Sonia Devillers et le scandale de l’exportation des Juifs roumains.

La journaliste de France Inter raconte dans quelles conditions sa famille maternelle a été amenée à fuir la Roumanie en 1961. Ses grands-parents et sa mère ont été échangés contre des bestiaux.

L’histoire est à pleurer. Sonia Devillers ne cache pas, d’ailleurs, qu’elle a versé beaucoup de larmes en découvrant dans quelles conditions sa famille maternelle a fui Bucarest pour Paris, en 1961 : échangée contre du bétail par le gouvernement roumain. Ma mère, ma tante, mes grands-parents et mon arrière-grand-mère ont été exportés. Tels des marchandises, ils ont été évalués, monnayés, vendus à l’étranger.

Incroyable, mais vrai. Pendant huit ans, de 1958 à 1965, le régime communiste a troqué des Roumains juifs contre… des animaux d’élevage et du matériel agricole. Il s’agissait alors non pas tant de nourrir une population affamée que de relancer une agriculture à l’agonie pour développer les exportations et faire rentrer des devises étrangères.

« Une colère phénoménale »

L’histoire est tellement choquante qu’elle a longtemps été passée sous silence. Un secret d’État que même Nicolae Ceausescu ignorait lorsqu’il a pris le pouvoir en 1965. Il a piqué une colère phénoménale, hurlant que si cela venait à se savoir, ça déclencherait un scandale international. Il a limogé tous les responsables.

Mais, deux ans plus tard, le dictateur a relancé l’exportation des Juifs, en changeant les termes du contrat. Un seul pays destinataire : Israël. Une seule monnaie d’échange : des dollars. On estime qu’environ 300 000 personnes ont ainsi été exportées ​de Roumanie.

Ces faits « abracadabrantesques » n’ont été révélés qu’en 1988 dans un livre de confessions publié par un ancien officier de la Securitate – la police politique roumaine – passé…

Un demi-siècle a suffi à la Roumanie pour faire disparaître sa communauté juive, d’abord exterminée, puis vendue, « exportée ». Cette histoire longtemps tue, qui est celle de sa famille, la journaliste française Sonia Devillers l’a découverte tardivement.

Les Exportés (éditions Flammarion), publié mercredi par cette vedette de l’antenne de France Inter, revient sur un épisode méconnu: le système de troc instauré à grande échelle par le régime communiste roumain (1945-1989) de ses Juifs contre du bétail et du matériel agricole.

La famille maternelle de Sonia Devillers s’appelait Deleanu, nom roumain adopté après la Seconde Guerre mondiale par ses grands-parents nés Grunberg et Spitzer.

Ces communistes fervents, tombés en disgrâce, ont quitté leur pays, et presque tous leurs biens, en 1961, pour rejoindre Paris.

La journaliste, née en 1975, savait que cette émigration, pour fuir un pays écrasé par la dictature et la pauvreté, avait été une épreuve. Elle n’imaginait pas le scandale derrière. « Quel autre pays, en effet, a vendu ses juifs contre des cochons ? », écrit-elle.

« Extrêmement cadenassé »

Ignorée en Europe de l’Ouest, cette histoire n’est pas bien connue en Roumanie même.

À peine les manuels scolaires d’histoire mentionnent-ils le rôle du régime fasciste roumain dans l’Holocauste. Or le pays, qui comptait 750 000 Juifs à la fin des années 30, a vu ce nombre chuter à 350 000 après la guerre.

La politique secrète d’exportation des Juifs, qui réduit cette communauté à 10 000 membres à la fin du siècle, est un chapitre encore moins connu de l’histoire du pays.

Qu’a-t-il perdu en chassant tous ces ressortissants ? Le débat n’a jamais été ouvert, tout comme sur d’autres aspects sombres de l’histoire roumaine.

Ce commerce honteux qui démarre en 1958, « c’était un secret extrêmement cadenassé, au sein du régime, au point que Nicolae Ceausescu, qui arrive au pouvoir en 1965, qui avant cela est déjà très haut placé dans le parti, n’en savait rien », explique Sonia Devillers à l’AFP.

Inventaires de commerce

Au sein des familles sorties de Roumanie, on ne parle pas plus. Pour l’autrice, il a fallu découvrir les travaux du seul Roumain qui se soit vraiment intéressé à cette histoire, l’historien Radu Ioanid, aujourd’hui ambassadeur de Roumanie en Israël.

« La genèse de ce livre, ce sont les fac-similés des archives de la Securitate (police politique) que reproduit Ioanid: des listes et des inventaires de commerce. Et dans ces listes, il y a le nom de mes grands-parents », indique-t-elle.

Dans Les Exportés sont traduites en français pour la première fois ces archives éloquentes. Par exemple, contre 131 bestiaux, dont « 10 porcelets danois » ou « 10 vaches jersiaises », des visas de sortie doivent être expressément accordés à 22 Roumains, âgés de 3 à 73 ans. Ils partiront pour Israël ou l’Europe de l’Ouest.

L’intermédiaire est un Britannique d’origine hongroise, Henry Jacober, personnage de l’ombre qui en a fait un commerce lucratif.

« Je ne raconte pas cette histoire d’un point de vue de journaliste, ni d’historienne, et ne prétends pas faire une enquête, ni un document d’histoire », estime la journaliste.

Selon elle, « aux enfants d’exilés, il y a une partie du voyage qu’on ne raconte jamais. C’est aux héritiers non traumatisés de refaire le voyage à l’envers, et d’aller chercher dans ce pays où nous ne sommes pas nés, dans le passé, et souvent dans une langue que nous ne parlons pas, des vérités qui ont été cachées ».

Source : fr.timesofisrael.com

La rédaction de JForum, retirera d'office tout commentaire antisémite, raciste, diffamatoire ou injurieux, ou qui contrevient à la morale juive.

S’abonner
Notification pour
guest

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

0 Commentaires
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires