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Jean-Jacques Goldman: un livre témoignage sur ses débuts

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« Goldman n’a jamais été très à l’aise dans le costume de chanteur »

ENTRETIEN. Dans « Il suffira d’un signe », Jean Bender brosse le portrait de son ami de lycée, bosseur acharné, qui rêve de faire carrière dans la musique.

« J’avais besoin de m’éloigner de Goldman et de retrouver Jean-Jacques. » À 71 ans, Jean Bender a décidé de garder le meilleur de ses années partagées avec Jean-Jacques Goldman. Ils se rencontrent au lycée à Paris en 1967 : Jean, qui vit dans le quartier de Montparnasse avec sa mère, est en première ; Jean-Jacques, fils d’émigrés juifs ashkénazes installés à Montrouge, en seconde. Ces deux-là nouent leur amitié autour d’une passion commune, la musique, plus particulièrement le rock, et, bercés de rêves et d’espoirs, ils finissent par trouver des scènes pour leur donner vie.

Avec les trois autres membres de Phalansters, leur groupe de bal, ils sillonneront les routes de France de 1969 à 1972 pour se produire dans des discothèques, des salles des fêtes, reprenant sur leurs Gibson les Beatles, les Stones ou Led Zeppelin. De cette parenthèse « à chanter », Jean Bender a tiré un livre, Il suffira d’un signe, coécrit avec le journaliste Éric Le Bourhis. Un témoignage intime, touchant, autorisé par l’intéressé (« Je te souhaite un bon voyage vers ce pays de nos adolescences et une bonne écriture »), où il dessine les débuts peu connus du futur Goldman, qu’il décrit déjà comme un génie, discret et bosseur, effrayé par son statut de star, se refusant de céder aux sirènes de l’argent facile. Le tout saupoudré d’anecdotes savoureuses imprégnées d’un mélange de tendresse et d’ironie que l’on appelle la nostalgie.

Le Point Pop : Au début de votre livre, vous publiez un extrait de l’échange que vous avez eu avec Goldman dans lequel il vous autorise à raconter vos débuts musicaux. Ça a été facile d’obtenir son autorisation ?

Jean Bender : Oui. Avec Jean-Jacques, on a découvert le rock au lycée. On est devenus amis, on a écrit des chansons. Dans les années 1970, on a fait des tournées ensemble avec notre groupe Phalansters. C’est une période de sa vie que l’on connaît peu. J’avais envie de mettre tout ça noir sur blanc et ça lui a plu. Il m’a écrit ce petit texte car il savait que ce serait comme un blanc-seing auprès d’une maison d’édition.

Quels sont vos rapports avec lui aujourd’hui ?

Nous sommes toujours restés amis, même si je ne le vois pas souvent. Je l’adore, mais pas comme un fan. En écrivant ce livre avec Éric Le Bourhis, j’ai pris la mesure du phénomène qu’il était. Je n’en reviens pas.

On a l’impression à vous lire qu’il a toujours tout planifié dans sa vie. Vous racontez même qu’il avait imaginé, déjà tout jeune, qu’il arrêterait sa carrière musicale aux alentours de 50 ans…

Oui, c’est vrai, il l’avait prévu, du moins si les choses se passaient bien. Il a toujours été assez visionnaire. Il savait qu’avec sa musique il tenait quelque chose de nouveau dans le domaine de la chanson française. Tellement nouveau, d’ailleurs, que tous les directeurs artistiques qu’il a rencontrés à ses débuts n’arrivaient pas à le ranger dans une case. À l’époque, soit tu chantais en anglais, soit tu faisais de la variété. Mais cette espèce de produit hybride qu’il proposait, on trouvait ça improgrammable. On lui reprochait d’avoir la voix trop aiguë ou d’être trop pop rock. Mais lui savait que si ça devait un jour marcher, ce serait un pavé dans la mare. Et, comme à son habitude, il avait déjà décidé de tout. À 53 ans, il n’a pas dit « j’arrête », il a dit « je fais autre chose ». Ce qu’il voulait lui, c’était revenir à une vie normale de papa, de grand-père, parce qu’il n’avait plus la même énergie. Il avait fait le tour de tout ce qui l’intéressait. Et, contrairement à certains artistes qui font de sempiternels come-back pas toujours à la hauteur, il a eu l’intelligence d’éviter quelque chose de ridicule et d’inutile.

On découvre un Jean-Jacques Goldman qui, dès son plus jeune âge, ne souhaitait pas occuper le devant de la scène à tout prix. Il ne cherchait donc pas la lumière ?

Bien au contraire. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il a fait le choix de s’installer à Londres, où, même au top de sa notoriété, on ne pouvait pas le reconnaître. Avec l’avantage de ne pas être très loin de Paris. Parfois, il me dit encore, un peu ironique : « Je n’ai jamais voulu être chanteur. J’aurais pu être prof de tennis… »

C’est vrai ? Il ne voulait pas être chanteur ?

Disons qu’il a toujours trouvé un peu ridicule l’idée d’être chanteur. Pour lui, ce n’était pas un métier, c’était même un peu bizarre. Il n’a jamais été très à l’aise dans ce costume.

Phalansters, cinq garçons dans le vent.  © Collection privée

 

D’ailleurs, dans le groupe Phalansters, il était un peu en retrait…

À l’origine, on était trois. C’était les années 1970, on voulait en découdre avec le rock. Et, dans le groupe, c’était surtout Jean-Jacques qui assurait le chant. Un jour, on a passé une annonce dans Rock & Folk, qui était un peu le réseau social de l’époque, pour trouver un clavier. Et déboule dans notre cave un black, Alex, un super pianiste. Il est accompagné de son jeune frère Chris, qui est chanteur [les futurs Gibson Brothers, NDLR]. Quand il a commencé à chanter, il nous a mis par terre. Non seulement il avait du métier, mais il avait une voix particulière et il tenait la scène. Jean-Jacques, ça lui allait très bien… il a même poussé un grand ouf de soulagement ! Pour lui, c’était parfait : il allait jouer de la guitare, faire un peu les chœurs. Ça l’arrangeait plutôt de ne plus être sur le devant de la scène…

Pourtant, le leader, c’est quand même lui…

Oui, il était leader par défaut. Il bossait tout le temps. Ce n’était pas quelqu’un qui improvisait. Il prenait les choses en main. Pour lui, c’était bien beau de parler, mais il fallait que les choses se fassent. Même au lycée, c’est lui qui organisait nos emplois du temps pour que l’on se voie entre les cours.

Était-ce un ado très sérieux ?

(Il rit.) Ce n’était pas tout à fait un moine quand même. Mais il était très lucide sur sa personne. Il ne buvait pas, il ne fumait pas… il avait besoin de se couvrir beaucoup car il attrapait facilement des rhumes, donc il faisait gaffe. Et puis il s’était déjà fixé un objectif : il voulait faire de la musique. Il savait où il allait. Mais n’allez pas croire que c’était un type morose… Au contraire, il a un grand sens de l’humour. Il pratique beaucoup l’ironie.

Quand Jean-Jacques chante « J’ai trop saigné sur les Gibson », c’était vrai.

On est quand même à l’opposé des frasques des stars du rock qu’il admirait tant…

Lui comme moi, on a été élevé à la variété et au classique et, comme beaucoup de jeunes ados des années 1960, on est tombés dans la marmite des Beatles et des Stones. Pour nous, les Beatles c’était une grande école pour fabriquer des titres. Mais Jean-Jacques n’a jamais voulu être une star. Ce n’était pas comme Julien Clerc, dont on faisait souvent les premières parties. Lui, il avait le profil de la rock star : il avait un physique de prince, il pouvait prétendre au titre de « Mick Jagger français ». Jean-Jacques, qui était pourtant joli garçon, ça le faisait écrouler de rire… Ce qu’il aimait avant tout, c’était la musique. Mais, sur scène, ça ne nous empêchait pas de reprendre du Led Zeppelin ou du Santana…

 

Jean-Jacques et Chris Francfort, l’un des futurs Gibson Brothers. © Collection privée

 

Ou parfois même du musette…

(Il rit.) Daniel Baudon, qui organisait des tournées de jeunes groupes comme le nôtre, a écouté notre musique et, en quinze jours, il nous a trouvé des dates dans des salles des fêtes, des boîtes un peu partout en France, surtout dans le Nord… Parfois, il nous proposait de faire un peu de « balluche » et on doublait notre cachet. On était tout jeunes. On n’en revenait pas de gagner de l’argent. On avait sorti un disque qui avait gentiment marché. On se disait qu’on avait presque un boulot. On tournait tous les week-ends et, la semaine, on repartait étudier. Quand Jean-Jacques chante « J’ai trop saigné sur les Gibson », c’était vrai. Pendant nos concerts, il se tapait tous les chorus et si, dans le public, l’ambiance était bonne, certains morceaux pouvaient durer vingt minutes… Et, comme dans des salles, il faisait souvent très très froid, il se « niquait » les doigts, si vous me permettez ce terme.

Ses chansons sont-elles toutes inspirées de sa vie ?

Non, mais elles partent souvent d’une anecdote ou de ce que lui a raconté quelqu’un. Pour écrire, il se sert de tout ce qui le marque. Quand il a écrit « Elle a fait un bébé toute seule », il se trouve que je venais d’avoir un enfant que pendant des années j’ai refusé de voir. Ça l’a peut-être inspiré, qui sait ? Il captait assez bien les sujets de société.

Ces chansons lui viennent aussi de ses fans…

Oui, quand il a commencé à avoir du succès, il a refusé que CBS, sa maison de disques, s’occupe de son courrier. Il avait engagé quelques retraités à Montrouge pour le trier avec lui. Il était gêné que des gens qu’il ne connaissait pas lui livrent leurs secrets. Il ne se sentait pas légitime… Donc il trouvait que c’était la moindre des choses de prendre du temps pour répondre à ses fans. Parfois même, il les appelait pour parler avec eux d’un problème sur lequel ils s’étaient épanchés dans leur lettre. Mais il ne voulait pas qu’on le perçoive comme une star. Et il essayait de les aider en instaurant un climat de confiance.

La confiance, c’est un peu le mot d’ordre dans son travail, non ?

Oui. Y compris quand il collabore avec d’autres artistes. Il est très à l’écoute. Quand il a travaillé avec Céline Dion ou avec Johnny, ce qui l’intéressait, c’était de savoir comment ils fonctionnaient. Pour ne pas avoir à les brusquer. Et, quand il les avait cernés, il était en mesure de leur proposer quelque chose qui leur ressemblait en adaptant sa méthode. Les artistes se sentent en confiance avec lui, comme dans des pantoufles.

Pour lui, l’argent, c’était un poison qui pouvait faire basculer sa vie. Il n’a jamais aimé la vie de château, alors qu’il aurait les moyens de s’en acheter plusieurs…

On a souvent dit que Goldman, au faîte de sa gloire, refusait de faire des couvertures… Est-ce une légende ?

Non, c’est vrai. Il a toujours fait très attention à ne jamais être la star. Quand il allait à des avant-premières, il payait tout lui-même, y compris les taxis. Et il fuyait les photographes. Combien de fois a-t-il fait semblant de lacer ses baskets pour ne pas être pris en photo ? (Il rit.)

Vous racontez aussi qu’il a toujours refusé les avances sur recette…

Oui. Mais son frère Robert avait négocié qu’il touche 30 % de royalties là où les artistes montaient au maximum à 15 %.

Dans son rapport avec l’argent, d’ailleurs, vous le décrivez comme un monsieur Tout-le-Monde. On a du mal à y croire…

Pourtant, c’est vrai. Il n’a jamais voulu se laisser happer par l’argent facile. Gagner autant, il trouvait ça indécent. Il n’est jamais tombé dans le piège du star-system. Pour lui, l’argent était un poison qui pouvait faire basculer sa vie. Il n’a jamais aimé la vie de château… alors qu’il aurait les moyens de s’en acheter plusieurs… (Il rit.) Alors, oui, c’est vrai qu’il a un rapport très simple avec l’argent. Il compte la monnaie qu’on lui rend, pas parce qu’il est pingre mais parce qu’il a toujours été comme ça. Il connaît le prix des choses. Au début de sa carrière, ça le rassurait de garder la gestion du Sport 2000 de ses parents. Il se disait que le succès pouvait s’arrêter du jour au lendemain. Il en est resté gestionnaire jusqu’à son troisième album au moins.

Vous abordez aussi sa relation avec Pierre, son demi-frère, militant d’extrême gauche tombé dans le banditisme, assassiné en 1979…

Ça a été une période très douloureuse pour les siens. Pierre, c’était le mouton noir de la famille et Jean-Jacques essayait d’être discret sur ce sujet, d’autant qu’il avait une petite notoriété avec le groupe Taï Phong. Il avait compris qu’il ne fallait pas monter au créneau. À l’époque, toute la gauche bien-pensante cherchait à rencontrer la famille Goldman pour la mêler à son combat. Un jour où l’on répétait dans le salon chez Jean-Jacques, Simone Signoret vient avec des amis sonner à la porte. Il a fait semblant de ne pas la reconnaître et lui a juste répondu qu’il était occupé… Et ils sont repartis. C’était quand même gonflé ! Mais Jean-Jacques ne voulait pas profiter de ça… C’était un sujet avec lequel il n’était pas à l’aise.

Vous racontez qu’il allait le voir en prison et qu’à sa sortie il faisait de la musique avec lui…

Oui… C’était son demi-frère quand même. Certes, il connaissait le personnage, mais il n’a jamais voulu entrer dans les questions de ses engagements ni de ses actes. De toute façon, il ne s’est jamais senti légitime pour évoquer ses opinions, contrairement à certains de ses confrères… Il trouvait qu’en tant que chanteur il n’avait pas à parler politique. Ses chansons étaient une nourriture suffisante.

C’est vrai que j’ai été jaloux de lui. Je me disais « pourquoi lui et pas moi ? » alors qu’on avait toujours bossé ensemble dans cette cave.

Pourquoi n’a-t-il jamais envisagé une carrière internationale ?

Lui, ce qu’il voulait, c’était faire de la musique sans qu’on le voit trop… Au début de sa carrière, on lui a même proposé un contrat mirobolant pour jouer, dans une série américaine, le rôle d’un jeune rockeur français. Ça l’a fait énormément rire. Lui qui n’est absolument pas comédien. C’est un domaine dans lequel il n’est pas doué. Tourner dans ses clips, c’était déjà assez difficile ! (Il rit.) Il n’aime pas ça. Il n’aime pas se voir.

Ce livre vous a-t-il permis de tirer définitivement un trait sur la jalousie que vous dites avoir ressentie à son égard ?

(Il rit.) Oui. C’est vrai que j’ai été jaloux de lui. Je me disais « pourquoi lui et pas moi ? » alors qu’on avait toujours bossé ensemble dans cette cave. Plus je suis jaloux, plus il me console et plus je lui en veux… Et puis j’ai commencé à bosser dans l’univers des musiques de pub. Ça a bien marché pour moi. Ça m’a permis de passer à autre chose.

Vous vous apprêtez d’ailleurs à reprendre certaines de ses chansons…

Oui, des chansons qu’on a écrites ensemble et même d’autres qu’il m’avait données à l’époque, comme « Je te promets », « Si tu veux m’essayer » ou encore « Étrange Symphonie » qui est devenue « Il changeait la vie ». Il m’a toujours dit que je pouvais en faire ce que je voulais. Et, comme avec l’âge ma voix se bonifie, j’ai bien envie de les reprendre parce qu’elles le méritent. Par principe, je lui ai demandé son autorisation, mais, comme je m’en doutais, il m’a rappelé qu’elles étaient à moi.

Vous a-t-il donné son avis sur votre livre ?

Il m’a juste dit : « Je lirai tout ça quand je serai vieux ! » (Il éclate de rire.)

Propos recueillis par Fabrice Dupreuilh Publié le 02/12/2021 à 11h15

Quand, au sein des Phalansters, JJG saignait trop sur les Gibson… © Collection privée

www.lepoint.fr

 

 

 

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