Le Talmud est-il précurseur de la médecine moderne ? Tel était le titre de la passionnante conférence donnée dimanche 22 avril par le Dr. Ariel Toledano en exclusivité à l’Université de Tel-Aviv, à l’invitation de l’Association des Amis francophones de l’Université. Pendant plus d’une heure, il a entraîné son nombreux public dans une plongée au cœur de cet océan de connaissance qu’est le Talmud, montrant comment un savoir retranscrit entre les 3e et 6esiècles préfigure les sciences contemporaines.

Présentation du conférencier: médecin vasculaire, chargé d’enseignement d’Histoire de la médecine à l’Université René Descartes – Paris V, et auteur de nombreux ouvrages reliant la médecine et la tradition judaïque, dont La médecine du Talmud et Médecine et Kabbale.

C’est en étudiant l’histoire de la circulation sanguine que le Dr. Tolédano, passionné d’histoire de la médecine, en est venu à s’intéresser à son lien avec le Talmud. Pour lui, pas de doute, les bases de la médecine moderne y figurent déjà en filigrane: « Il faut comprendre qu’à l’époque gréco-romaine, la conception du corps humain était différente de la notre », explique-t-il. « C’était le foie et non le cœur, qui était considéré comme le centre de l’organisme, et l’on pensait que les artères transportaient non du sang mais de l’air ». Il est alors tombé sur un vif débat qui se déroule dans le traité Houlin du Talmud de Babylone, entre deux personnages: Schmuel, proche de la tradition gréco-romaine, et Rav qui, lui, pensait que les vaisseaux parvenaient au cœur.

Compilation des interprétations de la Bible par les Sages, le Talmud, de la racine hébraïque LMD (qui a donné notamment LAMAD, apprendre, et LIMED, enseigner), est le texte central du judaïsme rabbinique.

« Toutes les spécialisations médicales sont abordées dedans », commente le Dr. Tolédano, qui précise le lien particulier entre le texte et la médecine vasculaire: « Les deux lettres frontières de la Torah, le Bet (B) et le Lamed (L), sont celles qui forment le mot LEV, ‘cœur’ en hébreu ».

L’hébreu, relève-t-il, est la seule langue dans laquelle les lettres ont des noms. Rabbi Akiba, considéré comme l’un des fondateurs du judaïsme rabbinique, nous donne justement le sens de la lettre Lamed, la seule de l’alphabet hébraïque qui se situe au-dessus de l’interligne, et « nous tire vers le haut. Le nom de la lettre est formé des initiales des mots ‘Lev Mevin Dat’: ‘le cœur comprend la connaissance’. Lorsque que le cœur cesse de battre, la vie cesse; de même lorsqu’on arrête d’apprendre ».

Les principes fondamentaux de la médecine moderne

De plus dans la Bible hébraïque, chaque lettre possède une valeur numérique, ce qui permet d’aller plus loin dans l’interprétation des textes: c’est la Gematria, sur laquelle est fondée la kabbale.

« Le Lamed est associé au 30. Les lettres du mot LEV, Lamed et Bet, s’additionnent pour former 32, soit les 22 lettres de l’alphabet hébraïque et les 10 nombres premiers, c’est-à-dire l’ensemble de la connaissance. Les médecins cherchent ce que le corps cache, et les kabbalistes ce que le texte cache ».

Mais selon le Dr. Tolédano, ce n’est pas seulement la compréhension des règles de l’anatomie que l’on retrouve dans la Bible et le Talmud, mais également celles de principes fondamentaux de la médecine moderne. Par exemple: la prévention, née pour lui dans le texte de la Bible, dans le Livre de l’Exode, chapitre 15, verset 26, littéralement: ‘Si tu es fidèle à toutes ses lois, aucunes des maladies dont j’ai frappé l’Egypte ne t’atteindra, car je suis Dieu ton médecin’, verset traduit et interprété dans la Bible rabbinique comme ‘moi l’Eternel, je te préserverai’: « Le médecin agit d’abord par la prévention, notion parfaitement moderne ».

Autre idée moderne du Talmud qui s’oppose à la conception dualiste d’Hippocrate en vigueur à la même époque: l’union du corps et de l’esprit.

« Pour Maimonide, la plus éminente autorité rabbinique du Moyen-âge, le corps est quelque chose de magnifique. A travers la fonctionnalité des organes, Dieu a accompli quelque chose de complet et de merveilleux. De même, pour le Rabbin Moshe Isserles, codificateur du Choulkhan Aroukh pour les communautés ashkénazes, Dieu accompli des merveilles à travers le corps humain. C’est l’idée de l’union du corps et de l’esprit, qui s’oppose à la pensée gréco-romaine du dualisme ».

Prévention, contamination et thérapie génique

Le Dr. Tolédano poursuit son inventaire des concepts contemporains ayant fait leur apparition dans le Talmud avec l’idée de contagiosité, selon laquelle des particules invisibles à l’œil nu peuvent être responsables des maladies. Idée, qui a du attendre 1865 pour naître en Europe avec Louis Pasteur, le conférencier rappelant d’ailleurs que vingt ans auparavant, un médecin viennois qui avait découvert que les femmes en couche mourraient de fièvre puerpérale lorsque leurs médecins passaient directement des autopsies aux accouchements et proposait qu’ils se désinfectent les mains entre les deux, avait fini sa vie dans un hôpital de fous.

« Dans la Torah, on ne peut consommer le corps d’un animal mort (‘nevela’, charogne) ni même le toucher. C’est l’idée du corps mort qui contamine « . De même dans le récit des serpents brûlants dont la morsure fit mourir les Hébreux dans le désert. Pour les en préserver Dieu dit à Moïse ‘confectionne-toi un serpent’. Et celui-ci en fabriqua un en cuivre, ‘Nekhoshet’, mot de la même racine que ‘Nakhash’, serpent en hébreu: c’est le mal et le remède ensemble, principe de la thérapie génique. D’ailleurs Moïse est pour moi un grand hygiéniste ».

Le Dr. Tolédano avance même l’hypothèse d’un contact possible entre un chercheur talmudique du 19e siècle, Israël Rabinovitch, dont on sait qu’il avait rencontré le célèbre physiologiste Claude Bernard, avec Pasteur, lorsque celui-ci faisait ses recherches sur la rage.

Pour terminer sur une note d’espérance, le Dr. Tolédano donna l’exemple de Sarah, épouse d’Abraham, qui eu le bonheur de retrouver son flux mensuel à un âge avancé, « …alors que chez Hypocrate, les règles sont conçues comme quelque chose de pathologique. Dieu voulait donner à Abraham l’espoir d’avoir une descendance. C’est cette forme d’espérance que j’avais envie de vous donner ce soir. Bien que fils et arrière-petit fils de rabbin, je suis avant tout un médecin, mais j’ai voulu transmettre, je suis un passeur ».

La conférence, émaillée de Gematria et de citations bibliques en parfait hébreu, fut suivi d’un débat avec le public. Elle avait été précédé d’un cocktail au cours duquel le Dr. Tolédano a dédicacié son livre, La médecine du Talmud.

Source : Site de l’Association française de l’Université de Tel-Aviv

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