Cette étude porte sur le premier verset de la paracha de la semaine, Kora’h : Vayika’h Kora’h ben Yitshar ben Kehat ben Levi védatan vaaviram béné éliav véone ben pelet béné reouven.
Ce qui traduit, donne : « Kora’h le fils de Yitshar, fils de Kehat, fils de Lévi forma un parti avec Datan et Aviram, les fils d’Eliav, ainsi qu’avec One le fils de Pelet, parmi les enfants de Reouven ».
Et s’il nous arrivait de commettre des erreurs d’analyse? L’homme construit sa personnalité à travers sa réflexion à l’égard du monde extérieur. Dans un premier temps, le modèle de référence dans l’esprit de l’enfant, ce sont ses parents. Puis, en grandissant, l’enfant va enrichir son expérience de la vie à travers sa relation aux autres.
La façon d’appréhender le monde va dépendre de sa capacité à intégrer les informations sensorielles qui lui parviennent du monde extérieur, en en acceptant certaines et en en repoussant d’autres. Que l’homme en ait conscience ou pas, il est constamment impliqué dans un processus de tri.
Il s’enrichit à travers les expériences heureuses (ou malheureuses) de la vie, en progressant sur le long et difficile chemin de l’amélioration des traits de caractère. Quand l’homme avance dans la vie, il peut décider de consolider certaines idées dans son esprit.
A la suite d’une expérience désagréable par exemple, il peut éprouver la peur de se retrouver dans un ascenseur. D’autres fois, ce sont des lectures ou des cours qui peuvent se révéler décisifs dans la façon de concevoir le monde, sa relation au Créateur, sa relation aux autres.
Et quand un homme se met à beaucoup étudier, il peut penser qu’il est en droit de réclamer certaines choses, parce que son intelligence, sa compréhension, peuvent l’avoir hissé au-dessus du commun des mortels …
Kora’h était un très grand sage, mais il s’est trompé. Erreur d’analyse. Certitude d’être dans le vrai. D’avoir raison. Pressentir sa propre grandeur, et penser devoir mériter beaucoup plus que ce que l’on a maintenant. Kora’h n’a pas pris à cœur cet enseignement des Pirké Avot qui affirme, que parmi les qualités requises pour acquérir la Torah, il y a celle qui dit : hamakir èt mékomo – Celui qui connaît sa place.
Kora’h voulait devenir Cohen gadol à la place d’Aharon, mais il ne comprenait pas que sa propre grandeur était justement de rester à sa place … Si Kora’h avait loué et remercié le Créateur pour sa propre position sociale, il ne se serait jamais révolté …
Apprenons donc à voir le bien existant en chaque situation. Prendre conscience de ce bien, c’est tout simplement réveiller son cœur … Car Kora’h est le prototype de l’homme intellectuel, froid et distant. Kora’h ne laisse pas place au rêve, à la poésie, à une autre façon de voir la vie. Dans le Sefer Torah, les mots apparaissent sans voyelles. Il est donc possible de vocaliser le mot Kora’h différemment qui devient alors Kéra’h, la glace … Et cette dureté de cœur, poussant la certitude d’avoir raison, jusqu’à sacrifier des familles entières, s’expliquerait parce qu’il est ben Yitshar, le fils de « l’huile »…
L’huile sert à éclairer la ménorah qui représente la sagesse de la Torah. Ce qui demande explication : en effet, comment une dureté de cœur, et de l’indifférence peuvent-elles être engendrées par une certaine érudition ? On se serait justement attendu à voir un résultat inverse ! Car la Torah n’est-elle pas l’élixir merveilleux du Créateur, pour nous rapprocher de Lui, travailler nos traits de caractère, et ainsi devenir meilleurs ? Alors, comment expliquer que dans certains cas, l’érudition puisse engendrer des personnes qui semblent éteintes et froides ???
Pour échafauder une réponse, posons-nous les questions suivantes : Pourquoi étudies-tu la Torah ? Quelles sont tes intentions ? Si l’homme répond de façon standard à ces questions : « C’est la volonté du Créateur, et je veux seulement Le servir de façon désintéressée parce que j’aime la Torah », alors une autre série de questions apparaît immédiatement : « Si tu prétends aimer la Torah, que fais-tu pour la répandre ? La diffuser ? L’amener à ceux qui n’ont pas encore goûté à ses eaux fraîches et désaltérantes … ? »
Ainsi, la Torah fait grandir harmonieusement l’homme à la seule condition suivante : lilmod al menat lelamed : apprendre afin d’enseigner.
Sinon, il y a inéluctablement risque de chute. Pourquoi ? Tout simplement parce que le but de l’homme dans ce monde est de faire se dévoiler la Royauté de D. Autrement dit, faire comprendre à tous les hommes qu’il y a un Créateur qui s’occupe de chacun d’entre nous et qui nous répond quand on l’invoque sincèrement. La Torah est le message que nous devons transmettre à nos frères et sœurs. Nous voulons une Torah de vie, une Torah qui construise et épanouisse l’être. Nous voulons une Torah de foi, portée et dirigée vers l’autre, afin que chacun, chacune, puissent être attachés à la Torah, et la mettent en pratique comme il se doit. En bref, une Torah de hessed, une Torah de bonté. Car seule cette Torah-là remplit la finalité de la Création, qui est celle de remplir le monde de la connaissance du Créateur.
En apprenant à donner à l’autre de son temps et de sa connaissance, on ancre sa propre sagesse de la Torah dans son cœur, et c’est ainsi qu’elle s’épanouit.
Kora’h, l’homme froid, doit apprendre à croire que le Créateur fait tout avec sagesse. Nul n’est besoin de « prendre », dans le sens de former un parti adverse, pour s’opposer à Moché, qui représente quant à lui l’authentique connaissance de la Torah, dirigée vers les autres. Il faut comprendre que Vayika’h, n’est autre que Houkav (mot lu à l’envers), Ses décrets. Peut-on discuter des décrets du Créateur qui a tout pensé avec sagesse ? Remercions-Le plutôt pour toutes les bontés qu’Il nous donne chaque jour !
Après cette introduction un peu longue, rentrons dans le commentaire du verset.
Lorsque l’homme prend conscience que ses schémas de pensée sont peut-être erronés, car peut-être persévère-t-il dans une certaine direction, ou bien fait-il preuve d’un certain entêtement en s’obstinant à vouloir quelque chose, alors que son désir n’est pas en phase avec la Volonté du Créateur qui a décidé autrement pour lui, dans son immense sagesse ? Cet homme doit dans un premier temps, lâcher prise, relâcher sa propre pression psychologique.
Vayika’h kora’h, « Korah prit ». Mais que prit-il ? Rien ! En donnant à ce verset une connotation positive, cela signifie que l’homme Kora’h entêté dans ses propres idées, doit ne plus rien prendre … La connaissance donne l’illusion de croire que nous dirigeons notre vie, et que le Créateur ira selon notre volonté … Mais il faut se rappeler qu’il y a de nombreux paramètres qui nous échappent, et qui relèvent des décrets du Roi. A ce stade, l’homme met son intellect de côté : il ne veut plus être en prise avec la vie. Il inverse alors la dimension de vayika’h, « il prit », pour ‘houkav, Ses décrets. Il comprend alors que tout vient du Créateur, en tant qu’expression de Son amour sublime pour Ses créatures. C’est alors que l’ascension peut commencer.
Ben Yitshar, ben Kehat, ben Lévi. Maintenant que l’homme a compris que tout vient de D., alors il va maintenant pouvoir « prendre » son Kora’h intérieur, c’est-à-dire sa glace intérieure, son insensibilité, son indifférence, son érudition froide : vayika’h kora’h – vayika’h kéra’h, pour la faire fondre à la chaleur du cœur … Son étude ne sera plus la même. Il sera à présent vraiment le fils de Yitshar, car ayant compris que tous les événements de la vie émanent du Créateur, il est alors possible de former, de sculpter son âme, à travers la connaissance authentique de la Torah. En effet, le mot Yitshar est composé des lettres de yatsar, former, et de la lettre Hé, qui représente l’âme. L’âme s’éduque et grandit, formée par l’huile sainte, yitshar, la connaissance de la Torah. Mais attention ! Cette connaissance n’est plus dirigée vers soi-même, elle s’ouvre vers le monde extérieur.
C’est pour cela que Yitshar est le fils de Kéhat, c’est-à-dire le fils du rassembleur, comme il est dit à propos du Messie (Gen 49, 10) : vélo yikhat amim : « il rassemblera les peuples autour de lui », afin que toute l’humanité serve le Créateur d’un cœur sincère et unanime. Ainsi, à la fonte de la glace (vayika’h kera’h) suit l’étude de la Torah (yitshar) tournée vers les autres (kehat), tout cela n’ayant qu’un seul et unique but : devenir le fils de Lévi, c’est-à-dire celui qui s’attache (sens originel du mot Lévi) à D.
Il devient alors possible de relever ceux qui sont tombés, loin de l’idéal de la Torah (Datan lié à Dat, la religion, la lettre Noun final restante étant liée à l’idée de chute) pour les élever vers mon Père céleste (Aviram lié à Avi, mon Père, et à ram, a élevé). A ce stade, on passe de la dimension de ben, fils singulier, à celui de béné, les fils, au pluriel. Quand cette connaissance de la Torah portée vers l’autre se répand, nous devenons alors les fils d’Eliav, c’est-à-dire que tous reconnaissent que E-li, mon D., c’est Lui Av, le Père éternel qui nous aime d’un amour infini et qui ne nous abandonnera jamais malgré les épreuves de la vie.
Alors notre âme revient au Créateur, véritablement : il s’agit de One qui au dernier moment, fit Téchouva dans la révolte soulevée par Kora’h, ce qui est inscrit en allusion dans la valeur numérique de l’expression « Et One », véone qui est la même que téchouva (713). Cela a été possible parce que nous avons fait l’effort d’être sincère dans notre relation à D., c’est-à-dire que nous sommes Ben Pelet, fils de Pelet … Le mot Pelet est épelé Pé – Lamed – Tav.
Ce nom nous engage à attacher notre bouche (pé) à notre cœur (lamed, cette lettre étant liée au cœur d’après l’enseignement de Rabbi Akiva qui dit que le LaMeD est l’initiale de Lev Mevine Daat, un cœur qui comprend la connaissance). Telle est la finalité, le takhlit, la lettre Tav étant la dernière de l’alphabet. Nous ne nous sommes pas contentés d’étudier, en risquant de tomber dans le syndrome de Kora’h, en ne nous servant que de notre bouche (pé), sans la lier au cœur, mais nous avons fait l’effort de ressentir ce que nos lèvres prononçaient, avec notre cœur (lamed). Alors notre étude et notre prière s’inscrivent dans le ciel telle une marque et une empreinte (sens de la lettre Tav) afin que nos demandes soient exaucées et que notre étude porte des fruits. Alors, nous verrons bien la différence entre celui qui agit ainsi et celui qui n’agit pas ainsi : ce constat relève des béné réouven, les fils de Reouven. En effet, Reouven veut dire : « voyez le fils ! », c’est-à-dire voyez la différence ! (cf Berakhot 7b).
CHABBAT CHALOM à tous
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