Turkish President Recep Tayyip Erdogan, right, and Israel's President Isaac Herzog speak to the media after their talks, in Ankara, Turkey, Wednesday, March 9, 2022. Israeli President Isaac Herzog arrived in Turkey Wednesday for talks with President Recep Tayyip Erdogan, becoming the first leader from Israel to visit in 14 years as the two countries move to turn a new page in their troubled relationship.(AP Photo/Burhan Ozbilici)

Les liens entre la Turquie et Israël pourraient-ils refaçonner la région ?

Un long processus de réconciliation connaît une fin heureuse alors que les « meilleurs ennemis » conviennent d’échanger des ambassadeurs – une démarche potentiellement prometteuse

Après plus de deux ans de progrès sporadiques, la Turquie et Israël ont finalement convenu, mercredi, de remettre en place des relations diplomatiques pleines et entières, quatre ans après l’humiliation infligée à l’ambassadeur de l’État juif par Ankara qui l’avait expulsé de son territoire.

Cette évolution de la situation – attendue par les observateurs dans la mesure où ces derniers étaient déjà convaincus qu’elle arriverait, restait à savoir quand – ne signifie par pour autant que les deux puissances régionales sont en accord sur tout. Et c’est particulièrement le cas s’agissant de la question palestinienne.

Toutefois, cela signifie que les intérêts d’Israël et de la Turquie s’alignent sur des questions importantes, des questions que les deux pays ont bien l’intention d’inscrire de manière positive à l’ordre du jour bilatéral. Et qu’ils ont aussi l’intention de le faire en construisant une relation qui n’est pas susceptible de s’effondrer au premier désaccord.

« Cela montre la capacité des pays à gérer les désaccords et à créer des cadres qui permettront à ces différends d’être discutés sans pour autant détruire la relation bilatérale, comme cela avait pu être le cas dans les années passées », commente Nimrod Goren, président du Mitvim – Institut israélien de politique étrangère régionale, un think tank.

Cette nouvelle relation, combinée aux liens croissants unissant Israël et ses nouveaux partenaires arabes, présente un potentiel de grande envergure pour Jérusalem comme pour Ankara.

Mais elle peut aussi potentiellement redessiner les alliances dans tout le Moyen-Orient alors que la Turquie tente de rebondir après des années d’isolement international.

Des progrès constants sous la houlette de Herzog

Les pays avaient renvoyé leurs ambassadeurs respectifs en 2010 après la prise d’assaut, par les forces israéliennes, d’une flottille qui tentait de briser le blocus maritime à Gaza. Les affrontements survenus à cette occasion avaient fait dix morts du côté turc et un certain nombre de soldats israéliens avaient été grièvement blessés.

Une tentative de rapprochement, en 2016, avait avorté deux ans plus tard quand la Turquie avait rappelé son ambassadeur au sein de l’État juif et qu’elle avait demandé à l’envoyé israélien de quitter le territoire pour protester contre la réponse israélienne aux émeutes qui avaient lieu à ce moment-là sur la frontière avec Gaza, des échauffourées qui avaient fait des dizaines de morts parmi les Palestiniens.

La rupture avait été entamée au plus haut niveau et les leaders israéliens et turcs, à ce moment-là, avaient échangé des critiques amères – Recep Tayyip Erdogan affirmant qu’Israël était un pays « assassin d’enfant » et le Premier ministre de l’époque, Benjamin Netanyahu, accusant Erdogan de tuer des civils kurdes.

Le long parcours qui a finalement débouché sur l’annonce de mercredi avait commencé en 2020, avec l’atterrissage d’un avion El Al en Turquie – une première depuis dix ans – dans le cadre d’une opération visant à rapporter des équipements médicaux en Israël alors que la pandémie de COVID-19 était à son paroxysme.

Dans les mois qui avaient suivi, la Turquie, qui devait faire face à l’isolement régional, à des déboires économiques et à la présence d’un président potentiellement hostile à la Maison Blanche, s’était montrée particulièrement désireuse de changer les choses – davantage, en tout cas, qu’Israël. L’État juif, qui profitait du plaisir de ses liens florissants avec les adversaires de la Turquie et qui insistait sur la nécessité d’avoir des preuves qu’Ankara ne ferait pas brusquement volte-face, s’était contenté d’attendre.

Ce lent processus a pourtant pris une nouvelle tournure l’an dernier, avec un gouvernement au pouvoir en Israël et un président, Isaac Herzog, qui ont assumé un rôle diplomatique actif dans ce rapprochement. Après l’investiture de Herzog à la présidence israélienne, Erdogan s’est fendu d’un appel téléphonique personnel pour le féliciter et les deux hommes ont discuté pendant 40 minutes.

Les deux chefs de l’État se sont régulièrement entretenus depuis – notamment après le décès de la mère d’Herzog, ou quand Erdogan a contracté la COVID, ou encore au moment des violences survenues pendant le Ramadan à Jérusalem. La relation que Herzog a tissée avec Erdogan a été aussi considérée comme déterminante dans la libération d’un couple israélien qui avait été accusé d’espionnage en Turquie et qui avait été placé en détention.

Natali and Mordi Oaknin, an Israeli couple who had been jailed for photographing the Turkish president’s palace, seen after their arrival in their home in Modiin, on November 18, 2021. Photo by Yossi Aloni/Flash90 *** Local Caption ***

Herzog s’est aussi rendu à Ankara, au mois de mars, pour rencontrer Erdogan et il a été accueilli à cette occasion par une garde d’honneur et par l’hymne israélien – une première depuis 2008, quand le Premier ministre de l’époque, Ehud Olmert, s’y était rendu.

Après la préparation du terrain par Herzog était venu le temps des rencontres entre les hauts diplomates. Et cela avait été le moment où le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlut Cavusoglu, un proche d’Erdogan, avait rencontré son homologue Yair Lapid au mois de mai. C’était avant que ce dernier – qui a conservé le portefeuille du ministère des Affaires étrangères – devienne le Premier ministre de l’État juif.

Le mois suivant, dans un contexte d’initiatives prises par l’Iran dans le but de commettre des attentats contre des Israéliens en Turquie, Lapid s’était tenu aux côtés de Cavusoglu à Ankara, saluant la coopération sécuritaire entre les deux nations.

Au cours de cette visite, les deux chefs de la diplomatie avaient conclu un accord formalisant un processus graduel qui, à terme, entraînait le retour des ambassadeurs.

Le ministre turc des Affaires étrangères Mevlut Cavusoglu, à droite, et le ministre des Affaires étrangères Yair Lapid s’adressent aux médias après leurs entretiens, à Ankara, en Turquie, le jeudi 23 juin 2022. (Crédit: AP/Burhan Ozbilici).

Et avec les entretiens entre hauts responsables, les ministères avaient commencé à prendre des initiatives tangibles. Au mois de juillet, Israël et la Turquie ont ainsi signé les contours d’un accord portant sur l’aviation civile qui viendrait remplacer l’accord préexistant remontant à 1951. Le ministère de l’Économie a aussi annoncé qu’il rouvrirait le bureau économique israélien à Istanbul, fermé depuis trois ans.

Mais ces progrès constants ont toujours été accompagnés du risque de revers significatifs. Erdogan avait notamment critiqué « l’oppression » des Palestiniens par Israël et les « violations » commises à Jérusalem durant son allocution à l’Assemblée générale des Nations unies, en 2020. L’arrestation étrange des touristes israéliens accusés d’espionnage, au mois de novembre 2021, avait également menacé les avancées réalisées entre les deux pays.

Et ce mois-ci, lors de l’opération Aube à Gaza de trois jours, Erdogan a fustigé l’État juif. « Nous condamnons les actions israéliennes à Gaza », a-t-il déclaré. « Il n’y a aucune excuse au fait de tuer des enfants ».

Mais avec deux parties déterminées, l’une comme l’autre, à faire connaître une issue heureuse au processus de réconciliation, elles ont finalement su traverser ces turbulences avec calme et habileté.

Et avec des raisons convaincantes de le faire.

Un nouveau dialogue stratégique

Dans le sillage des « Printemps arabes » qui avaient terrassé les régimes sunnites dans tout le Moyen-Orient, Erdogan avait commencé à promouvoir un ordre régional ancré dans l’islam radical, apportant son soutien aux Frères musulmans en Égypte et au parti islamiste Ennahda en Tunisie.

Mais les forces autoritaires pro-occidentales avaient riposté dans toute la région et les rivaux de la Turquie s’étaient alliés contre le défi que représentait Ankara dorénavant. Face à un isolement croissant, à de graves difficultés économiques, la Turquie a alors opté pour une voie nouvelle en matière de politique étrangère.

Lors des dix dernières années, Israël était satisfait à l’idée de s’allier aux autres pays opposés à la Turquie et de démontrer sa valeur en tant que partenaire régional.

La Grèce, Chypre, l’Égypte, la Jordanie et les adversaires européens de la Turquie se sont ainsi ralliés à Israël sur la question de la coopération dans l’exploitation du gaz naturel dans le cadre du EastMed Gas Forum. Même si le pipeline que l’alliance avait prévu de construire vers l’Europe ne verra probablement jamais le jour, le groupe a pu ainsi poser les bases pour d’autres types de coopération énergétique.

Israël a aussi forgé les Accords d’Abraham avec les Émirats arabes unis – un autre rival de la Turquie, même s’ils se sont un peu rapprochés – Bahreïn, le Maroc et le pays a continué depuis à élargir ces alliances par des accords. L’Égypte et la Jordanie montrent également, de leur côté, un intérêt croissant face à cette initiative des Accords d’Abraham, et l’administration du président américain Joe Biden a apporté son soutien plein et entier à l’expansion de ce cercle.

En se rapprochant d’Israël, la Turquie espère probablement sortir de l’ombre.

Au-delà de l’isolement diplomatique, la Turquie a désespérément besoin d’investissements étrangers. Le total de ses ressources étrangères nettes a baissé de presque 50 % au cours des cinq dernières années et les investissements étrangers ont chuté de 38 % pendant la même période, alors même que l’économie turque continue à se rétablir des effets de la pandémie. Au mois de mars, l’inflation en Turquie a atteint les 80 %, un pourcentage sans précédent depuis 24 ans.

Une croissance économique durable avait été déterminante dans la popularité d’Erdogan auprès de la classe ouvrière turque lorsqu’il était Premier ministre, et attirer les investissements étrangers est aujourd’hui d’une importance primordiale pour le leader de la Turquie.

Des liens restaurés avec l’État juif sont un signe parfait de normalité, une normalité nécessaire pour apaiser les investisseurs internationaux.

Israël, pour sa part, recherche un moyen d’acheminer son gaz naturel vers l’Europe, en manque désespéré d’énergie. « Les Turcs et les Chypriotes turcs regardent avec chaleur tout type de gazoduc », confie Yusuf Erim, analyste de la Turquie au TRT World, au Times of Israel.

Jérusalem veut aussi ardemment élargir les relations sécuritaires avec tous les pays inquiets des activités de l’Iran dans la région, et souhaite aussi voir ses compagnies aériennes pouvoir à nouveau mieux croquer dans le gâteau lucratif des transports aériens entre les pays.

La restauration des liens aura une résonance supplémentaire dans la région.

« Une fois que les ambassadeurs auront fait leur retour, cela ouvrira la porte à la reprise d’un dialogue stratégique entre les parties », souligne Goren.

Alors que les États-Unis réduisent leur influence au Moyen-Orient, d’autres puissances remplissent le vide laissé par Washington – et toutes ne font pas preuve d’amitié à l’égard d’Israël. Des relations stratégiques plus proches avec la Turquie sont susceptibles d’aider l’État juif à refaçonner un Moyen-Orient plus favorable, ou tout du moins moins menaçant.

Un char de Tsahal à un avant-poste militaire surplombant la Syrie près de la frontière israélienne dans le plateau du Golan, le 23 mai 2022. (Crédit : Michael Giladi/Flash90)

La Syrie, un pays situé sur la frontière d’Israël où la Russie et l’Iran jouent un rôle déterminant, représente depuis longtemps une grande menace pour l’État juif. Mais la Turquie a également de l’influence sur le territoire syrien et elle voudrait voir une présence iranienne réduite dans un pays où elle a mené des opérations majeures, ces dernières années.

« Je pense qu’il y a une grande marge de coopération entre les deux pays sur la Syrie », explique Erim. « Ils veulent tous les deux la même chose ».

La Turquie a aussi essayé de réparer ses liens avec l’Égypte, mais Le Caire reste prudent face au soutien apporté aux Frères musulmans par Ankara. Israël pourrait jouer un rôle important dans ce processus de réconciliation.

Même si la Turquie et Israël pourraient bien élargir la coopération au Moyen-Orient, il ne faut pas que cette coopération vienne nuire aux relations étroites entretenues par l’État juif avec la Grèce et avec Chypre. Le rapprochement, en 2016, entre Israël et la Turquie n’a pas fait obstacle aux liens avec les adversaires méditerranéens d’Ankara, et cela ne devrait pas être davantage le cas aujourd’hui.

Le triangle des « meilleurs ennemis »

Une relation importante entre Israël, la Turquie et les Émirats arabes unis pourrait également émerger.

« La Turquie est le meilleur ennemi d’Israël et des EAU », commente Moran Zaga, expert des pays du Golfe au sein de l’université de Haïfa. « C’est un tampon entre les pays considérés comme modérés et les pays considérés comme radicaux dans leur politique et dans leur politique étrangère. Les relations avec la Turquie déterminent la stabilité régionale de nombreuses façons ».

Abu Dhabi’s Crown Prince Sheikh Mohammed bin Zayed Al Nahyan looks on as he attends a signing ceremony with Turkish President Recep Tayyip Erdogan regarding the agreements between the two countries at the Presidential Complex in Ankara, on November 24, 2021. (Photo by Adem ALTAN / AFP)

 

Alors que les Émirats cherchent la stabilité afin de pouvoir continuer à se positionner comme un pôle commercial et d’investissement mondial, et alors que les Émiratis anticipent la signature d’un accord entre les États-Unis et l’Iran, Abou Dhabi souhaite enterrer la hache de guerre avec les puissances régionales et notamment avec son principal adversaire, la Turquie.

Mohamed Bin Zayed, prince héritier puissant des EAU à ce moment-là, s’est envolé en Turquie au mois de novembre pour y rencontrer Erdogan. Après leur entretien, les deux pays ont signé des accords à hauteur de milliards de dollars dans les secteurs du commerce, de l’énergie, de la technologie, de la banque et des investissements.

« La Turquie est une économie massive », explique Zaga, « et cette relation en triangle pourrait bien entraîner des résultats majeurs dans la région ».

Source : fr.timesofisrael.com

 

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Moses

Tant qu’il y a Erdogan, grande méfiance ! N’oublions pas qu’il est islamiste et que tôt ou tard cela ressortira. Donc il ne faut lui céder aucune facilité qui ne soit pas irréversible.