Il y a aujourd’hui plus de 67500 personnes incarcérées dans les prisons françaises. Mineurs et femmes sont en minorité. Les maisons d’arrêt concentrent les petites peines (moins de deux ans), les maisons centrales abritent les plus lourdes (de dix ans à perpétuité). C’est dans les premières, que l’incarcération est la plus pénible, alors que les autres détenus sont mieux traités, vivant, seuls, dans une cellule.
Les médias font état de l’importante surpopulation carcérale, de la présence de malades mentaux qui n’ont rien à faire en prison. Mais le grand intérêt de la fracassante enquête du sociologue Farhad Khosrokhavar, éminent spécialiste de l’islamisme, est de mettre les pieds dans le plat, d’ouvrir la prison à ses lecteurs, en évitant langue de bois et préjugés.
Une poudrière en devenir
L’univers carcéral est une zone de non-droit, non qu’il échappe aux règlements, mais du fait que ces derniers y sont constamment contournés, négociés et que, finalement, la force règne et l’emporte. C’est le cas entre surveillants et détenus. Les premiers se plaignent de voir leur autorité bafouée, de manquer du respect minimal et d’exercer le dernier des métiers, surtout les jeunes. Alternant soumission et protestation, un détenu peut obtenir beaucoup: une cigarette, une douche supplémentaire, éviter l’humiliation de la fouille intime, gagner quelques minutes de plus au parloir…
Mais cet essai met en évidence les tensions qui sont en train de transformer la prison en poudrière. Les « petits Blancs » sont devenus une minorité qui se vit dans une relation conflictuelle avec les détenus musulmans, majoritaires. Ils se sentent l’objet d’un racisme inversé, habités par une véritable conscience de l’exil, la certitude d’être déracinés en Ile-de-France. Leurs propos, recueillis par le sociologue, en font foi; il y a une hostilité croissante vis-à-vis de détenus musulmans qui affirment leur identité et dont les « Gaulois » minoritaires supportent mal la culture de banlieue.
Au coeur de Prisons de France se pose surtout la question cruellement actuelle de la radicalisation. Les musulmans forment entre 40% et 60% de la population carcérale (1). Dans le cadre porteur d’un islam qui reprend de la force, on peut distinguer trois types de religiosité. Il y a des délinquants musulmans pour lesquels l’islam n’a rien à voir avec la morale, la pratique faisant bon ménage avec les braquages ou les vols. Pour un sujet plus exigeant, un nouveau converti (born again) qui adopte un « islam éthique », la récente croyance apaise et dissuade de commettre des actes délictueux et peut éloigner de la toxicomanie.
Une minorité salafiste influente
Le plus dangereux, c’est la religiosité du troisième type, l’islam djihadiste qui vit dans un monde binaire. La terre d’Islam, inviolable et sacrée, et celle des « mécréants », où tout est permis, voire encouragé et prêché: délits, vols et meurtres. Comme dans le totalitarisme, il faut hâter, par tous les moyens possibles, la chute d’une société vermoulue, dévorée par l’impiété.
Parmi les détenus musulmans, pratiquants ou non, c’est la minorité salafiste qui est la plus active, fanatique ou simplement piétiste. Ceux qui ont rompu avec l' »islam olé olé », comme le précise un détenu qui est revenu à la rigueur archaïque de sa religion. Discussions sur ce qui est halal, apprentissage de l’arabe, prières collectives, imitation de la vie du Prophète; même un nombre croissant de « Gaulois » égarés en quête de sens se convertissent.

Prière musulmane en prison, ici à Fleury-Mérogis.
AFP PHOTO/MEHDI FEDOUACH
Cette radicalisation suit, toujours, le même chemin: sentiment d’exclusion, réel ou supposé, victimisation, haine de soi et de l’autre, qui se dénoue dans l’islamisme et trouve son achèvement dans la figure du « héros négatif », le candidat djihadiste.
Rivalités ethniques
Si la radicalisation ne se produit pas toujours en prison, le chercheur livre quelques portraits de convertis très aguerris, à jamais irréconciliables avec les principes du fondement de nos sociétés. Ghassan, le détenu radicalisé qui aspire au martyre, Khaled qui fait de la dissimulation le meilleur moyen pour frapper l’impie au cœur, Hassan, la faible proie psychologique idéale pour l’ensorcellement » islamiste.
Cette prison travaillée par une intense ethnicité est en train de devenir une poudrière. Surveillants antillais méprisant les Noirs africains, Noirs et Maghrébins des cités contre « autochtones », mépris interethnique des gardiens; seul l’islam fonctionne, pour beaucoup, comme une solide référence commune, au-delà de la religion.
Si la prison n’est pas près de disparaître, on peut vraiment craindre, malgré toutes les places construites, qu’elle ne devienne un lieu extrême d’affrontement, préfigurant le pire.
(1) En l’absence de statistiques légales, l’administration pénitentiaire s’appuie sur les inscriptions au ramadan.
Prisons de France: Violence, radicalisation, déshumanisation. Quand surveillants et détenus parlent par Farhad Khosrokhavar, 752p., Robert Laffont, 23,50€;
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