L’électricité pompée par TikTok empêche un géant des munitions de produire plus

Entre  le groupe norvégien Nammo et la mort, faut-il choisir?

Un récent article du New York Times revenait sur les difficultés du Pentagone à relancer la production de munitions et de matériels militaires, dont il vide ses stocks à une vitesse plus qu’inquiétante pour permettre la survie de l’Ukraine.

Un chiffre suffit à comprendre le problème, auquel l’administration de Joe Biden tente de remédier grâce à des plans massifs d’investissements et de commandes et une réorganisation des schémas habituels. Au rythme actuel de production, calcule le quotidien new-yorkais, il faudrait treize ans pour reconstituer les stocks de missiles sol-air FIM-92 Stinger, envoyés jusqu’ici à Kiev pour la protection de ses cieux.

La question est tout aussi cruciale pour l’Europe, qui doit à la fois armer l’Ukraine pour la défendre de l’envahisseur russe et se réarmer, reconstituer ses stocks, voire bâtir –comme en Allemagne ou en Pologne, qui souhaite établir la plus grande armée de terre du continent–, de nouvelles forces massives et modernes.

Les pays européens s’organisent ainsi pour relancer leurs propres filières. La France, selon les propres mots d’Emmanuel Macron, s’est replacée dans une perspective d’«économie de guerre», avec notamment des commandes massives d’obus de 155 mm –ceux-là même qui alimentent notamment les canons autoportés Caesar– ou dans une relocalisation de certaines productions spécifiques.

Quant à l’Union européenne, qui doit elle aussi prouver qu’elle est capable de survivre sans le soutien absolu et continu des États-Unis, elle a également mis en place un plan urgent, ambitieux et collectif de commandes de munitions et de relance de leur production, à destination de l’Ukraine d’abord, puis pour elle-même plus tard.

TikTok, TikTok, TikTok, boum

Mais où acheter ces obus, balles, missiles et autres projectiles létaux, à la fois indispensables à l’Ukraine, comme à une défense européenne montrant de dangereuses limites?

Nammo, par exemple, est un grand groupe finno-norvégien de l’armement qui, comme l’indique son site, produit à peu près tous les types de munitions possibles et imaginables, de la balle de petit calibre aux missiles pour avions de chasse ou obus pour gros canons.

Sauf que Nammo, comme l’explique le Financial Times, a un «drôle» de problème. Un souci qui éclaire particulièrement bien, sans mauvais jeu de mot, la complexité de ces chaînes logistiques vitales qu’un rien, parfois, fait coincer. Nammo a besoin de beaucoup d’énergie. Une électricité qui peut venir à manquer, surtout en pleine crise énergétique, surtout avec la militarisation (plutôt ratée) du gaz et du pétrole par Vladimir Poutine.

Or, il a été spécifié à Nammo que son usine de Raufoss, dans le centre de la Norvège, ne bénéficierait d’aucun surplus d’énergie, malgré son désir d’augmenter la cadence. En cause? Un tout nouveau data center voisin, particulièrement énergivore, et qui compte TikTok parmi ses clients.

«Nous sommes inquiets de voir notre croissance future mise en concurrence avec le stockage de vidéos de chats», a ainsi expliqué au Financial Times Morten Brandtzæg, PDG du groupe finno-norvégien.

Selon lui, la demande actuelle en obus est quinze fois supérieure à ce qu’elle a été avant que la Russie ne lance son invasion de grande envergure en Ukraine.

Cette année, TikTok a prévu de bâtir trois centres de données dans la zone, et pourrait en ajouter deux à quelques encablures de Raufoss d’ici à 2025. Premiers arrivés, premiers servis, explique le fournisseur local d’électricité, qui explique avoir promis une pleine capacité aux data centers de TikTok, ne laissant ainsi aucune marge pour Nammo.

Faut-il voir une pure coïncidence dans le fait qu’une firme soupçonnée de liens très étroits avec le Parti communiste chinois s’installe si près d’une firme européenne d’armement, mettant ainsi en péril ses capacités de croissance? Sans doute, bien que Morten Brandtzæg n’écarte pas tout à fait la thèse du hasard.

Le Financial Times explique que cette guerre pour l’électricité risque d’être un thème récurrent dans de nombreux pays, mais particulièrement dans les nations scandinaves et nordiques. Elles sont populaires auprès des centres de données, qui y trouvent des températures plus favorables à leur coûteux refroidissement, de même pour les usines de batteries ou du secteur de l’acier.

Repéré par Thomas Burgel sur The Financial Times
Exposés ici à la Conférence de Berlin sur la sécurité et la défense européennes, le 30 novembre 2022, ces deux lance-roquettes antichar M72 sont construits par le groupe finno-norvégien Nammo, dont le PDG s’inquiète de voir sa «croissance future mise en concurrence avec le stockage de vidéos de chats». | John MacDougall / AFP

La rédaction de JForum, retirera d'office tout commentaire antisémite, raciste, diffamatoire ou injurieux, ou qui contrevient à la morale juive.

S’abonner
Notification pour
guest

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

0 Commentaires
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires