En 1971, Jerry Lewis, qui vient de disparaître à 91 ans, réalise et interprète « Le Jour où le clown pleura », une fiction sur la Shoah restée inachevée.

L’information se niche dans un article de Slate sur le «  vrai faux film de Hitchcock sur les camps de concentration  ». On y apprend que le réalisateur a bel et bien participé au montage d’images filmées par les armées à la libération des camps. Sur six bobines, cinq concernaient les camps de concentration et étaient l’œuvre des armées anglo-américaines. Une seule tournée par les Soviétiques montrait l’intérieur du camp d’Auschwitz.

On y apprend surtout que le rôle du maître du suspense s’est borné à celui de consultant et que le projet n’a pas abouti. La guerre froide aidant, les Alliés ne tenaient plus tant à dénoncer les crimes nazis ni à souligner le rôle des Soviétiques. Les bobines anglo-américaines sont confiées à l’Imperial War Museum de Londres. Quant aux images filmées par l’Armée rouge à Auschwitz, elles ont été montées pour la première fois dans le cadre de l’exposition qui s’est tenue en 2015 au mémorial de la Shoah, «  Filmer la guerre : les Soviétiques face à la Shoah (1941-1946)  ».

Cette histoire est déjà passionnante : elle rappelle que les images des camps d’extermination que nous avons pour la plupart en mémoire proviennent en fait de camps de concentration : le génocide est sans image. C’est bien pourquoi Claude Lanzmann avait en son temps refusé d’utiliser des images d’archives et fait, dans Shoah, le choix politique autant qu’esthétique de montrer ce qu’étaient devenus les camps au moment du tournage.

Un clown et un producteur indélicat

C’est par une digression que Jean-Michel Frodon, à la fin de son article, nous apprend qu’un «  autre film invisible  » existe sur les camps : Le Jour où le clown pleura. Un film de fiction, réalisé par… Jerry Lewis ! Un film que presque personne n’a vu et dont Libération racontait le triste sort en 1998, en s’appuyant sur un témoignage de première main : celui de Jerry Lewis lui-même dans son autobiographie, Jerry Lewis in Person.

Tout part d’un script que l’acteur-réalisateur reçoit en 1965. Il raconte l’histoire d’un clown allemand antinazi, Helmut Doork. Arrêté par la Gestapo, il est interné dans un camp d’extermination et utilisé par les SS pour que les enfants aillent sans pleurer dans la chambre à gaz. Un scénario qui n’est pas sans rappeler La vie est belle de Roberto Benigni, mais que Jerry Lewis refuse devant l’ampleur du défi. Il accepte finalement en 1971 la proposition d’un producteur français qui s’engage à financer le film avec une société suédoise. Jerry Lewis travaille au projet, visite des camps, rencontre même, dit-il dans son autobiographie, un certain Hans Geibler, un homme chargé de mettre en marche les chambres à gaz. Lequel, inconsolable, est embauché comme conseiller technique.

Image du film « Le Jour où le clown pleura »

Périlleux

Sauf que les producteurs font faux bond à Jerry Lewis, qui finance le tournage sur ses propres deniers. Et se voit à la fin pourtant dépossédé de son œuvre par le fameux producteur français. «  Je pensais que Le Jour où le clown pleura pouvait aider mes semblables à ne pas lâcher prise dans l’adversité la plus absolue. Helmut nous aurait enseigné cette leçon. C’était tout ce que je voulais faire, un film qui nous fasse nous souvenir  », concluait Jerry Lewis dans ses Mémoires.

Sur le tournage du « Jour où le clown pleura »

Peut-être a-t-il eu peur de lire certaines des critiques qui ont accueilli le film périlleux de Roberto Benigni, comme Libération qui l’assassinait en 1998 : «  L’humanisme velléitaire du film, qui nous dit que l’on ne doit jamais décourager de l’homme (tu parles !), fait son succès. Le public est toujours prêt à être exorcisé dans les rires et les larmes des fautes qu’il n’a pas commises.  » En 2013, il livrait, selon Allociné, sa propre version : «  En fait, j’étais profondément embarrassé par le sujet de mon film, j’en avais honte, je n’arrivais pas à trouver au fond de moi la justification nécessaire, pourquoi je faisais ce film. Peut-être que le résultat aurait été merveilleux, mais j’ai préféré arrêter.  »

 

 

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