Les réfugiés juifs redonnent vie à des communautés juives moribondes en Ukraine

Les bombardements russes incessants, au sud et à l’est, attirent à l’ouest des réfugiés qui pourraient bien décider de s’y installer.

 Un couple de personnes âgées attend patiemment sur un banc métallique qu’on lui remette son colis alimentaire. Un adolescent tente, avec l’énergie du désespoir, de négocier avec le gardien bourru la ration dont sa famille a besoin. Une petite fille intimidée tient sa mère par la main en attendant leur tour pour obtenir un colis. Telle fut la scène, un matin, devant la principale synagogue de Lviv, ville de l’ouest de l’Ukraine devenue une plaque tournante pour les réfugiés d’un pays déchiré par la guerre.

Au moment où des familles percevaient leur colis d’aide alimentaire, une dizaine d’autres franchissaient les grilles métalliques menant à la cour de la synagogue.

« Les gens viennent d’absolument partout », confie Sara Bald, la rebbetzin de la synagogue connue sous le nom de Beis Aharon V’Yisrael.

Elle supervise et coordonne la réponse globale aux besoins des réfugiés juifs, que ce soit la distribution de nourriture et autres fournitures, ou la recherche de logements pour les nouveaux arrivants.

Elle explique que le nombre de Juifs aidés par la synagogue est passé de 600 avant la guerre à environ 2 000 aujourd’hui.

« Certains ne font que passer, vivent ici quelque temps, mais d’autres sont ici depuis plus de six mois déjà », précise Bald. « Ils espèrent revenir chez eux, mais pour le moment, ils sont là. »

Bald souligne un détail susceptible d’avoir des conséquences sur le long-terme pour sa communauté, auparavant sur le déclin.

De nombreux Juifs ont définitivement quitté l’Ukraine pour s’installer en Europe ou en Israël, mais d’autres ont choisi de rester et d’attendre la fin de la guerre à l’abri, dans la sécurité relative qu’offre l’ouest de l’Ukraine, là où, en outre, de petites communautés juives se sont mobilisées pour leur venir en aide.

Avec les combats qui s’éternisent, il semble de plus en plus probable que de nombreux Juifs déplacés, en particulier ceux des villes du sud et de l’est du pays, sous occupation russe ou près des lignes de front, ne retourneront pas chez eux.

Si les réfugiés s’installent, l’ouest de l’Ukraine pourrait connaître un boom de la population juive pour la première fois depuis des dizaines d’années, depuis l’exode massif vers Israël dans les années 1970, lorsque l’Union soviétique a ouvert les frontières à l’émigration juive.

« Nous verrons ce qu’il en est, mais il est fort possible que cette communauté finisse par prendre de l’ampleur », confie Bald.

Les dirigeants juifs des communautés de l’ouest de l’Ukraine assurent avoir déjà perçu un changement, pas seulement dans le nombre de Juifs présents dans les environs, mais dans leurs relations avec la communauté juive.

« La guerre, les réfugiés… tout ceci leur rappelle leurs racines juives », explique Maksim Mursov, 42 ans, qui donne un coup de main pour distribuer l’aide alimentaire aux réfugiés juifs, dans sa ville d’Ivano-Frankivsk, troisième plus grand centre urbain de l’ouest de l’Ukraine.

« C’est en arrivant dans une ville étrangère, dans le besoin, qu’ils sentent et retrouvent leurs racines. »

Le rabbin Mordechai Bald et son épouse, Sara, ont distribué des milliers de boîtes de fournitures aux réfugiés juifs de toute l’Ukraine à Lviv. Des boîtes de produits vides qu’ils ont distribuées jonchent le sol à l’extérieur de la synagogue. (Crédit : Jacob Judah / JTA)

« La guerre m’a réveillé », dit Yuri Sodovenko, un homme de 69 ans qui n’a commencé à se rendre à la synagogue pour la prière que récemment, à Lviv.

« La guerre met tout le monde à l’épreuve. Un grand nombre d’entre nous se sont rapprochés de la communauté à cette occasion. »

Sodovenko, qui pensait venir chercher ses colis d’aide alimentaire et s’en retourner dans son judaïsme “sous cloche”, confie avoir vécu une expérience cathartique. « C’était comme si les nuages s’étaient dissipés et que le ciel s’était ouvert », décrit-il.

« C’est un refuge, un endroit paisible. Quand je quitte les murs de la synagogue, je retourne à un monde de fous. »

À Ivano-Frankivsk, Moyshe Kolesnik, le rabbin de la ville, déjà âgé, assure que le nombre de Juifs a augmenté.

« Il y avait peut-être 150 Juifs à Ivano-Frankivsk avant la guerre », dit-il.
« Nous avons de nouveaux arrivants, venus du sud et de l’est. »

La communauté de Kolesnik ne distribue actuellement que quelque 300 colis alimentaires aux Juifs déplacés. Mais pour Mursov, le nombre total de Juifs pourrait être supérieur à un millier… voire plus, à l’avenir.

Le rabbin d’Ivano-Frankivsk, Moyshe Kolesnik, fume une cigarette devant sa synagogue avec un rabbin ukrainien de passage. Depuis l’invasion russe, des villes comme Lviv et Ivano-Frankivsk sont devenues un carrefour pour les juifs ukrainiens qui entrent et sortent du pays. (Crédit : Jacob Judah / JTA)

« Beaucoup viennent pour des colis : nous en profitons pour leur parler », explique Mursov.

« Ils disent que beaucoup sont partis en laissant derrière eux quelqu’un chargé de surveiller leur maison. Ces personnes les rejoindront quand il fera froid ou si la situation s’aggrave. »

Cela semble inévitable.

Dans les jours qui ont suivi l’entretien avec Mursov, la Russie a lancé une nouvelle offensive contre l’Ukraine, bombardant plusieurs villes, dont Lviv.

Pourtant, l’ouest de l’Ukraine reste relativement sûr.

Une communauté juive plus importante à Lviv permettrait d’établir une masse critique autour de laquelle l’infrastructure communautaire pourrait se concentrer.

Cela permettrait de consacrer le statut de Lviv comme plaque tournante des Juifs ukrainiens à l’ouest du pays.

L’essor de la vie juive permettrait de soutenir les petites communautés juives des villes de l’ouest de l’Ukraine, qui se sentent isolées par rapport aux grands centres de vie.

Illona, venue à Lviv depuis Mykolaïv, une ville du sud de l’Ukraine à proximité des lignes de front, est représentative des Juifs qui s’installent dans leur nouvelle communauté.

À moins que les Russes ne soient repoussés, et peut-être même s’ils le sont, elle ne rentrera pas chez elle.

« C’est impossible de vivre là-bas pour l’instant », regrette Illona. « Il n’y a plus rien. Pas de médecins. C’est constamment sous les bombardements. »

Ce n’est peut-être que temporaire pour ces petites villes.

Mursov pense que beaucoup de Juifs actuellement à Ivano-Frankivsk partiront s’installer dans de plus grandes villes, dont Lviv, ou quitteront l’Ukraine.

Kolesnik n’en est pas sûr.

« Nous pourrions en garder quelques-uns », pense-t-il. « Mais soyons honnêtes : cela ne va pas reconstituer la communauté juive que nous avions autrefois. »

En effet, si le nombre de Juifs récemment arrivés est important par rapport aux données contemporaines en Ukraine, il est extrêmement faible comparés aux populations très denses qui vivaient ici avant la Seconde Guerre mondiale. En 1931, les Juifs représentaient un peu moins de 10 % de la population de la région, qui faisait à l’époque partie de la Pologne.

 

Colis de nourriture, prêts à être remis aux Juifs de Lviv, empilés en attendant la fin des prières du matin. (Crédit : Jacob Judah / JTA)
À Ivano-Frankivsk, il y avait quelque 40 000 Juifs lorsque les Allemands ont pris la ville aux Hongrois, en juillet 1941.

On estime à seulement 100 le nombre des Juifs qui ont survécu, et à moins de 1 500 le nombre de ceux qui avaient fui plus loin en Union soviétique.

Lorsque Kolesnik est né en 1957, il y avait environ 3 000 Juifs. Beaucoup d’entre eux sont partis lorsque l’émigration vers Israël a été autorisée.

Kolesnik a essayé de reconstruire cette communauté disparue.

Dans son bureau, il choisit des livres publiés à l’époque austro-hongroise et des cartes de la ville de l’entre-deux-guerres. Il montre des photos de rabbins qui enseignaient autrefois dans les yeshivot et les synagogues qui parsemaient la ville.

« Il y avait 56 synagogues ici-même », assure-t-il. « C’est difficile à imaginer aujourd’hui ».

Lorsque l’Union soviétique s’est effondrée, des gens venus des Carpates ont remis à Kolesnik des trésors sauvés ou stockés pour des voisins juifs assassinés pendant la Shoah.

« Il y avait trois gros camions remplis de vieux livres que nous avions récupérés. Je les ai envoyés à Budapest pour sauver les livres. »

Le rouleau de la Torah qu’il lit chaque semaine a été sorti du ghetto pendant l’occupation allemande.

« Il a été passé à travers la clôture du ghetto par un Juif à un habitant du coin », dit-il.

« Il l’a gardée pendant 50 ans et quand je suis devenu rabbin ici en 1993, il est venu à la synagogue et m’a donné cette Torah. »

Tout comme les réfugiés d’aujourd’hui, dit-il, de nombreux Juifs qui se sont installés dans les villes ukrainiennes après-guerre étaient à la recherche de liens juifs, même s’ils étaient difficiles à faire vivre à l’époque communiste.

« Beaucoup ont dû fuir et s’installer loin de chez eux. Cela leur rappelle leur judéité », explique Kolesnik.

« Arrivés dans une ville étrangère, dans le besoin, ils ont regardé autour d’eux et ont trouvé leurs racines juives. »

Il était prévu d’honorer la mémoire des Juifs d’Ivano-Frankivsk en transformant une synagogue abandonnée en musée de la Shoah. La guerre a naturellement retardé le projet.

« Nous avions tous les documents pour commencer », explique Andrii Vymarchyk, l’ingénieur juif qui devait travailler sur le projet.

« La guerre a éclaté et tout est retardé maintenant. »

Le budget de ce projet est de l’ordre d’un million d’euros. « Nous avions prévu de restaurer le bâtiment à l’identique, mais nous allons devoir attendre. »

Les souvenirs de l’antisémitisme dans l’ouest de l’Ukraine sont difficiles.

L’ouest de l’Ukraine est le siège du nationalisme ukrainien moderne, au grand dam de nombreux Juifs ukrainiens. L’invasion russe semble avoir apaisé leurs craintes.

Partis d’Ivano-Frankivsk, où la plupart des Juifs ont plus de 60 ans, une dizaine de membres de la communauté sont allés se battre sur les lignes de front. Quatre auraient été faits prisonniers de guerre, disent certains Juifs des environs.

Ceux qui restent, ou qui sont arrivés, s’engagent dans le judaïsme différemment.

« La guerre a permis aux gens de rechercher le contact et de questionner leur identité », explique Vymarchyk.

« Les Ukrainiens, les Juifs, et beaucoup d’autres la trouvent en tant que réfugiés, ici. »

Source : fr.timesofisrael.com

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