l’Arcom vire C8 et NRJ 12 et se venge de leur Liberté de ton

C’est un véritable séisme dans le paysage médiatique. C8 et NRJ 12 vont disparaître de la TNT. Ainsi en a décidé ce mercredi matin l’Arcom. Une décision rarissime dans la petite histoire de la télévision française, puisqu’elle ne s’est produite qu’à une seule reprise, en 1987, avec la chaîne TV6, qui avait dû laisser sa place à M 6.

La fin des deux chaînes est prévue le 28 février 2025. À moins que d’inévitables recours auprès du Conseil d’État ne viennent contrecarrer les plans. Cette décision interpelle à plus d’un titre, même si elle était dans l’air depuis plusieurs mois. Explications.

1. Pourquoi l’Arcom a-t-elle décidé de supprimer C8 ?

7 610 001 euros. C’est le montant total des amendes payées à l’Arcom par C8 ces huit dernières années. Jamais une télé n’avait cumulé autant de sanctions financières. Cette somme faramineuse a été formellement rappelée par les Sages lors de l’audition des patrons de la chaîne, le 9 juillet dernier pour plaider en faveur de leur renouvellement.

À chaque fois, la direction du groupe C8 a soutenu son animateur vedette, contestant parfois les décisions de l’Arcom devant le Conseil d’État. Mais jamais l’antenne n’a été réorganisée pour que ce genre de séquences cesse. Lors de leur audition du 9 juillet, les dirigeants de C8 ont annoncé que, dès septembre, l’émission de Cyril Hanouna serait enregistrée afin de pouvoir être coupée en cas de dérapage. Les Sages ont affiché leur doute quant au réalisme de cette promesse. « Pourquoi est-ce qu’on doit croire que tout ce que vous auriez pu faire ces dernières années et que vous n’avez pas fait, va être fait ? » a interrogé le membre de l’Arcom Benoit Loutrel.

Pour sa défense, C8 a mis en avant le fait qu’elle respectait à la lettre le montant des investissements promis dans la production audiovisuelle, la fiction et le cinéma. Malgré 3,1 % de PDA en 2023 (et le titre de sixième chaîne de France ex aequo avec TMC), elle n’a jamais gagné d’argent. Depuis sa création en 2005, elle cumule les pertes à un niveau abyssal : 736 millions d’euros, selon L’Informé.

2. Et NRJ 12 ?

De son côté, NRJ 12 paye cash la baisse de ses investissements dans les programmes. En 2012, elle était la huitième chaîne du PAF avec 2,4 % de parts d’audience grâce à des rendez-vous puissants tels que « Les Anges de la téléréalité » ou le magazine « Tellement vrai », alors à leur apogée. Cette année-là, la Douze relance même la « Star Academy » de TF 1, quitte à y perdre beaucoup d’argent. L’Arcom lui accorde même une deuxième fréquence, avec la naissance de Chérie 25.

Depuis, plus rien. Ou presque. Petit à petit, et malgré le lancement de nouveautés comme l’émission de faits divers « Crimes » avec Jean-Marc Morandini, les audiences fléchissent et passent sous la barre des 2 % dès 2014, sans jamais remonter la pente malgré des relances successives et parfois très coûteuses.

En 2023, avec 1 % de parts de marché, NRJ 12 devenait l’avant-dernière chaîne de la TNT avec Gulli, juste devant franceinfo et battue par sa petite sœur Chérie 25 (1,2 %). Et 2024 s’annonce pire encore, à moins de 1 % depuis février. Les pertes financières jusqu’ici importantes (290 millions d’euros depuis sa création, toujours selon L’Informé) se sont cependant arrêtées l’an passé, la chaîne parvenant même à dégager un bénéfice de 300 000 euros.

Lors de son audition, le 12 juillet dernier, l’Arcom a pointé du doigt l’absence d’investissements, lui reprochant d’être un robinet à rediffusions d’anciens programmes venus de son catalogue ou de celui de concurrents. Et la promesse de 300 heures de productions inédites par an n’a pas suffi à convaincre, le régulateur notant même qu’il s’agissait de l’engagement le plus faible de tous les candidats à une fréquence.

Malgré l’envie de continuer non-dissimulée par le fondateur du groupe NRJ, Jean-Paul Baudecroux, le régulateur a semble-t-il estimé que le projet proposé de poursuite n’était pas à la hauteur. Et a donc préféré mettre fin à l’histoire lancée en 2005.

3. Quand les chaînes vont-elles disparaître ?

Le 28 février 2025. D’ici là, elles pourront continuer comme si de rien n’était. « Touche pas à mon poste » pourra faire sa rentrée et la réaction de Cyril Hanouna et de ses chroniqueurs sera particulièrement scrutée. « Sa riposte va être énorme. Il va faire une rentrée fracassante et délirante », pronostique un téléspectateur assidu, qui s’attend à « des mois de règlements de compte ». Mais C8 comme NRJ 12 vont être tentés de réduire rapidement le coût de leur grille et limiter au maximum les nouveaux programmes.

4. Qui va les remplacer ?

Les projets « OFTV » et « RéelsTV », respectivement portés par le groupe Ouest-France et CMI France, dirigé par le milliardaire tchèque Daniel Kretinsky. OFTV viendra compléter l’offre proposée par le journal Ouest-France, le quotidien régional le plus lu de l’Hexagone, dans leur journal papier et en ligne. RéelsTV se veut une chaîne généraliste populaire, plaisante et pédagogique avec pour ligne directrice, « 3 D » : documentaires, débats, divertissements.

5. Où va rebondir Cyril Hanouna ?

La suppression de la fréquence de C8 ne signifie pas la fin de « Touche pas à mon poste ». Si le talk-show de Cyril Hanouna a lourdement pesé dans la décision du régulateur, sa disparition n’est pas à l’ordre du jour. « Avec ou sans C8, vous le retrouverez sur une autre chaîne dès la rentrée », assurait même Gérald-Brice Viret lors de son passage devant les Sages. Reste à savoir où. L’animateur-producteur est lié par un juteux contrat qui court jusqu’en 2026 avec le groupe Canal +, toujours propriétaires d’autres antennes.

S’il est improbable de le voir débarquer sur CNews, où Pascal Praud est présent avec succès entre 20 heures et 21 heures, une arrivée dans la tranche en clair de Canal + et surtout sur CStar pourrait être davantage envisageable. Tout comme la poursuite de la chaîne sur le numérique ou via les box. Mais la rentabilité de C8 uniquement sur ces canaux serait fortement réduite.

Quoi qu’il arrive, ses plus fidèles pourront le retrouver sur Europe 1 où, comme nous le révélions, il reviendra à la rentrée pour son émission d’actualité « On marche sur la tête », testée pendant deux semaines en juin dernier. Dix numéros seulement qui ont suffi à valoir une mise en demeure de l’Arcom pour manque de « mesure » et d’« honnêteté », lui reprochant d’avoir trop donné la parole à l’extrême droite et évoqué le Nouveau Front populaire « de manière systématiquement critique et virulente. »

6. La décision est-elle définitive ?

Dans un mail interne aux salariés du groupe Canal +, Maxime Saada se déclare « sous le choc et triste » à cause de cette décision « inédite dans l’histoire de la TNT ». Il ne dit rien d’un éventuel recours juridique. Candidat malheureux à une fréquence, Le Media, groupe co-fondé par la compagne de Jean-Luc Mélenchon, Sophia Chikirou, a par exemple annoncé sur X qu’il allait « engager un recours ».

Une démarche compliquée pour l’instant. Pour pouvoir se retourner vers le Conseil d’État, les éconduits doivent attendre que l’Arcom leur envoie la « notification de rejet de leur candidature ». Or ce document ne sera envoyé qu’en début d’année 2025, une fois que les 15 chaînes choisies (W 9, BFMTV, LCI, TFX mais aussi CNews et CStar) auront signé leur convention, qui liste leurs droits et leurs obligations.

Une phase qui s’annonce tendue puisqu’en montrant ses muscles, l’Arcom s’est remis au centre du jeu, rappelant qu’elle n’est pas juste une chambre d’enregistrement. Les Sages espèrent d’ailleurs en profiter pour remuscler sacrément ces cahiers avec un paquet de nouvelles obligations… L’automne s’annonce donc encore agité.

Le Parisien