Nucléaire iranien : une nouvelle opportunité historique.
L’ « axe de la résistance » sous l’égide de l’Iran a connu des revers majeurs ces derniers mois, avec la décapitation des commandants du Hezbollah et la réduction très significative de ses capacités opérationnelles, dont son arsenal de missiles. Pis encore, avec Bachar el-Assad réfugié à Moscou, Téhéran a perdu de sa profondeur stratégique, compliquant l’approvisionnement en armes du Hezbollah.
Privé de l’essentiel de cette force de projection – qui prendrait des années à être reconstituée, Téhéran semble n’avoir plus qu’une seule jambe sur laquelle se tenir : son programme nucléaire. L’Iran a, par le passé, fait preuve de malléabilité sur ce sujet, réduisant son intensité en échange d’un allégement des sanctions, ou, à l’inverse, l’augmentant afin d’être en position de force lors de négociations. Tout se jouera dans les prochains mois, et dépendra de l’approche que le président américain, Donald Trump, décidera d’adopter à l’égard de l’Iran : il fixera le tempo, guidant la stratégie de l’Iran vers la bombe, ou vers la désescalade.
Son premier mandat fut, certes, marqué par un retrait unilatéral de l’accord sur le nucléaire iranien (JCPOA), jugé trop laxiste ; mais il a à présent l’opportunité de tailler un nouvel accord englobant l’ensemble des points en suspens (programme nucléaire, missiles balistiques et mandataires régionaux).
La fin d’une longue partie d’échecs ?
Malgré la prudence prêtée à l’ayatollah Khamenei en temps de crise, le tabou nucléaire dans l’espace public iranien semble avoir été levé : depuis avril dernier, des extrémistes au Parlement demandent de reconsidérer la « fatwa » contre les armes nucléaires, laissant transparaître un besoin de rééquilibrage stratégique avec Israël, suite à la succession d’humiliations subies par le régime ces derniers mois. La valeur dissuasive d’un programme d’armes nucléaires a donc augmenté aux yeux de Téhéran ; ce qui est d’autant plus alarmant au vu de la déclaration faites récemment par le directeur de la CIA : l’Iran a besoin d’un peu moins de deux semaines pour atteindre le niveau d’enrichissement (90 %) nécessaire pour une bombe nucléaire, et un peu plus de six mois pour la développer en une arme à part entière.
Depuis la réélection de Trump, les Iraniens semblent jouer dur, annonçant à l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) leurs plans d’installer 6 000 nouvelles centrifugeuses, tout en quadruplant simultanément leur production d’uranium enrichi. Le but reste flou : l’ayatollah Khamenei est sans doute conscient qu’un pas supplémentaire constituerait un casus belli, déclenchant une frappe préventive des États-Unis et d’Israël sur ses installations nucléaires. Mais il peut également parier sur l’intention de M. Trump de se désengager de la région et sur sa volonté de conclure un accord.
Capitaliser sur le contexte actuel
Le second mandat Trump arrive à un moment-clé pour le Moyen-Orient, qui subit de profonds changements. L’opportunité de réduire considérablement le risque d’une bombe iranienne lui est présentée sur un plateau d’argent, évitant d’ouvrir la boîte de Pandore de la prolifération dans la région. Le régime iranien se trouve dans une position délicate, autant sur le plan interne (avec une pression populaire croissante) qu’externe. Cela laisse à Trump suffisamment de marge pour conclure un accord avantageux avec Téhéran, à condition qu’il permette aux Iraniens de sauver la face : à maintes reprises ont-ils signalé leur volonté de négocier avec l’administration américaine, sur « un pied d’égalité ».
Le contexte géopolitique actuel favorise un accord
JCPOA 2.0 plus large, englobant potentiellement le réseau de mandataires de l’Iran. Bien qu’il soit peu probable que l’Iran accepte de renoncer à ses capacités d’enrichissement (le seul État à l’avoir historiquement fait étant l’Afrique du Sud, à la fin des années 1980), on pourrait s’attendre à un retour aux termes originaux de l’accord, avec une mise en œuvre plus stricte du protocole additionnel de l’AIEA, assurant une surveillance plus approfondie de ses installations, en échange d’une levée des sanctions. Cet accord pourrait également marquer une réduction significative de l’engagement de l’Iran dans la région. Le cessez-le-feu au Liban semble constituer un premier pas.
La raison nucléaire iranienne reste, certes, floue : est-ce un moyen de sécuriser la survie du régime, ou l’arme ultime qui dissuaderait contre des attaques sur leur sol ? Les évènements de cette année ont prouvé que cette dernière approche était caduque, puisque l’Iran lui-même a mené des frappes d’armes conventionnelles directement sur le territoire israélien et pakistanais, tous deux détenteurs de l’arme nucléaire.
Par ailleurs, la chute du régime d’Assad est également venue rappeler à Téhéran, déjà confronté à plusieurs mouvements de contestation ces dernières décennies, que les régimes pouvaient s’effondrer comme des châteaux de cartes.
L’ensemble de ces facteurs ouvre donc une fenêtre d’opportunité pour une solution globale au risque de prolifération nucléaire dans la région : un JCPOA 2.0 qui constituerait comme une première étape vers l’établissement d’une zone exempte d’armes nucléaires au Moyen-Orient (MENWFZ), un concept proposé par l’Égypte et l’Iran en 1974 afin de faire pression sur Israël, jusqu’à ce jour seul détenteur de l’arme nucléaire dans la région, pour renoncer à son tour à la bombe.
Cette initiative est depuis longtemps au point mort, compte tenu du refus catégorique de Tel-Aviv de reconnaître son arsenal nucléaire. Toutefois, si dans l’immédiat un tel effort multilatéral paraît inatteignable, rien n’empêche d’envisager des processus bilatéraux afin de mitiger toute autre prolifération, notamment entre Téhéran et Riyad, qui ont déjà approfondi leur collaboration depuis l’accord de Pékin ayant marqué leur réconciliation, en mars dernier. Donald Trump a donc une chance historique de lancer ce processus, qui lui permettrait en outre de se concentrer sur l’Asie du Sud-Est et sa rivalité avec la Chine, à lui de la saisir.
Par Nour EID
Consultante en conformité et éthique et chercheure affiliée au Energy for Growth Hub. Ancienne employée à l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA).
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