, il comparaît devant la tribunal de l’Histoire.

C’est une situation dramatique dont les hommes politiques ne tiennent pas suffisamment compte quand ils sont au pouvoir, aveuglés qu’ils sont par leur appétit, leur volonté de puissance. Aujourd’hui entièrement oublié, Georges Friedmann,  grand sociologue français, avait émis de sagaces réflexions sur la relation dialectique entre la sagesse et la puissance. Il ne faut jamais dire qu’on est la maître de quoi que ce soit, surtout pas des horloges. Car la maîtrise du temps ne relève pas de la volonté humaine

C’est Dieu qui est maître de tout. Et cela Mitterrand l’avait bien assimilé après une vie aussi riche.

Le grand président de gauche s’est quand même offert deux messes d’enterrement : l’une, fastueuse à Paris en la cathédrale Notre-Dame, l’autre, plus modeste mais plus émouvante, dans sa province natale…

Maurice-Ruben Hayoun

Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève. Son dernier ouvrage: Franz Rosenzweig (Agora, universpoche, 2015)

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