La revanche des séfarades en Israël

    Il existe plusieurs méthodes pour analyser les résultats des élections de novembre 2022 mais une certitude, les gagnants ne sont pas les partis de Droite et les perdants ne sont pas la Gauche. Les élections ont acté la victoire des Séfarades, longtemps écartés des postes importants politiques et de la gouvernance en Israël. Les Travaillistes historiques, qui ont dirigé le pays depuis sa création jusqu’en 1977, ont pratiquement sacrifié deux générations de Séfarades transformées en hommes de peine ou en chair à canon. Une fois épuisé le débat entre religieux et laïcs, entre Juifs et Arabes d’Israël, entre Israéliens et Palestiniens, les tensions entre Séfarades et Ashkénazes vont réapparaitre alors qu’on les croyait apaisées avec le temps.

 Au niveau des élites et des classes défavorisées, le rapport entre appartenance de classe et appartenance ethnique demeure étroit, parmi les classes moyennes, qui forment l’essentiel de la population juive en Israël, mais le problème reste entier. Une certitude, les Ashkénazes et les Séfarades sont tous fondamentalement des Juifs au sens halakhique. Cependant, bien qu’ils soient issus du même peuple, des différences géographiques et culturelles parfois importantes les distinguent. Avec l’immigration juive russe de masse depuis les années 1990, les Juifs ashkénazes sont à présent sensiblement plus nombreux que les Juifs séfarades en Israël.

La disparité géographique explique les différences entre Ashkénazes et Séfarades. Par leur éloignement, ces deux communautés ont développé des particularités qui ont fini par faire partie intégrante de leur identité. Originellement, les Séfarades sont les Juifs qui ont dû quitter l’Espagne et le Portugal à la fin du XVe siècle après la décision des autorités chrétiennes de Grenade de les expulser. L’Espagne a longtemps été le théâtre d’une lutte entre musulmans et chrétiens. La prise de Grenade correspond notamment à la fin de la Reconquista chrétienne face aux musulmans, qui quittent alors le territoire européen. Les Séfarades ont donc élaboré une culture qui emprunte à ces deux régimes dominants.

Les Ashkénazes se situent davantage en Europe de l’Est, notamment en Allemagne, Pologne et Russie. Le nom même de cette communauté provient de la région vers laquelle une partie des Juifs migre peu à peu à partir du Ier siècle. En effet, ils s’établissent dans le nord-est de la France nommée Tsarfat, et en Rhénanie appelée Ashkenaz. Cette dernière dénomination finit par s’appliquer à l’ensemble des Juifs de la Rhénanie et régions voisines.

Avec une liturgie différente, l’étude des Talmuds occupe une place majeure dans l’érudition juive. Les Séfarades se concentrent clairement sur le Talmud de Babylone, tandis que les Ashkénazes suivent aussi le Talmud de Jérusalem et les commandements des sages de Tibériade, notamment au niveau culturel. Les chants et prières employés dans la liturgie sont donc différents d’une communauté à l’autre. Cependant, ces variations, bien que présentes, ne sont pas considérées comme majeures.

L’éloignement géographique et le voisinage de peuples différents ont conduit Ashkénazes et Séfarades à se distinguer d’une part par leur langue mais de plus en plus par leur culture plus que par leur liturgie. Les Ashkénazes parlent en majorité le yiddish, qui prend pour base le haut allemand médiéval et y ajoute de l’hébreu, du polonais et du russe. Quant aux Séfarades, ils parlent le judéo-espagnol, langue logiquement empruntée à l’espagnol et à laquelle viennent se greffer des mots hébreux.

Les chants, les arts et la nourriture ont des différences culturelles importantes. Les Ashkénazes et Séfarades ont évolué dans des milieux de vie différents ce qui les a conduits à développer des spécificités culturelles fortes. Chez les Séfarades, les plats sont ainsi largement liés à la mer tandis que les Ashkénazes ont des plats plus roboratifs. Les différences se retrouvent également au niveau de l’art musical. Dans les chants, la langue rend les disparités frappantes, mais le style musical est également très influencé par l’Espagne chez les Séfarades, et par le Moyen-Orient chez les Ashkénazes, où on pratique le klezmer. Les Séfarades mettent le chant en avant, tandis que c’est l’instrument qui prime chez les Ashkénazes.

La révolution séfarade en Israël avait commencé en 1971 avec le mouvement israélien des Black Panthers qui avaient protesté contre le statut inférieur des Juifs orientaux. Les Panthères noires ont été fondées par des figures de la deuxième génération des immigrants originaires du Maroc comme Saadia Marciano et Réouven Abergel. Cette révolte débuta en 1971 à Mosrara, à Jérusalem, en réaction aux discriminations pratiquées par les gouvernements israéliens de gauche. Le gouvernement travailliste n’a pas été tendre avec les dirigeants du mouvement alors que des dizaines de milliers de personnes descendirent dans les rues en mai 1971 pour réagir contre la répression policière ; 170 militants furent alors arrêtés et les affrontements firent 35 blessés parmi les manifestants. La contestation a été matée durement.

Les injustices dont étaient victimes les Juifs orientaux étaient flagrantes. Les fondateurs du mouvement des Black Panthers protestaient contre le refus de l’establishment de reconnaître le caractère ethnique de certaines formes d’inégalité sociale. Au sujet des discriminations à l’égard des Juifs orientaux, en matière d’attribution d’emplois, de logement, de lieux d’installation des nouveaux immigrants envoyés souvent dans le désert du Néguev, de salaire, de représentation politique, dans le domaine culturel, l’attitude de l’establishment ashkénaze était bien plus favorable vis-à-vis des immigrants (olim) originaires des pays européens. Une seule exception, Tsahal avait donné toutes les chances aux séfarades avec la preuve de la nomination de Gadi Eizenkot, d’origine marocaine, au poste de chef d’État-major.

Menahem Begin avait compris qu’il devait s’appuyer sur les Orientaux pour remplacer les Travaillistes et prendre le pouvoir. Il a certes offert quelques postes importants à une poignée de Séfarades dans une sorte d’alibi, par exemple le poste de ministre des Affaires étrangères au maçon David Levy. Mais leur influence restait faible en dehors du parti Likoud. Après les résultats des élections du 1er novembre 2022, la victoire est surtout celle des Séfarades sur l’intelligentsia ashkénaze.

D’abord le parti Shass des religieux orthodoxes séfarades dépasse largement ceux des ashkénazes avec 11 sièges contre 7. Shass a longtemps émargé à la limite du seuil électoral. Itamar Ben Gvir, d’origine irakienne, s’est imposé face aux religieux sionistes de Bezalel Smotrich. Il atteste de la victoire séfarade à l’extrême-droite. Les Séfarades ont investi le Likoud, faisant de lui le parti des Marocains avec la volonté d’investir tous les hauts postes. Quelques noms en tête de la liste des députés attestent de l’émancipation séfarade : Elie Cohen, David Amsalem, Amir Ohana, Miri Regev, Miki Zohar, David Bitan, Eliahou Revivo, les originaires de Tunisie Amichai Chikli et Boaz Bismuth. Bref la liste est longue pour constater le «grand remplacement».

Dans certains domaines, les Séfarades sont très en minorité et ils ont beaucoup à rattraper leur retard. D’abord dans les médias où les grands noms sont ashkénazes, à l’exception peut-être de la nouvelle chaine de télévision 14. Dans les entreprises privées et d’État, les dirigeants séfarades sont exception. Enfin dans la Justice où l’écart est important.  Il a fallu attendre 2022 pour qu’une juive séfarade soit nommée à la Cour suprême. Cela explique peut-être que Dodi Amsalem se voit pousser des ailes en exigeant un des plus hauts postes régaliens : «Si je ne suis pas ministre de la Justice, je m’en prends au leadership de Netanyahou». À ce jour, aucun militant marocain n’aurait osé cette exigence sans être renvoyé à ses chères études. Bref la constitution du nouveau gouvernement attestera de l’avancée séfarade ou non dans les institutions politiques de l’Etat.

Source : benillouche.blogspot.com

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Hamec Deschamps

La majorité des sépharadym parlent un judéo-arabe plus ou moins lié au pays musulman d’origine, et non le judéo-espagnol ! Vous oubliez que tous ne viennent pas d’Espagne mais aussi des pays du Moyen-Orient, voire plus loin, Azerbaijan, Iran, etc …. !

Ratfucker

Pourquoi les ultra religieux sépharades s’affublent-ils d’un accoutrement polonais du 18ème siècle?