Jean-François Ricard, patron du parquet national antiterroriste : «La menace s’est renouvelée»

À la tête du tout nouveau PNAT, installé depuis le 1er juillet, le procureur détaille au Parisien ses objectifs.

 Paris, le 8 juillet. « J’ai la chance d’être à la tête d’une équipe expérimentée, solidaire et extrêmement compétente », souligne Jean-François Ricard.
Paris, le 8 juillet. « J’ai la chance d’être à la tête d’une équipe expérimentée, solidaire et extrêmement compétente », souligne Jean-François Ricard. LP/Philippe de Poulpiquet

Après une réunion avec des membres de son équipe puis un entretien avec un dignitaire des Nations Unies, Jean-François Ricard nous accueille à la table de travail de son bureau du tribunal de Paris. En chemise – « je déteste avoir chaud », confesse-t-il -, le tout nouveau procureur national antiterroriste (PNAT) détaille pendant deux heures en exclusivité les objectifs de cette nouvelle entité judiciaire, installée depuis le 1er juillet et que la garde des Sceaux a voulu comme une « force de frappe antiterroriste ».

La création de ce parquet national antiterroriste (PNAT) était-elle nécessaire ?

JEAN-FRANÇOIS RICARD. Le système actuel, qui repose sur la loi de 1986, a prouvé son efficacité. La justice antiterroriste n’est pas une justice d’exception, mais elle a des prérogatives qui la rendent à la fois efficace et respectueuse des droits de la défense. Cette loi de 1986 a par ailleurs été modifiée à de nombreuses reprises pour s’adapter à l’apparition du phénomène djihadiste. Elle a su apporter une réponse globalement satisfaisante : un grand nombre d’attentats ont été déjoués et les principaux auteurs jugés et condamnés.

Pourquoi, dès lors, ne pas avoir maintenu le même dispositif ?

La question s’est posée. Les phénomènes terroristes, et le djihadisme n’échappe pas à la règle, fonctionnent par vagues de deux à cinq ans. Or le principe d’une vague, c’est qu’il y a un creux : on l’a connu dans la période 2005-2010. À ce moment-là, il n’y avait aucune raison de changer le système. Et puis arrive l’affaire Merah en 2012. Puis cette vague gigantesque liée à la situation dans la zone irako-syrienne dont les effets se manifestent en 2014-2015. C’est un mouvement exponentiel, avec une massification du phénomène. On n’est plus sur des centaines d’acteurs mais sur des milliers. Un nombre tel qu’on ne peut plus le gérer de la même façon. Face à cette menace, les autres acteurs de la lutte antiterroriste se sont transformés, de nouvelles lois antiterroristes ont été votées. La création du PNAT vient parachever cette évolution législative et structurelle.

N’est-ce pas trop tard ? Ne vivons-nous pas une nouvelle période de creux ?

Ça, on ne le sait qu’après. Qui pourrait dire que le phénomène djihadiste est terminé ? Or le pire serait de réformer à chaud, en pleine crise. Le moment était donc propice pour mettre cette nouvelle structure en place, reposant sur une organisation permanente placée au plus haut niveau. J’ai la chance d’être à la tête d’une équipe expérimentée, solidaire et extrêmement compétente.

Vous allez également requérir lors des grands procès…

Oui. C’est d’autant plus important que nous sommes passés d’une phase d’enquête et d’instruction à une phase de jugement sans précédent. Les dossiers de départs en Syrie, avortés ou non, continuent à se succéder en correctionnelle. Mais l’on s’apprête surtout à juger devant la cour d’assises spécialement composée tous les attentats et projets d’attentats. Nous y porterons l’accusation en première instance. Ce seront donc les magistrats du parquet qui auront connu l’affaire depuis ses tout débuts – parfois dès la scène de crime – qui vont siéger à l’audience. C’est l’idée d’avoir une justice intégrée. Nous sommes dans le bon tempo : dès septembre, avec le procès du projet d’attentat aux bonbonnes de gaz près de Notre-Dame, puis avec le procès de l’attentat de Charlie Hebdo au printemps 2020.

Jean-François Ricard dans son bureau au tribunal de Paris./LP / Philippe de Poulpiquet
Jean-François Ricard dans son bureau au tribunal de Paris./LP / Philippe de Poulpiquet  

Vous avez été juge d’instruction antiterroriste entre 1994 et 2006. Le terrorisme djihadiste a-t-il évolué ?

Il y a des constantes. La première, ce sont les grandes références religieuses. La seconde, c’est que la France fait toujours partie du haut du spectre des pays visés. Nos ennemis en veulent aux valeurs que nous véhiculons, comme la laïcité. Enfin, il y a toujours eu dans ce terrorisme un mélange d’organisation et d’improvisation. Prenons l’exemple de la cible. Pour une organisation terroriste comme ETA (NDLR : indépendantiste basque), ce choix résulte d’un processus élaboré avec une analyse politique, logistique et stratégique en amont. Les islamistes ont un autre raisonnement, d’autres critères, des références essentiellement religieuses et la cible n’est qu’un élément parmi d’autres. Regardez les attentats du 13 Novembre, les plus organisés connus sur notre sol, où les actions kamikazes au Stade de France comprennent malgré tout une part d’improvisation. Analyser cette irrationalité apparente comme une marque de faiblesse serait une grave erreur d’appréciation.

Quels sont les changements ?

Outre la massification du phénomène, je citerais l’apparition de comportements kamikazes : la mort en martyr est désormais un objectif répandu. L’implication de mineurs tout comme la part grandissante des femmes, jusque-là très minoritaires, est également nouvelle. Ensuite, il y a leur meilleure maîtrise des technologies : la nouvelle génération de djihadistes connaît parfaitement les systèmes de cryptage. Autre évolution majeure : cette poussée de l’islamisme est allée de pair avec la conquête, par une organisation terroriste, d’un territoire dans la zone irako-syrienne. L’Etat islamique (EI) a bénéficié de moyens énormes (financiers, logistiques et militaires) qui lui ont permis de former un nombre important d’individus à l’action terroriste sur le long terme. On retrouve dans les dossiers récents des suspects qui ont participé à des actions de guerre violentes, ce qui était peu le cas auparavant.

Le sentiment que le risque terroriste aurait diminué en raison de l’absence récente d’attentats de masse est donc illusoire ?

Oui, car la menace terroriste s’est considérablement renouvelée. Il faudrait être un doux utopiste ou venir de Mars pour dire qu’elle n’existe plus. Elle est permanente. L’attentat de Lyon au colis piégé, en mai dernier, dont l’auteur présumé n’avait laissé aucune trace d’une quelconque radicalisation, en est le parfait exemple. Cette dissimulation relève d’une stratégie.

La défaite militaire de l’EI n’a pas davantage atténué la menace ?

Non. L’EI a perdu une bataille territoriale mais s’y était préparée. Il bénéficie encore de ressources financières colossales. Il a placé certains de ses membres dans des secteurs clés, comme le financement ou les camps de déplacés. Cette défaite s’est également accompagnée d’une dispersion de ses combattants. Combien de ressortissants français ont réussi à quitter la zone irako-syrienne et à s’installer ailleurs ? Il y a un chiffre noir. Enfin, on a sur le territoire une masse d’individus radicalisés susceptibles de passer à l’acte. Il ne faut pas sous-estimer cette menace endogène, avec parfois des profils à la limite de la psychiatrie.

Êtes-vous favorable au rapatriement des djihadistes, hommes et femmes, actuellement retenus au Kurdistan syrien ?

À chaque fois qu’elle a eu connaissance de la présence sur zone de ressortissants, la justice française a ouvert des enquêtes. Des mandats d’arrêt ou de recherche ont été émis. Pour le reste, c’est un dossier d’une extrême complexité.

Trois membres de votre parquet seront spécifiquement chargés de l’exécution des peines. C’est une priorité ?

Tout à fait. Parmi les 501 personnes actuellement détenues au titre d’infractions terroristes djihadistes, 107 seront libérées d’ici fin 2021 et 147 un an plus tard. Aucun condamné ne devra sortir sans faire l’objet d’un suivi judiciaire ou administratif. Pour cela, il était indispensable qu’il y ait des magistrats de la même structure, intégrés au PNAT, qui connaîtront parfaitement les personnes dont ils seront chargés du suivi. Il s’agit là encore de justice intégrée.

Hormis la menace djihadiste, vous devez également faire face à la résurgence d’une menace politique…

Oui, qu’elle provienne de l’ultra-droite (des enquêtes sont en cours) ou de l’ultra-gauche. C’est une mouvance difficile à suivre. Mais en la matière il faut absolument respecter nos principes juridiques. Si on étend la matière terroriste – avec ce que cela implique de méthodes spéciales et de techniques d’investigation – à des domaines qui relèvent uniquement de l’action violente et contestataire, on peut vite déborder. L’entreprise terroriste est une notion juridique très définie et ce serait une faute de l’étendre aux actions politico-contestataires, mêmes violentes. Mais si l’action violente bascule vers l’action terroriste, nous n’hésiterons pas.

Pourquoi avoir intégré les crimes contre l’Humanité dans votre giron ?

Parce que cela confère une meilleure visibilité à cette ancienne section du parquet de Paris. Elle sera désormais représentée par un procureur national qui aura pour tâche d’entretenir des contacts avec des interlocuteurs internationaux de très haut niveau (Nations Unies, Cour pénale internationale…). Ensuite, leurs méthodes de travail sont très voisines des méthodes de l’antiterrorisme : il est aussi question d’enquêtes au long cours, à l’international, avec de multiples intervenants. Enfin, il y a parfois une superposition géographique dans les enquêtes. Je pense notamment à la Syrie où nous sommes saisis du dossier César (NDLR : suspicions d’atrocités commises par le régime de Bachar el Assad).

Cette dimension peut parfois apparaître lointaine aux Français…

C’est juste car les faits dont il est question sont moins visibles que le terrorisme et ne concernent pas directement la France. Il faut donc inverser la question. Nos compatriotes trouveraient-ils normal d’avoir pour voisins des personnes qui ont participé à des massacres ou recruté des enfants-soldats et qui bénéficieraient de l’impunité ? Non. Nous sommes compétents en vertu du critère de résidence des auteurs et nous continuerons à mener une politique active sur le sujet, comme le parquet l’a déjà fait vis-à-vis des anciens génocidaires rwandais réfugiés en France.

831 dossiers suivis

27 magistrats composent le Parquet national antiterroriste, dont cinq dédiés à la section crimes contre l’Humanité et crimes de guerre.

264 enquêtes préliminaires et 418 instructions relatives à 505 mis en examen et 907 mandats d’arrêt ou de recherche sont suivies par la section antiterroriste (essentiellement des dossiers de djihadistes).

90 enquêtes préliminaires et 59 instructions relatives à 14 mis en examen et 5 mandats d’arrêt sont confiées à la section crimes contre l’Humanité.

700 Français se trouveraient encore dans la zone irako-syrienne.

Du 20 avril au 3 juillet 2020 se tiendra le procès de l’attentat de Charlie Hebdo devant la cour d’assises spécialement composée. En 2021 sera jugé le dossier des attentats du 13 novembre (40 000 cotes, 1 700 parties civiles, 350 avocats).

Le 11 juillet 2019 à 16h33, modifié le 11 juillet 2019 à 16h50

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Madredios

Que du pipi de chat, tout ça.
Ces magistrats ont des ordres => Préserver la Paix Sociale et donc pas de vague.