QUE FAIRE? 1/3 

PARTIR? RESTER? LE CRITÈRE.

 

Les milieux les plus conscients du destin juif sont secoués par un dilemme existentiel profond quant à l’avenir et la continuité de la vie juive en France. C’est un phénomène social d’ampleur réelle qui fascine les médias et suscite angoisse, voire panique, pour certains milieux juifs, sermonnage grandiloquent pour l’environnement.  On pense en général à la dimension de la sécurité comme facteur déterminant. Il est très réel, effectivement: si la France entière est sous la menace des islamistes français, les Juifs le sont plus particulièrement et sans aucun prétexte : ni caricaturistes, ni « à cause de Gaza » – ce que nous avions dit depuis 15 ans à l’opinion (qui nous avait accusé de racisme) – mais par pure haine religieuse, dont le retour cyclique dans l’histoire de l’islam est avéré par les historiens dignes de ce nom.

Face à cette haine délirante, toutes les armées du monde ne pourront pas protéger des civils paisibles sous peine d’une militarisation étouffante de leur existence. De fait, le dipositif de vigilance armée adopté par le pouvoir s’est vu maintenu. La question est de savoir ce qui se passera quand il cessera. Le caractère endémique de l’antijudaïsme dans le monde musulman ne cessera pas alors – et encore plus avec la prochaine guerre au Moyen Orient. Il se trouvera toujours dans la communauté musulmane française – malgré les efforts qu’elle pourra faire – des milieux activistes dormants pour s’en prendre aux Juifs comme tels. Je crois que les musulmans français ne se sont pas rendu compte de la situation, à voir les réactions de Dalil Boubakeur à la suite des remarques de Roger Cuckierman, qui n’a fait qu’énoncer des évidences sociologiques et policières. Et je dirais plus, la convocation des deux représentants par l’Elysée est encore plus inquiétante quant à la capacité de ce gouvernement de régler avec force la situation. Le projet pour l’islam qu’il a rendu public est de ce point de vue pathétique en matière de compréhension de la situation. C’est l’effet « pas d’amalgame » porté à l’extrême! De ce point de vue là, il n’y a pas eu de changement de politique, si ce n’est la militarisation de la politique sécuritaire mais rien quant au fond du problème. 

Cependant, le critère sécuritaire ne doit pas être le seul. Il faut laisser ouverte la possibilité que la situation sur ce plan là puisse changer. Le critère de la décision doit se hausser pour les individus au dessus du destin individuel, si tant est qu’être juif a un sens et une valeur. Il y a des  raisons bien plus profondes qui posent la question du départ.

Pour le comprendre, il faut savoir que l’identité juive qui est la nôtre s’est forgée en France au lendemain de la guerre. Elle n’avait jamais existé auparavant et pour cause. Les Juifs étaient censés n’être que des individus de confession israélite. Or, sous Vichy, ils devinrent en droit et en pratique un « peuple étranger ». Revenir dans la citoyenneté n’était plus possible sans assumer cette réalité devenue évidente: le caractère collectif du destin juif. Au même moment se créait Israël qui donnait à ce destin une forme contructive et affirmative à laquelle les Juifs français s’identifièrent de plus en plus, seule conclusion réaliste de la leçon du XX° siècle.

C’est ce système existentiel qui est devenu aujourd’hui (depuis les années 1990) impossible en France. Un fait morphologique l’explique: la venue d’une puissante immigration du monde arabo-musulman qui, si elle ne suit pas la voie de l’assimilation, met en danger le modèle français et la place des Juifs en son sein. Le fantasme d’une « communauté de l’immigration » a déjà rendu possible l’accusation de communautarisme et d’infidélité à la République lancée aux Juifs depuis le début des années 1990, dépouillant la reconstruction juive d’après guerre de sa légitimité sociale, de sorte que l’on peut dire que l’identité communautaire n’est plus portée par la société.

Un fait idéologique de première importance s’y ajoute: l’antisionisme ambiant, vieux de plus de 20 ans, qui met en demeure les Juifs de se désolidariser d’Israël, au point que certains peuvent comparer l’aliya au départ pour le djihad. La « mémoire de la Shoah », c’est à dire la reconnaissance d’un destin juif collectif, certes, mais mort, s’est substituée à la reconnaissance d’Israël, si ce n’est comme annexe humanitaire de la Shoah. L’inimitié envers Israël de l’Union Européenne, très souvent sous la houlette de la France, illustre parfaitement les limites de la reconnaissance du peuple juif post-Shoah. Le vote de la reconnaissance de l’Etat de Palestine » par une assemblée nationale debout et sous les applaudissements est une scène historique qui marque définitivement la fin d’une époque. L’assemblée a voté pour un Etat destiné à devenir le substitut d’Israël, jetant le destin collectif juif dans une impasse mortelle, 70 ans après Vichy! Un contrat profond est ainsi rompu.

Mais le plus terrible est ailleurs, à l’interne : il a là aussi l’aspect d’une impasse. Comme les Juifs n’ont absolument aucun intérêt à ce que se constituât en France une « communauté » musulmane plutôt qu’une intégration des musulmans dans la citoyenneté; comme ils ont tout intérêt à ce que l’Etat-nation français reprenne des forces (si son appartenance à l’Union Européenne le rend possible) pour assurer leur sécurité (c’est la simulation de celà qui se joue actuellement avec l' »union nationale » façon Valls), ils seront les premiers à devoir se sacrifier, à renoncer à l’identité communautaire pour que la condition soit égale pour tous et pour donner l’exemple aux musulmans[1]

Ils sont donc, par la force des choses, conduits à se « faire hara-kiri » pour assurer leur continuité.

En tel cas, un principe fondamental de la résurgence juive d’après guerre et d’après la liquidation du monde sépharade, sera mis en question, ruinant le sens et la valeur morale d’une continuité diasporique en un temps où il existe un Etat d’Israël, sapant sa légitimité aux yeux mêmes du destin juif cette fois-ci, sauf à opter pour la terrible régression historique que constitue aujourd’hui la voie de l’ultra-orthodoxie, à savoir quitter la scène de l’histoire et l’assomption de toute responsabilité envers soi et le peuple juif.

Se désintéresser et se dissocier du peuple juif, de son existence aujourd’hui et demain, c’est se vouer inéluctablement soi même et chaque individu autant que le peuple à la catastrophe. C’est le principe inamovible de toute stratégie d’existence juive. S’il n’est pas tenable dans la réalité où l’on se trouve, il faut alors choisir le départ pour l’assumer sous d’autres cieux plus propices.

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 Shmuel Trigano

 

*A partir d’une tribune parue dans Actualité juive du 12 mars 2015

[1] Il faut, au passage, préciser que, par le biais de la notion de « communauté », la question d’une communautarisation de la population musulmane n’est en aucune façon comparable à ce que j’ai appelé « l’identité communautaire » juive. Les Juifs ne sont pas des immigrés mais de très anciens citoyens, leur religion s’est réformée depuis 1807 pour entrer dans l’Etat, leur identité est adossée à la centralité de l’Etat et de la culture française, leur destin collectif n’a pas ressurgi en France de leur fait mais du fait de l’Etat vychissois, et, quoi qu’il en soit ils comptent dans leurs rangs environ 400 000 personnes et pas plusieurs millions, qui, de surcroît, se trouvent être aussi des double-citoyens actifs de leurs pays d’origine.

 

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