Hakim El Karoui est normalien, ancien conseiller du premier ministre Jean-Pierre Raffarin, il a été banquier chez Rothschild & Cie avant de devenir consultant. Il est l’auteur de la récente étude de l’Institut Montaigne, «think-tank» d’obédience libérale, intitulée «Un islam français est possible». Éric Zemmour est diplômé de Sciences Po, journaliste, éditorialiste et essayiste. Il a publié de nombreux ouvrages dont Le Suicide français (2014), vendu à plus de 500.000 exemplaires, et récemment Un quinquennat pour rien (tous deux chez Albin Michel). De succès populaires en vives polémiques, rien chez lui ne laisse indifférent.

LE FIGARO. – Islam, islamisme, islam en France, islam de France, islam français… Comment établissez-vous les différences?

Éric ZEMMOUR. – Il n’y a pas de différence entre l’islam et l’islamisme. Depuis l’origine, l’islam n’est pas qu’une religion mais un code juridique, une politique et une idéologie. D’ailleurs, d’un point de vue sémantique, le mot islamisme a été inventé au XVIIIe siècle uniquement pour s’aligner sur les autres religions, christianisme, protestantisme, bouddhisme. L’écrivain algérien Boualem Sansal ne dit pas autre chose lorsqu’il affirme qu’«un islamiste est un musulman impatient». Marx disait bien: «Les hommes font l’histoire mais ne savent pas l’histoire qu’ils font.» On peut également citer le philosophe et historien des religions Rémi Brague, qui relève que tous ceux qui ont voulu confiner l’islam à la religion ont été, en mille ans d’histoire, écrasés et vaincus par ceux que M. El Karoui appelle islamistes ou intégristes. On peut encore convoquer Lévi-Strauss qui dans Tristes tropiques, en 1950, souligne déjà «l’intolérance» de l’islam «en face de la bienveillance universelle du bouddhisme» ou du «désir chrétien du dialogue» et son incapacité à accepter l’autre sans le «réduire à néant». Ou encore le sociologue et théologien Jacques Ellul, qui note en 1989: «L’intégrisme est seulement le réveil de la conscience religieuse musulmane chez des hommes qui sont musulmans mais devenus plus ou moins tièdes. Il faut vivre dans la lune pour croire que l’on pourra intégrer les musulmans pacifiques et non conquérants.»L’islam de France, ou plus généralement les islams nationaux, n’existe pas car l’islam est unique et universel. L’islam français est oxymore, car «islam» veut dire «soumission» tandis que le mot «français» vient de «franc» qui veut dire «libre».

Hakim EL KAROUI. – Il y a, au contraire, une différence fondamentale entre l’islam et l’islamisme. L’islam est une foi et un ensemble de règles de vie, mais ce n’est pas une politique. Contrairement à l’islamisme qui est, comme le communisme, une idéologie, un projet de société! Il y a d’ailleurs un conflit très puissant à l’intérieur du monde musulman entre les musulmans islamistes et les autres musulmans. Et un autre conflit entre la République et les islamistes.

Quant aux différentes formes d’islam, «en France», «de France», «français», elles recouvrent la chronologie de l’immigration dans notre pays. Mais, aujourd’hui, les musulmans sont des citoyens français dans leur très grande majorité, ce ne sont plus des immigrés. La tutelle passée des pays d’origine n’a ni sens ni efficacité. Je plaide donc pour un «islam français»: une organisation du culte définie en France, financée essentiellement par de l’argent français et une interprétation des textes pensée avec les outils critiques et herméneutiques modernes.

Quant à votre discours, Éric Zemmour, c’est exactement celui des islamistes! Eux confondent comme vous islam et islamisme pour faire croire que leur vision de l’islam, c’est l’islam. Vous êtes leur allié objectif, et vice versa. Moi, je n’ai pas rencontré «M. Islam». Par contre, j’ai étudié les musulmans.

Justement, l’étude sur les musulmans de France de l’Ifop pour l’Institut Montaigne a révélé que 28 % des musulmans ont adopté un système de valeurs clairement opposées à celles de la République…

H. E. K. – Parmi l’ensemble des Français et des étrangers de culture et de confession musulmane, qui représentent 5,6 % de la population de plus de 15 ans, on peut distinguer trois groupes, des plus modérés aux plus autoritaires. Primo, la «majorité silencieuse», qui représente 46 % des sondés: leur système de valeurs est en adéquation avec la société française. Secundo, les «conservateurs» mus par l’«islamic pride», soit 25 % de l’échantillon, qui se disent fiers d’être musulmans, qui acceptent la laïcité et rejettent clairement le niqab et la polygamie, tout en revendiquant la possibilité d’exprimer leur appartenance religieuse dans l’espace public (port du voile) et au bureau. Ils sont très pieux et ont largement adopté la norme halal. Tertio, les «autoritaires», soit 28 % de l’ensemble, dont on peut dire qu’ils n’adhèrent pas aux valeurs de la République… et qui sont largement minoritaires. Ils sont souvent jeunes, peu insérés dans l’emploi et vivent dans la banlieue des grandes agglomérations. Ce groupe se définit davantage par l’usage qu’il fait de l’islam pour signifier sa révolte vis-à-vis du reste de la société française que par sa connaissance des textes. Cette minorité se caractérise par un manque de reconnaissance sociale et par une fragilité identitaire. Et il n’y a aucun rapport entre le premier et le troisième groupe. L’islam n’est pas monolithique, comme le prétend Éric Zemmour.

«Votre étude montre tout simplement que l’islam est inassimilable et incompatible avec la France. Hassan II avait dit chez Anne Sinclair :« Les miens ne seront jamais français en dépit de tous les efforts d’intégration que vous ferez.» Éric Zemmour

É. Z. – Le chiffre de 5,6 % de musulmans en France me paraît extrêmement minoré. En outre, je vois une porosité entre les 28 % qui font passer la charia avant la loi de la République et les 25 % que vous qualifiez de conservateurs ou d’«islamic pride». Enfin, 50 % des jeunes sont des «ultras», ce qui révèle un fort potentiel sécessionniste dans la population musulmane en France. Votre étude montre tout simplement que l’islam est inassimilable et incompatible avec la France. Hassan II avait dit chez Anne Sinclair: «Les miens ne seront jamais français en dépit de tous les efforts d’intégration que vous ferez.»

Hakim El Karoui, comment justement réorganiser un islam de France lorsque, selon votre enquête, les musulmans s’identifient davantage à Tariq Ramadan qu’à Dalil Boubakeur?

H. E. K. – En mettant en place une organisation efficace et en mettant en avant des figures pour concurrencer Tariq Ramadan qui n’a pas de rival chez les jeunes aujourd’hui. Quant à l’organisation de l’islam, il faut la changer. Dans la réforme en cours – qui suit le bon chemin -, il y a deux entités. D’une part, la fondation, présidée pour un temps par Jean-Pierre Chevènement, destinée à financer des projets liés à la culture de l’islam. D’autre part, une association cultuelle nationale, sous statut de la loi de 1905, à créer. Je propose que le conseil d’administration de cette association soit composé en majorité de Français de culture et de confession musulmane avec seulement une minorité issue du CFCM. Ce sont de grands chefs d’entreprise, avocats, universitaires, militaires ou encore médecins qui examineront ainsi des demandes de financement. Outre la construction de quelques lieux de culte, l’association professionnalisera la formation, aujourd’hui insuffisante, des imams et financera le travail théologique et d’interprétation des textes. Contrairement à ce que l’on croit, l’islam français est aujourd’hui très pauvre. La France ne compte que 800 imams titulaires pour 2500 lieux de culte. Les 1700 offices non pourvus sont tenus par des imams occasionnels, payés au lance-pierre.

Quant au sujet des ressources, celles-ci doivent être essentiellement françaises. Les financements étrangers légaux n’iront plus directement aux mosquées liées aux pays d’origine mais dans l’association nationale. Elle pourrait aussi collecter les dons des fidèles à la sortie des mosquées et lors du ramadan ainsi qu’une redevance sur les billets d’avion pour le pèlerinage à La Mecque. Et puis surtout il faut instaurer une redevance sur le marché du halal qui représente 5 à 6 milliards d’euros. C’est possible si la volonté politique est là et si l’association nationale est gérée par des personnalités indépendantes.

É. Z. – Cela ne marchera pas car vous ne voulez pas admettre que la francisation de l’islam passe par un renoncement à une partie du dogme coranique. Vous êtes condamné à faire de l’institutionnel, de l’organisationnel et à subir le rejet des musulmans, notamment les jeunes, qui ne voudront pas d’une mainmise de l’État. En 1806, sous Napoléon, les juifs contrairement aux musulmans ont dû abandonner une partie de leur dogme pour devenir français, sans renoncer pour autant à leur judaïsme. Ils se sont soumis à la volonté de l’Empereur de donner des prénoms français à leurs enfants. Les musulmans devraient renoncer à la partie la plus belliqueuse du Coran. S’il y avait des déclarations solennelles de nombreux représentants de l’islam de France allant dans ce sens, ce serait déjà une évolution considérable. Mais cela est rendu impossible par le caractère «incréé» du Coran qui interdit toute interprétation et toute contextualisation des injonctions divines. Chevènement, lorsqu’il était ministre de l’Intérieur, avait demandé une renonciation à la règle de condamnation à mort pour apostasie et il ne l’a jamais obtenue.

Hakim El Karoui, pourquoi proposez-vous d’instaurer des cours d’arabe dans l’enseignement public?

H. E. K. – Il s’agit d’enseigner l’arabe en LV2, à partir de la quatrième, comme le portugais ou l’espagnol. Pourquoi? Parce qu’aujourd’hui 8000 enfants apprennent l’arabe dans le secondaire alors qu’ils sont entre 80.000 et 100.000 dans les mosquées. En n’offrant pas de cours d’arabe à l’école publique, la République envoie ses enfants dans les mosquées! La plupart sont respectables mais toutes enseignent l’arabe avec des manuels des pays d’origine qui n’ont pas les mêmes valeurs que nous. Il y a aussi une raison positive: quand on apprend l’arabe – comme le portugais ou le breton -, on a accès à l’histoire et à la culture. Moi, je crois en la connaissance. Je crois en l’école publique qui est le lieu de l’ouverture de l’esprit et de l’esprit critique, des outils essentiels face à l’ignorance diffusée par les islamistes.

É. Z. – L’«importance», que vous pointez, de la demande de la langue arabe est très significative. Elle reflète la non-demande de français. C’est la première fois, depuis 150 ans, dans l’histoire de l’immigration en France, que des immigrés ou des personnes issues de l’immigration veulent retrouver leur langue au lieu de l’abandonner pour la langue du pays d’accueil. C’était le contraire pour les Espagnols, Polonais et Italiens qui voyaient là une façon de pouvoir mieux s’assimiler à la France, à sa culture et à son génie. L’assimilation commence par la compréhension et la maîtrise de la langue du pays d’accueil. L’arabe est en effet une très belle langue poétique et musicale mais, comme le rappelle le linguiste Alain Bentolila, «l’arabe n’est pas la langue de l’esprit critique». L’arabe est une langue sacrée qu’on apprend par cœur. Vous vous trompez lorsque vous pensez que plus on aura d’islam, moins on aura d’islamisme. Je pense, au contraire, que cela va conduire à islamiser un peu plus l’école française.

Pour vous, Éric Zemmour, il n’y a pas d’autres choix que la soumission ou la guerre civile…

É. Z. – Il y a une autre solution qui mériterait d’être tentée: revenir aux fondamentaux de la République française. Il faudrait commencer par arrêter toute immigration en fermant les frontières, supprimer le regroupement familial, la double nationalité et le droit du sol. Pour ce faire, il faut sortir de la CEDH (Cour européenne des droits de l’homme), car la religion des droits de l’homme interdit toute politique. L’historien Pierre Milza a chiffré le nombre d’Italiens venus en France entre 1870 et 1940: environ 3,5 millions. Seulement 1,1 million est resté. Les deux tiers sont repartis, refusant les règles d’assimilation imposées par la France. En outre à l’époque, la IIIe République renvoyait les chômeurs et les délinquants.

Tout cela ne règle pas le problème des individus islamisés qui ont la carte d’identité française. La France doit revenir à un modèle assimilationniste strict, c’est-à-dire à l’obligation de discrétion dans l’espace public des religions: interdire tous les vêtements islamiques des femmes mais aussi des hommes. Je suis également contre le port de la kippa dans l’espace public. Dans les années 1960, les juifs ne portaient pas la calotte dans la rue. La laïcité, pour la plupart des musulmans, et pour beaucoup de spécialistes qui nous ont enfumés avec cela depuis 20 années, est réduite à la liberté religieuse. Or, la laïcité, c’est la neutralité dans l’espace public, en particulier pour les religions minoritaires. Le catholicisme a fait la France. Il a une primauté culturelle – qui a été reconnue lors des discussions parlementaires autour de la loi de 1905 sur la séparation de l’Église et de l’État – sur les autres religions.

Si un pouvoir fort reprenait mes propositions, une partie des musulmans ferait sécession. Nous n’échapperons pas dans les trente ans qui viennent, soit à la guerre civile, soit à la soumission. Eric Zemmour

Mais je crains qu’il ne soit trop tard pour appliquer ce programme. Si un pouvoir fort reprenait mes propositions, une partie des musulmans ferait sécession. Nous n’échapperons pas dans les trente ans qui viennent, soit à la guerre civile, soit à la soumission. Le général de Gaulle a donné l’indépendance à l’Algérie parce qu’il considérait que les «Arabes» et les «Français» étaient comme «l’huile et le vinaigre», ne pouvant que se séparer.

H. E. K. – La France d’Éric Zemmour est comme un astre mort, qui brille encore mais qui n’est plus. Écoutons le général de Gaulle dans ses Mémoires d’espoir: «La France vient du fond des âges, elle vit, les siècles l’appellent.» Mais oui, la France vit! Elle se renouvelle, elle se réinvente, tout en restant la France. C’est le génie français. J’ai à la fois des origines françaises et des origines tunisiennes. Je suis le produit de cette vitalité française. Alors, bien sûr, il y a des difficultés aujourd’hui, comme la poussée islamiste. Mais comment faire adhérer au projet national ceux qui sont attirés par l’islamisme si on n’y croit plus soi-même? Moi, je crois en la République. Je crois en la France. N’ayons pas peur!

Par Marie-Laetitia Bonavita et Alexandre Devecchio Le Figaro

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hohn

Comme disait un ancien du FN
« Faites nous confiance »
Pour mieux nous en….. sans vaseline