«Prise en étau entre Jean-Luc Mélenchon et le RN, la macronie ne peut plus invoquer le “front républicain”»

Le premier tour des législatives a été marqué par une forte montée de la Nupes, désormais au coude-à-coude avec la majorité présidentielle. Pour le chroniqueur David Desgouilles, en ne faisant pas campagne, le président a été pris à son propre jeu.

David Desgouilles est chroniqueur à Marianne. Il a publié Dérapage (éd. du Rocher, 2017) et Leurs guerres perdues, (éd. du Rocher, 2019).

La Nupes et Ensemble! sont au coude-à-coude. Est-ce une défaite pour Emmanuel Macron ?

David DESGOUILLES. – Le président de la République a été un peu pris à son propre jeu. Il imaginait que la stratégie de non-campagne qui lui avait réussi à la présidentielle pouvait se rééditer aux élections législatives. Il a sciemment fait traîner la composition du gouvernement afin de maintenir les feux de l’actualité sur un autre sujet que la campagne électorale. Ce n’est que dans les derniers jours, en découvrant les derniers sondages, qu’il s’est rendu compte que son électorat ne se mobiliserait pas nécessairement. Or, depuis que le quinquennat a été instauré, c’est habituellement le cas. Ainsi, le président a parfois laissé son électorat âgé se laisser séduire par des alternatives Les Républicains, notamment quand les candidats semblaient compatibles avec son centrisme et surtout lorsqu’ils étaient sortants. Il faut se rendre à l’évidence, la photo d’Emmanuel Macron à côté du candidat sur une affiche ne suffit plus, comme en 2017, à faire élire un inconnu. Nous ne saurons que dans une semaine si le président n’obtient pas la majorité absolue, ce serait alors une défaite personnelle.

Le diable à géométrie variable, ce n’est plus vraiment un diable. Dès lors, occupé à monter des barrages de tous les côtés, ces derniers ne seront guère solides et vont laisser passer de l’eau. David Desgouilles

Plusieurs figures de la majorité présidentielle ont affirmé qu’elles ne donneraient pas de consignes de vote en cas de duels entre la Nupes et le Rassemblement national. Ces élections signent-elles la fin du Front républicain ?

Il est aisé de construire un barrage lors d’un entre-deux-tours si on est en présence d’une seule configuration. C’était par exemple le cas lors des élections régionales ou à la dernière présidentielle, quand il n’y avait qu’un seul «danger» à désigner, le Rassemblement national. En avril dernier, Emmanuel Macron avait ainsi tenté de séduire les électeurs de Jean-Luc Mélenchon, paré alors de toutes les vertus de démocratie et de générosité, face au Rassemblement national décrit en diable.

Mais cette fois-ci, on peut avoir, et parfois dans des circonscriptions voisines, trois configurations différentes: l’opposition classique avec le Rassemblement national où il faut à nouveau attirer à soi les électeurs de la gauche, l’opposition au candidat de la Nupes où il faut attirer des électeurs du Rassemblement national, et enfin la situation où on doit donner son avis sur une confrontation Rassemblement national-Nupes. Les électeurs ont des yeux et des oreilles. Si dans une même ville un électeur Rassemblement national est considéré comme le diable à l’est du fleuve et comme l’objet de toutes les attentions à l’ouest, il va avoir surtout le sentiment d’être pris pour un imbécile. Pareil pour l’électeur Nupes.

Le diable à géométrie variable, ce n’est plus vraiment un diable. Dès lors, occupés à monter des barrages de tous les côtés, ces derniers ne seront guère solides et vont laisser passer de l’eau.

Quel regard portez-vous sur la stratégie d’Ensemble! de renvoyer dos à dos les deux extrêmes ?

Comme nous venons de l’évoquer, ce n’est pas aussi simple que cela. Certains ont une préférence pour les candidats de la Nupes qui sont «moins pires». C’est le cas d’Élisabeth Borne et de Clément Beaune. Amélie de Montchalin aurait en revanche tendance à renvoyer dos à dos Nupes et Rassemblement national. Mais les deux stratégies ne sont satisfaisantes ni l’une ni l’autre. En effet, pour être élu contre le bloc dirigé par Mélenchon, il faut des voix lepénistes, et pour être élu contre le bloc dirigé par Marine Le Pen, il faut des voix de la Nupes. La position centrale, qui a longtemps été un avantage pour la macronie devient, en l’occurrence, un handicap. Il y a aussi la tentation du «cas par cas» mais c’est assez illisible sur le terrain.

Le Rassemblement national devrait malgré tout être bien plus présent au parlement cette fois. Il est en tête dans plus de cent circonscriptions ce qui n’était jamais encore arrivé. David Desgouilles

Les classes populaires ont peu voté lors de ce premier tour des législatives. Comment l’expliquer ?

Les classes populaires ne se mobilisent plus vraiment que lors de l’élection présidentielle et cela depuis quelques années même si cela va en empirant. Ainsi, le Rassemblement national dont les ouvriers et les employés constituent l’essentiel de son socle sociologique, est handicapé lors des élections locales et les élections législatives. On peut l’expliquer par deux raisons: largement eurosceptiques, elles ont identifié le président de la République comme celui disposant seul des «clefs du camion» (dissuasion nucléaire, possibilité de parler d’égal à égal avec les grands de ce monde, etc.) alors qu’ils ont compris que le travail des députés consistait bien souvent à transposer de la réglementation européenne dans le droit français. Deuxièmement, le Rassemblement national se heurte encore parfois à un problème de ressources humaines sur le terrain. Il motive moins que Marine Le Pen ses électeurs populaires, il ne parvient pas toujours à les mobiliser pour des candidats inconnus et souvent, encore mal préparés, même si c’est beaucoup moins le cas en 2022 qu’en 2017. Reste que le Rassemblement national devrait malgré tout être bien plus présent au parlement cette fois. Il est en tête dans plus de cent circonscriptions ce qui n’était jamais encore arrivé. Et il le doit avant tout aux électeurs populaires qui se sont déplacés hier.

Par Eugénie Boilait  www.lefigaro.fr

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