Israël face à ses divisions après le recul de Netanyahou

Benyamin Netanyahou a annoncé, lundi, devant le parlement israélien, une pause dans les réformes judiciaires. MARC ISRAEL SELLEM/AFP

 

RÉCIT – L’examen du projet de loi réformant la justice a été reporté par le cabinet à la prochaine session de la Knesset.

Correspondant à Jérusalem

C’est par l’évocation du jugement de Salomon que Benyamin Netanyahou a démarré lundi soir un discours qu’attendait tout Israël. Prenant la parole au terme de 24 heures explosives, il a d’abord cité ce célèbre passage de la Bible dans lequel le roi propose de couper en deux le bébé réclamé par deux femmes. L’enfant, c’est Israël et le «roi Bibi», comme le surnomment ses supporteurs, a expliqué que, semblable à la véritable mère dans la Bible, «une immense majorité des citoyens d’Israël refusait de couper la nation en deux». C’est pourquoi il a pris la décision de suspendre une réforme judiciaire qui, en trois mois, a conduit le pays au bord de l’implosion.

Cette décision a coûté cher à Benyamin Netanyahou. Son gouvernement, au pouvoir depuis fin décembre, a failli voler un éclat. À la Knesset, la solide coalition que Netanyahou a su mettre sur pied a montré des premiers signes de division. Elle sort de la crise affaiblie dans les sondages.

Pour autant, il n’est pas question de renoncer à la réforme judiciaire. Composée d’une dizaine de lois, elle est destinée, dans l’esprit de ses promoteurs, à délimiter le périmètre de la Cour suprême et à affirmer la primauté des pouvoirs législatifs et exécutifs, élus par le peuple, sur le judiciaire, où les juges sont accusés de se coopter. Les opposants à la réforme y voient un péril pour l’État de droit et un danger de mort pour la démocratie libérale qu’Israël entend être depuis sa création, il y a soixante-quinze ans. Mardi matin, la coalition a mis en pause l’examen d’une de ces lois. Son vote définitif était attendu pour la fin de la semaine, avant que la Knesset ne se mette en congé pour Pessah, la Pâque juive. Mais il ne s’agit que d’une pause: lors de la prochaine session parlementaire, qui doit démarrer en mai, il suffira d’une simple délibération pour reprendre les travaux où ils ont été laissés. Dans ces conditions, a aussitôt réagi l’opposition, comment engager sereinement le dialogue et tenter de trouver un compromis? Les leaders des manifestants ont dénoncé «un complot», «une tentative de réintroduction des lois dictatoriales». La méfiance règne en Israël, la société est plus divisée que jamais.

Les deux visages d’Israël

C’était très clair lundi, à Jérusalem. Aux alentours de la Knesset, Israël montrait ses deux visages: ceux des «deux tribus d’Israël», comme les désigne, autre métaphore biblique, Nahum Barnea, célèbre journaliste israélien, qui voit dans cette «histoire», non pas «celle des manœuvres de Netanyahou, mais celle de la société israélienne». Chaque «tribu» semblait bien décidée à camper sur ses positions. D’un côté, les opposants à la réforme, universitaires, ingénieurs, employés du high-tech, entrepreneurs: l’élite intellectuelle du pays, qui, depuis douze semaines, était à la pointe de la contestation. Dans la matinée, par dizaines de milliers, ils avaient convergé devant le Parlement israélien. Alors que le pays risquait d’être totalement bloqué par la grève générale, ils tenaient à maintenir la pression sur le gouvernement. Sur leurs boucles WhatsApp tournait une photo prise depuis le ciel. On y voyait, flottant par-dessus la foule, une grande banderole où était écrit, en anglais: «Sauvez notre start-up nation.»

Une seconde manifestation a démarré dans l’après-midi. Descendant de bus venus de tout le pays et des colonies de Cisjordanie, les partisans de la réforme se sont, eux aussi, dirigés vers la Knesset. On est à mille lieues de la start-up nation.

Nava et Zehava sont venues en train de Tel-Aviv avec une grande banderole blanche sur laquelle elles ont écrit, en lettres bleues «La réforme, maintenant!» «Il faut que tous ces gauchistes comprennent quelque chose, expliquent-elles : il y a un gouvernement de droite dans ce pays. Il faut faire cette réforme car la Cour suprême ne représente plus le peuple.» En fin de journée, alors que Netanyahou a annoncé la suspension du processus, les boulevards se vident lentement. Des bandes de jeunes au look de colons passent en scandant «reforma!» On agite des drapeaux israéliens, des pancartes où est écrit: «Je ne suis pas un citoyen de seconde zone.» Almog, Ishay et Iehuda sont venus avec leur bande d’amis. Très excités, ils acceptent de s’arrêter un instant: pour nous, les conservateurs,  le peuple d’Israël et le judaïsme ne font qu’un. On est très en colère, parce que le peuple veut la réforme. Mais avec l’aide de Dieu, elle viendra.» Des hommes s’arrêtent au beau milieu de la route et, tirant de leur poche une petite bible, disent la prière du soir.

Un groupe de juifs orthodoxes tient une grande affiche. Eux, qui n’ont pas la télévision, y ont écrit «passez à la quatorze!», une chaîne de télévision conservatrice. Ils sont venus d’un quartier ultraorthodoxe tout proche. «Nous avons vu, ces derniers jours, que l’argent de Tel-Aviv avait pris le contrôle sur la démocratie, explique Israël Fertig. Nous voulons réformer la Cour suprême parce qu’elle ne respecte pas les droits de ceux qui ne font pas partie de sa clique. Nous voulons qu’à la Cour suprême, il y ait vingt rabbins!» Il déclenche un fou rire général puis, plus sérieux: «Au bout du compte, nous sommes certains de gagner. C’est une question de démographie.»

Profonde crise identitaire

Avraham Russel était aussi du nombre de manifestants. Ce juriste au Kohelet Forum, think-tank conservateur très impliqué dans la réforme judiciaire, connaît bien le quartier de la Knesset. «Les gens ont l’impression que l’élite du pays est contre eux: les médias, les intellectuels, le high-tech ; ils constatent que face à cette élite, leur vote ne compte pas, relevait-il mardi. Dans les semaines qui viennent, il faudra prendre en compte cette inquiétude.»

Cette frustration, ce sentiment de s’être fait voler son vote prennent racine dans une profonde crise identitaire. «Elle met aux prises deux Israël, relève David Kalfa, codirecteur de l’Observatoire de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient à la Fondation Jean Jaurès. D’une part, il y a la bourgeoisie et la classe moyenne supérieure, urbaines, insérées dans la mondialisation, démocrates et libérales. De l’autre, le “second Israël”, moins éduqué, plus fragile économiquement, périphérique. Ce qui structure leur confrontation, c’est la question de l’identité d’Israël. Pour les premiers, le caractère démocratique du pays et le libéralisme politique sont constitutifs de leur identité. Pour les seconds, c’est l’identité juive qui est primordiale. Ce n’est pas un hasard si ce “deuxième Israël” est surtout composé de juifs orientaux, doublement traumatisés par l’expulsion des pays arabes dans les années 1940 et par le mépris avec lequel ils ont été traités à leur arrivée en Israël par l’establishment ashkénaze. Ils sont persuadés que l’élite ashkénaze, bien que minoritaire, maintient sa mainmise sur le pouvoir réel du pays en utilisant la Cour suprême pour imposer sa vision libérale à l’ensemble de la société.»

Selon l’expert, le report de la réforme judiciaire ne mettra pas un terme à la crise. «Elle est structurelle, ancienne et présente dans les tréfonds du pays. Les partis au pouvoir instrumentalisent ce ressentiment historique et veulent désormais imposer leur vision conservatrice en s’emparant de l’appareil d’État. Ils veulent faire en sorte que celui-ci soit le reflet de ce second Israël plus religieux, plus traditionnel et qui, démographiquement, pèse de plus en plus dans la société.»

En face, l’opposition, galvanisée par sa victoire, ne compte rien lâcher. Elle appelle déjà à la prochaine manifestation, samedi prochain, à Tel-Aviv.

JForum avec Guillaume de Dieuleveult
lefigaro

 

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davidex

Le mot ‘recul’ n’est pas le plus heureux parmi ceux qui composent cet article dont la tonalité ne contribue pas à calmer les esprits.