Menacés de mort par les islamistes, les réalisateurs palestiniens Tarzan et Arab Nasser ont trouvé refuge en France. Leur premier film, honoré à Cannes, sort aujourd’hui.

Montereau-Fault-Yonne (Seine-et-Marne), vendredi. Tarzan et Arab Nasser, réalisateurs palestiniens de « Dégradé », posent avec Maisa Abd Elhadi, une des actrices du film, qui se passe dans un salon de beauté à Gaza.

Montereau-Fault-Yonne (Seine-et-Marne), Tarzan et Arab Nasser, réalisateurs palestiniens de « Dégradé », posent avec Maisa Abd Elhadi, une des actrices du film, qui se passe dans un salon de beauté à Gaza. (LP/Faustine Léo.)

Ils veulent casser les préjugés qui circulent sur la bande de Gaza.

Et y arrivent déjà avec leur apparence et leur personnalité. Tarzan et Arab Nasser, jumeaux nés en Palestine il y a vingt-sept ans, barbus et chevelus à la dégaine de rockeurs, ont vu leur premier long-métrage, « Dégradé », qui sort aujourd’hui en salles, sélectionné l’an dernier au Festival de Cannes dans le cadre de la Semaine de la critique.

Dans ce film, à travers de multiples portraits de femmes, les jumeaux se servent du huis clos d’un salon de beauté pour dénoncer l’enfermement dont est victime la Palestine. Mais en montrant que, malgré les bombes et la violence, la vie continue. « Nous subissons deux occupations. Celle d’Israël et celle du Hamas, insistent ceux qui clament leur amour de la Palestine. Mais dans ce salon de beauté, les femmes parlent des mêmes choses que partout dans le monde. Les médias ressassent les clichés sur Gaza. Mais si on y va, on voit la vie. » Les comédiennes sont en majorité des non-professionnelles, à l’exception notable de Hiam Abbass, actrice aguerrie, qui tourna aussi bien avec Steven Spielberg qu’avec Jean Becker et fut membre du jury de Cannes en 2012.

Chassés par les islamistes, les jumeaux ont trouvé refuge en janvier en France, dans le sud de la Seine-et-Marne. « Le Hamas ne tolère aucune voix différente. Si tu fais un pas de côté, ils considèrent que tu es contre eux », soupirent ceux qui n’ont pas pour autant perdu leur foi en la religion musulmane. Aujourd’hui, s’ils portent la barbe, c’est bien par goût, non par conviction religieuse. S’ils s’habillent comme ils l’entendent, c’est aussi pour afficher leur liberté d’être et de penser. Ce qui paraît une évidence en Occident leur a valu de nombreuses arrestations par la police après la prise du pouvoir par le Hamas en 2007, des interrogatoires virant à l’absurde et de nombreux séjours en prison.

A force d’affirmer que « l’on peut aborder le sujet du sexe librement », de ne pas se plier à la manière de vivre des islamistes, et même de dénoncer la corruption du Hamas dans un de leurs 80 documentaires, ils ont dû quitter leur terre natale il y a quatre ans, victimes de menaces de mort. Tarzan et Arab ont trouvé refuge en Jordanie, où ils ont tourné un court-métrage, « Condom Lead ». C’est en racontant cette histoire d’un couple dont l’intimité est perturbée sous les bombes qu’ils avaient gagné leur première sélection en compétition officielle à Cannes en 2013.

Il leur a fallu se battre pour se fournir en matériel cinématographique dans cette zone minée par la guerre et les checkpoints. Les jumeaux ont étudié les beaux-arts à Gaza, mais pour se former au cinéma, non enseigné en Palestine — les islamistes ont même brûlé les salles de cinéma —, ils se sont tournés vers leurs pairs, dont le réalisateur gazaoui Khalil al-Mozian. A Montereau-Fault-Yonne, ils viennent de terminer le scénario de leur prochain film, « Apollo ». Ils rêvent de pouvoir le projeter chez eux, à Gaza.

Le Parisien.fr

«LE MONDE ENTIER EN A MARRE DES PROBLÈMES PALESTINIENS. NOUS, ON VEUT RACONTER NOS PETITES HISTOIRES DU QUOTIDIEN»

Qu’on aime ou qu’on n’aime pas, «Dégradé» est un bras d’honneur au politiquement correct de celles et ceux, y compris Palestiniens, qui refusent de parler d’autre(s) chose(s) que de l’occupation israélienne et de la résistance. «Libé» a rencontré l’équipe du film.

Sur le tournage du film.

 

Dégradé, c’est le titre du film (sorti en salles ce mercredi). «Dégradées», c’est aussi l’adjectif qui pourrait qualifier les relations entre les 13 actrices du long-métrage pendant le tournage… mais sûrement pas l’énergie qui en émane. L’intrigue ? Treize femmes à huis clos dans un salon de coiffure, entourées de caramel, de rouge à lèvres et de bigoudis, qui se crêpent le chignon sur une coupe de cheveux «dégradée», sur tout et rien…

Libé a parlé tournage, réception du film, relations entre les actrices, brouillage entre réalité et fiction, lors d’une rencontre avec les réalisateurs jumeaux Arab et Tarzan Nasser, deux des actrices principales, Hiam Abbas, Maisa Abd Elhadi, et un des producteurs du film, Rachid Abdelhamid.

S’épiler quand on habite à Gaza

Il s’agit donc d’un récit en apparence anodin, sauf que la scène se déroule dans la bande de Gaza. Or le simple fait de raconter des choses anecdotiques du quotidien de cette région est osé.

Parfois mal perçu par les Palestiniens

Le fait que ce film dénonce notamment en arrière plan les tensions entre les Palestiniens, les agissements du Hamas, est souvent critiqué lors des projections, note l’équipe. «Certes, l’occupation israélienne est aussi évoquée tout au long du film mais ça aurait dû suffire pour beaucoup sauf que notre vie de tous les jours est faite – aussi — d’autres choses. Le monde entier en a marre des problèmes palestiniens. Nous, on veut raconter nos petites histoires du quotidien et c’est ce qu’on a essayé de faire à travers Dégradé», confie Rachid Abdelhamid. Et aux réalisateurs d’enchaîner : «On nous a reproché d’aborder la vie quotidienne des femmes à Gaza, de parler d’épilation… En tant que Palestinien, on se devait de parler de l’occupation et uniquement de l’occupation».

«Sous les bombes, ma mère se tuait à faire le ménage»

Les deux frères bruns ténébreux aux yeux verts intimidants dédient ce film à leur mère qu’ils n’ont pas pu voir depuis près de sept ans, si ce n’est sur Skype. Ils racontent que l’opération «Bordure protectrice» à Gaza a coïncidé avec le début du tournage des premiers plans de Dégradé, l’été 2014. Ce qui leur a valu d’être lâchés par plusieurs investisseurs, considérant le projet trop futile dans ce contexte. Mais, Arab et Tarzan ont tenu le choc, portés par leur mère. «Sur Skype, après plusieurs tentatives vaines, j’ai pu capter ma mère. Je l’entendais totalement essoufflée entre les explosions des bombes. Je lui ai demandé si elle allait bien et elle m’a répondu qu’elle faisait le ménage… Elle voulait que sa maison soit propre si elle devait mourir. Là, le doute n’avait plus lieu d’être. Il fallait poursuivre Dégradé.»

«C’était la colonie de vacances»

Retrouvés dans les locaux de la production à Paris, les protagonistes du film ont plaisir à se voir, ça se sent. Leur enthousiasme déborde et provoque digression sur digression, notamment à propos du tournage. Hormis Hiam Abbass et Maisa Abd Elhadi, les actrices n’avaient aucune expérience de comédienne. «Entre celles qui s’amusaient à se coiffer et se maquiller pour de vrai dans le (faux) salon de beauté, celles qui faisaient des caprices pour être plus apprêtées ou apparaître davantage dans le champ pendant les vingt-deux jours de tournage… c’était le bordel, la colonie de vacances» résument s’amuse l’actrice phare des Citronniers avant d’éclater de rire. 

Quoi qu’il en soit, les 13 actrices sont toutes liées à la Palestine. Toutes y vivent (surtout en Cisjordanie) sauf deux d’entre elles qui habitent en Jordanie mais sont d’origine palestinienne.

«Le deuxième tabou était de parler des femmes autrement que comme des résistantes, femmes ou mères de martyr»

Quant aux Nasser, ils ont beau avoir 27 ans, ils restent d’éternels adolescents, ingérables, qui font des blagues sur tout et rien ; sauf quand ils parlent de l’essence de leur film. Là, l’un et l’autre (difficile de savoir qui des deux est Arab ou Tarzan) ont l’air enfin concentré.

«On devait trouver un script qui nous permettait de faire un film pas cher et en même temps de parler de la vie quotidienne des gens de Gaza. On voulait raconter ce que les gens de l’extérieur ne savent pas de Gaza. C’était un vrai défi de faire un récit en lien avec Gaza, en dehors du conflit israélo-palestinien, mais ce n’était pas le seul tabou qu’il fallait lever. Le deuxième tabou, tout aussi difficile à briser, était de parler des femmes autrement que comme des résistantes, femmes ou mères de martyr, en les confinant qui plus est dans un salon de beauté là où elles se sentent à l’aise. En filigrane, c’est bien sûr les gens de Gaza dont on parle», racontent en se renvoyant la balle Arab et Tarzan.

Le tournage a eu lieu dans un hangar d’un quartier populaire d’Amman, en plein milieu d’une zone industrielle. Impossible de tourner à Gaza en raison de la censure qui y règne et surtout à cause de l’exil des frères Nasser, menacés de mort sur leur terre natale.

Pour ce qui est de l’histoire du lion (on ne vous en dira pas plus pour ne pas vous spoiler), a priori loufoque et surréaliste, elle aurait bien eu lieu. Entre 2006 et 2007, soit entre la gouvernance du Fatah et celle du Hamas, la bande de Gaza se pliait aux lois de familles mafieuses, raconte le producteur du film. Ce qui impliquait du deal de drogue, du trafic d’armes mais aussi -on y revient- le fameux prédateur…

Les habitantes de Gaza ont bien sûr inspiré les personnages de ces femmes de caractère: «Les histoires ont toujours été là, partout. On a grandi entourés de ces femmes, nos mères, nos tantes, nos cousines… Toutes se reconnaissent en elles», évoque Arab, un brin nostalgique.

Les deux inséparables ont goûté au cinéma via la télé. Malgré l’opposition de leurs parents, ils se sont débrouillés pour acheter un vieux poste dont ils ont coupé le fil pour faire croire à un objet décoratif, mais dès que la nuit tombait, ils s’empressaient de remettre la prise. Leur premier souvenir relié à cette télé (et au cinéma) ? «un film érotique israélien». 

Libération

 

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