Hikikomori: ce syndrome japonais d’isolement volontaire qui touche de plus en plus de jeunes Français

«Il s’agit d’un phénomène silencieux mais bien réel qui nous a conduits à ouvrir une consultation spécifique depuis 2017», explique la psychologue Mitra Krause. Hervé PINEL

 

PSYCHOLOGIE – Accéléré par la crise du Covid, ce «retrait social» est difficile à vivre aussi pour les familles. Une consultation dédiée a ouvert en France.

On les connaît sous le nom de hikikomori (du verbe japonais «hikikomoru», qui signifie «se cloîtrer»). Au Japon, environ 1 million de personnes (en grande majorité des hommes, soit près de 3,3 % de la population âgée de 15 à 50 ans) vivraient recluses dans leur chambre depuis au moins six mois, et parfois depuis des années. Accéléré par la crise sanitaire, le «retrait social» se développe de plus en plus dans les pays occidentaux, où il reste très difficile à quantifier. «Il s’agit d’un phénomène silencieux mais bien réel qui nous a conduits à ouvrir une consultation spécifique depuis 2017. On ne parle pas de ces jeunes, car ils ne dérangent personne: ils restent chez eux où leurs parents les assument matériellement dans une solitude souvent terrible», déplore la psychologue Mitra Krause, qui coordonne, à Strasbourg, la consultation Détours, la seule spécifiquement dédiée aux jeunes en retrait social et à leurs proches en France.

Chez Détours, les patients sont âgés de 18 à 35 ans environ. Certains ne sont pas sortis de leur chambre depuis des années, se nourrissant la nuit dans le frigo familial et n’échangeant parfois plus un mot avec quiconque, même avec leurs parents… «Il s’agit souvent de jeunes adultes qui s’enferment après un ou deux ans d’études, ou bien après une première année d’expérience professionnelle courte et difficile, raconte Claire Rolland-Jacquemin, médecin généraliste chez Détours. Le confinement a créé des centaines ou des milliers de cas supplémentaires ; beaucoup n’ont jamais repris leurs études…» «La crise sanitaire a facilité les passages à l’acte: les jeunes qui vivaient déjà repliés sur eux-mêmes ont trouvé une légitimité à le faire», analyse également la journaliste Sophie Carquain, qui a enquêté sur le sujet pour son roman Juste à côté de moi (Charleston, 2022), dont l’un des personnages est un jeune homme enfermé dans sa chambre depuis treize mois. «Ces jeunes sont des antichasseurs-cueilleurs, poursuit-elle. Ils ne veulent pas gagner leur vie ni aller chercher leur pitance à l’extérieur. Ils sont en résistance passive contre la société.»

Si certains – une minorité – souffrent parfois de troubles psychiatriques associés (schizophrénie, dépression…), la plupart ne sont pas malades mais ressentent une véritable anxiété à l’idée d’interagir avec les autres et de ressentir des émotions. «Ils ne renoncent pas au monde, mais ils le regardent par la fenêtre. Ils s’informent beaucoup, lisent, rêvent en silence, jouent parfois en ligne sans être pour autant accros à leur écran», explique Mitra Krause.

«Injonction paradoxale»

Si les écrans sont bien présents dans leurs journées, ils représentent surtout un refuge, et non la cause de leur enfermement. «Les relations on line leur donnent un sentiment de sécurité en évitant le danger d’une rencontre off line pouvant virer à la confrontation. Via internet, la menace du corps, de la présence de l’autre disparaît», analyse la psychologue Natacha Vellut, dans une étude parue dans la Revue de l’enfance et de l’adolescence en 2017. Pour la psychanalyste Sophie Braun, auteur de La Tentation du repli (Éditions du Mauconduit, 2021), ces retranchés volontaires ne sont que la manifestation extrême d’une tendance plus générale (et antérieure au Covid) au repli sur soi, et d’une envie de se protéger contre l’angoisse ambiante qui tourne en boucle sur les chaînes d’info et les réseaux sociaux (morts de la pandémie, chômage, guerre en Ukraine…).

Devant cette pression, certains préfèrent déserter : ils s’isolent car ils pensent qu’ils n’y arriveront pas Sophie Braun, psychanalyste

«Eux-mêmes angoissés, les parents ne peuvent s’empêcher de mettre la pression à leurs enfants, et en particulier à leurs garçons… Ils les élèvent dans une injonction paradoxale: il faut qu’ils soient parfaits, mais aussi qu’ils s’épanouissent… Devant cette pression, certains préfèrent déserter: ils s’isolent car ils pensent qu’ils n’y arriveront pas.»

Pour les parents, le plus difficile est alors de sortir de leurs représentations et de ne pas en rajouter dans les injonctions du type «à ton âge, tu devrais faire cela», «demain, on va essayer de te trouver un stage…» «Le discours “tu devrais faire ceci” ne fonctionne pas et les pousse encore un peu plus loin dans leur chambre», souligne Claire Rolland-Jacquemin. «Nous avons remarqué que les jeunes vont mieux lorsque leurs parents abandonnent une sorte de calendrier social et acceptent de changer de temporalité, mais bien sûr, c’est très difficile», poursuit le médecin, recommandant aux parents de se faire aider et de ne pas rester seuls avec leur souffrance et leur culpabilité. «Nous les aidons à changer leur manière de penser, à réapprendre aussi à vivre, à retrouver un peu de légèreté, car lorsqu’un jeune s’enferme, c’est souvent toute la famille qui s’enferme avec lui.»

Par Ségolène Barbé  www.lefigaro.fr

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