Une fois son pays libéré du joug des sanctions économiques, Hassan Rohani a paradé en fanfare cette semaine à Rome et à Paris, où le président iranien nouvellement plébiscité, a été accueilli comme une star du cinéma et un fils prodige.

Le Premier ministre italien Matteo Renzi et le président français François Hollande n’ont pas pu cacher leur impatience à faire affaire avec la République islamique, et même le pape François s’est fendu d’un empressement tout œcuménique vantant la fraternité entre les grandes religions monothéistes.

Pourtant, alors que tout semble augurer d’un renouveau économique, s’il en veut cueillir les fruits, Rouhani n’aura pas d’autre choix que de relever un certain nombre de défis, qui remettront en question le socle même de l’économie iranienne, fondée sur l’autel de la sacro-sainte révolution islamiste.

L’état des lieux du pays indique un état de déliquescence avancé ; la population a doublé depuis la révolution de 1979, alors que ses infrastructure et son l’industrie sont vétustes, ses marchés financiers, du travail et du logement exsangues et son gouvernement omniprésent corrompu jusqu’à la moelle. L’inflation est estimée à 16%, tandis qu’au moins un tiers des jeunes adultes instruits sont sans emploi. De fait, tabler sur la levée des sanctions en espérant en tirer une relance salutaire de son économie, relève du fantasme. Certes, plus de 100 milliards de dollars de fonds gelés ont été libérés, une somme qui serait une bouffée d’oxygène certaine pour des économies plus puissantes et surtout plus saines. Les bénéfices de la limitation de la vente du pétrole et du gaz revues à la hausse, se comptera bientôt en pétrodollars à Téhéran. Et les contrats juteux comme celui à hauteur de 18 milliards, justement conclu entre hommes d’affaires iraniens et italiens à Rome cette semaine, vont se multiplier. Alors que les entreprises américaines reste physiquement éloignées et politiquement sceptiques, les entreprises européennes elles, proches géographiquement, politiquement et commercialement, sont euphoriques et trépignent déjà à la frontière persane, leur nouvel El Dorado tout désigné. Les entreprises européennes impatientes de construire les routes, les ponts, les aéroports et les hôtels pour répondre à la demande de l’économie iranienne, vont être prompts à inonder la République islamique de voitures rutilantes, vêtements modernes et aliments de qualité, dont rêvent des millions d’Iraniens.

La Chine, l’Inde, la Corée et le Japon, contrairement à l’Europe, ont soif eux, de l’or noir iranien, mais se retrouveront au coude à coude en concurrence avec les Européens, avides de profiter du pouvoir d’achat des ménages iraniens, tablant bien sûr, sur une reprise rapide.

Pourtant, ils devront vite déchanter. Le revenu de l’Iran c’est une chose, celui du ménage iranien en est une autre. Une économie post-islamiste sera précédée, comme ce fut le cas en Chine post-communiste, par une épreuve de force, opposant les tenants d’une politique économique pragmatique, aux mandarins, idéologues et autres aventuriers et voyous de l’arrière garde du régime.

La fin de la suprématie de l’or noir

L’impitoyable loi du marché ne fera pas grâce à l’Iran et la période post-sanctions n’épargnera pas le régime. Ces deux dernières années ont gravement secoué les marchés des énergies fossiles, et le bilan de ces économies basées sur ces sources de revenus, sont catastrophiques, pour l’Arabie Saoudite bien sûr, mais pour l’Iran il est pire encore. Alors que l’économie iranienne est au plus bas, le prix du baril a chuté à 30 dollars et même à un moment donné cette semaine, à 27 dollars. Point n’est besoin d’être un brillant économiste pour comprendre que la révolution de Khomeyni, dont l’économie reposait entièrement sur cette manne comme source exclusive des revenus du pays, est devenue sur le long terme, totalement obsolète.

L’Iran n’échappera pas à la privatisation de nombre de biens de l’Etat, plutôt que de procéder à leur vente à des acheteurs semi-gouvernementaux, comme ce fut le cas ces dix dernières années. Le pays sera contraint de déréglementer ses marchés financiers pour libérer sa banque centrale, remettre sa monnaie à flot, mesures qui se verront accompagnées d’une baisse drastique des subventions, amorcée avec Mahmoud Ahmadinejad. Et surtout, les mollahs devont encourager l’entrée et le flux des capitaux étrangers, se résoudre à l’implantation d’entreprises internationales qui engageront des millions de travailleurs bon marché non qualifiés, et observeront impuissants la migration des populations des villages vers les villes. La transition économique engendrera un électro choc national qui menacera inévitablement l’ordre social imposé par la révolution islamique.

A l’heure où son économie a soif de nouveaux revenus, induisant diversification et déréglementation, le régime devra décider s’il est prêt ou non à renforcer les classes moyennes urbaines, et pire encore, à permettre l’émergence d’une ploutocratie. Ces classes montantes, religieusement cyniques et politiquement agitées, auront tendance à l’ouverture culturelle.

En bref, la révolution iranienne a fait son temps. Elle a atteint le point de non-retour où la nécessité immédiate faisant force de loi, elle entre inévitablement en conflit avec les valeurs de la révolution et les potentats qui défendent leurs privilèges.

Idéologiquement, cela signifie que devant l’importation effrénée des biens de consommation comme les cosmétiques, les ordinateurs et les produits de luxe, le régime devra faire face à une pression croissante pour se débarrasser de son conservatisme religieux. Politiquement, cela signifie qu’une classe marchande accèdera à un nouveau pouvoir d’achat et une élite financière méritocratique menacera le poids économique des Gardiens de la Révolution.

Fondée il y a une génération et forte de quelques 100.000 anciens combattants, cette organisation est depuis devenue un conglomérat de privilégiés qui étend son monopole tentaculaire sur les entreprises et les forces vives du pays, exerçant son pouvoir à force de copinage et de favoritisme, et faisant main basse sur les dividendes de l’économie iranienne qui s’élèvent à plusieurs milliards de dollars.

Les Gardiens de la révolution contrôlent les principaux piliers économiques du pays comme la National Iranian Oil Company, et ont un intérêt direct à la préservation de l’ordre existant. Il verront donc toute tentative d’émancipation comme sonnant le glas de leur monopole et une menace directe pour leur survie.

Une politique extérieure exorbitante

Pendant ce temps, les esprits pragmatiques, occupés à la relance économique du pays, pointeront le prix exorbitant de l’aventurisme militaire et la tentation hégémonique des mollahs, le coût saignant de l’envoie de l’élite révolutionnaire à l’étranger, et les risquent qu’ils font ainsi peser sur la santé économique du pays.

L’ingérence de l’Iran à l’étranger est diplomatiquement et financièrement coûteuse. Il y a deux ans, par exemple, pour soutenir le gouvernement Syrien, Téhéran a accordé un crédit de 3.6 milliards de dollars à Assad, pour assurer ses besoins en pétrole, et un autre milliard de dollars lui permettant d’acheter des produits de consommation iraniens. Il y a de forte chances pour que la Syrie ne soit plus en mesure d’honorer sa dette à des conditions financièrement raisonnables. Ces sommes, cependant, font maintenant cruellement défaut à l’économie iranienne.

Les chiffres officiels qui correspondent à l’aide étrangère iranienne ne sont pas disponibles, mais il est clair que cette ingérence, révélée en son temps par les autorités syriennes, représente un effort qui se chiffre à plusieurs milliards, qui comprend le financement du Hezbollah et le soutien inconditionnel aux insurgés Houthi au Yémen.

Le financement du Hezbollah, qui, avant la guerre civile syrienne était estimé au minimum à 60 millions de dollars par an, a depuis fortement augmenté. L’envoi de troupes en Syrie à diverses étapes de la guerre, a même à un moment donné, a atteint les 10 000 combattants a également été fort coûteuse.

Il va sans dire que l’armée n’attendra pas la relance pour exiger sa part en pétrodollars fraîchement encaissés, pour remplacer son matériel désuet. Ce processus de modernisation a déjà commencé l’été dernier, lorsque l’Iran a passé une commande de 21 milliards de dollars à la Russie. Ces dépenses somptuaires qui se font aux dépends du niveau de vie de l’iranien moyen, finiront par interpeller une classe moyenne de plus en plus impatiente qui se demandera : mais à qui donc profite mon baril de pétrole?

Les dirigeants iraniens ont pu entrevoir leur possible avenir vendredi dernier, lors de la visite éclair du dirigeant chinois Xi Jinping à Téhéran, au cours de laquelle il a produit un communiqué conjoint avec Rouhani, déclarant que leurs deux pays avaient conclu une alliance stratégique.

La vision de cet avenir ne réside pas dans cette alliance même, mais plus prosaïquement dans la tenue vestimentaire du président et son état d’esprit. Il n’y a encore pas si longtemps, les dirigeants chinois en chœur avec l’Iran révolutionnaire, apparaissaient également en public dans l’accoutrement traditionnel, l’un de sa révolution culturelle, l’autre de celui de sa révolution islamique. Dans un ensemble parfait ils tournaient systématiquement en dérision la civilisation occidentale en général, et le capitalisme plus particulièrement. Ils prodiguaient généreusement leur aide aux ennemis de l’Amérique, de Cuba et du Vietnam de Pol Pot et du Cambodge. Aujourd’hui, les dirigeants chinois portent des costumes Pierre Cardin, arborent des montres Rolex à leur poignet, tout en étendant leur empire sur les marchés boursiers, développant des usines privées, des écoles de commerce qui s’exercent à la compétitivité et des centres commerciaux fastueux.

Deng Xiaoping, l’homme qui a mené cette transition d’une main de maître, n’a jamais été vu en tenue occidentale, mais c’est pourtant lui qui a taillé les costumes sur mesure de ses successeurs. En route pour la transition économique de l’empire du levant, lui et sa cause ont combattu sans pitié les mandarins des inféodés au petit livre rouge, dirigés par la veuve de Mao Zedong. Il a fallu leur livrer une lutte sans merci pour que la victoire de Deng soit complète. Voilà ce que les mollahs iraniens ont pu voir la semaine dernière.

Le miracle Chinois se répétera-t-il en Iran ? Pour l’heure c’est encore hypothétique. Mais les conditions pour une transition réussie sur le modèle chinois sont maintenant en place, tandis que tous les protagonistes concernés, évaluent leur rôle, leur possible victoire ou leur inévitable défaite, dans l’ultime épreuve de force impossible à contenir, qui tôt ou tard se jouera sur l’échiquier persan.

 AMOTZ ASA-EL

Jérusalem Post French – traduction adaptation Kathie kriegel

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